Ici ce sont vertes collines, tondues de près comme du velours, chemins pentus serpentant jusqu'aux crêtes, d'où on voit, au-delà des villages, îlots blancs et rouges posés entre deux courbes douces, l'océan et sa ligne d'écume. Où que l'on se trouve, nous entourent les montagnes mythiques. Les larmes nous montent aux yeux devant cette beauté tranquille qui nous possède.
Alors, imaginer ces lieux familiers et sacrés, éventrés, criblés de trous, parcourus par les bulldozers, c'était tout simplement impossible. Et les larmes de nous monter encore aux yeux, cette fois à l'idée du désastre.
Car certains, dans l'ombre avaient exhumé le passé minier et aurifère de ce petit périmètre qui englobe les communes de St Pée, Souraïde, Cambo, Espelette, Ustaritz, Laressore, Itxassou, Jatxou, Halsou, Sare et Ainhoa, territoire de trois AOP et de sites protégés, mettant en péril, outre les paysages, son économie pastorale, agricole et touristique.
La compagnie minière avait déjà obtenu l'autorisation de pratiquer des forages « juste pour exploration ». Et tout en déclarant qu'il n'était pas encore question d'exploitation, ils promettaient la création d'un label « Or Basque ». Cette annonce nous aurait fait rire si nous n'avions eu la gorge si serrée. Il ne fallait pas qu'ils commencent. Surtout que derrière l'or, se profilait la recherche d'autres métaux convoités, regroupés sous l'appellation « Terres rares ». Une fois la mécanique enclenchée, ce serait trop tard.
Rarement une cause fit autant l'unanimité. Citoyens et élus de tous horizons, se levèrent avec détermination contre cet or qui pour trois grammes, nécessiterait l'extraction d'une tonne de terre, sans compter l'impact sur le réseau hydraulique. « La terre est notre trésor, mines d'or, non et non » martelaient les slogans.
Le projet, que plusieurs fois on crut oublié, mais qui n'était qu'en sommeil, fut enfin officiellement abandonné, comme l'annonça avec bonheur notre député :
"Au nom de l'intérêt général, et en particulier de l'agriculture, de l'environnement et du tourisme, il n'y aura heureusement ni exploration, ni exploitation minière au Pays Basque".
Bien avant que toute l'affaire des mines ne commence à faire parler d'elle, Jon, sans le savoir, contribua à enrayer la machine, en y déposant son petit grain de sable.
Il habitait sur les hauteurs d'Itxassou, dans une bergerie aménagée. Il partait dans le monde entier, travailler comme cuistot, souvent sur des bateaux. Après six mois de missions, il revenait passer trois mois chez lui, puis repartait.
De retour de ses voyages, Jon ne se rasait plus, ne se coupait plus les cheveux et profitait pleinement de sa passion : courir pieds-nus, ce qui devenait sa seule façon de se déplacer. Il connaissait tous les sentiers, chemins et autres itinéraires à peine praticables. Il servait de guide lorsqu'on le sollicitait ou que le bouche-à-oreille le mettait en contact avec d'autres amoureux de cette terre. Ceux qui avaient la chance de partager ces moments avec lui étaient alors entraînés dans des expéditions uniques, vers des espaces insoupçonnés qui marquaient leur cœur à jamais.
C'est ce qui arriva à Sofia, Paul, Sam et Juliette, au cours de cet automne où leur vie changea.
Depuis quelques jours, Jon avait, à plusieurs reprises, surpris le manège d'hommes et de femmes qui n'avaient pas l'allure de randonneurs, loupe de terrain au cou, marteau à pic en main, massette et burin dépassant des poches de leurs sacs à dos. Ces visiteurs très absorbés par leur tâche, ne le remarquèrent pas, tant il cultivait l'art de se déplacer en silence et de se fondre dans le paysage.
Ils devaient faire sa connaissance un peu plus tard, sous les platanes de la terrasse de l'Hôtel du Fronton où ils logeaient. En cette fin d'après-midi de septembre, Jon, comme tous les jours, y était descendu boire un café. Deux garçons et deux filles jeunes et souriants s'installèrent en discutant avec animation à la table voisine de la sienne. Ils avaient changé de tenue et délaissé leurs outils, mais il les reconnut. Il les salua, partagea quelques plaisanteries avec eux et la conversation s'engagea. Ils prétendirent être en vacances. Jon sentait qu'ils mentaient mais n'en laissa pas paraître. En apprenant qu'il était guide, ils le supplièrent en riant de bien vouloir les traîner avec lui. Jon accepta et leur proposa même, tout de suite, en guise de mise en bouche, une petite balade jusqu'à l'aérodrome où ils restèrent sans voix, enveloppés par la majesté et la paix du lieu, contemplant la vue fabuleuse qui portait très loin sous le soleil couchant.
Chaque soir, ils se retrouvaient sous les platanes. Jon bien que préoccupé par leur silence sur la véritable raison de leur séjour, appréciait leur compagnie. Une amitié sincère était née.
Il les emmena courir et leur montra de loin, les Betizu aux longues cornes, vaches sauvages du Mondarrain. Au pied de cette montagne, ils repérèrent la source du Latsa, ruisseau scintillant et bavard qui traverse Espelette, et suivirent son trajet jusqu'à Larresore où il se jette dans la Nive.
Au début, les randonnées furent classiques, puis Jon leur donna accès à des lieux secrets qui les comblèrent de joie, piscines naturelles au creux d'un cercle de roches, cascades où on s'attendait à voir surgir les fées, parois percées de grottes surplombant des cours d'eau indisciplinés rendant palpable la vie préhistorique.
Leurs escapades en arrivèrent à durer des jours, avec courses nocturnes aux flambeaux et bivouacs sous les étoiles.
Sam, Sofia, Juliette et Paul étaient heureux, en pleine forme physique, mais en même temps un malaise envahissant les empoisonnait. Car ce dont le lecteur se doute déjà, et que Jon ignorait encore, c'est qu'ils étaient là en tant que géologues mandatés par la société minière pour du repérage. Ils procédaient à un échantillonnage en vue d'estimer la teneur des gisements. Mais ils s'étaient mis à aimer profondément ce pays offert à tous leurs sens, avec tant de générosité par leur nouvel ami, pays auquel ils consacraient maintenant plus de temps qu'à leur travail, ce travail qui induisait la mise à mal programmée de tant de ressources. Ils se sentaient doublement traîtres. Cela les rongeait et ils décidèrent, d'une part de tout avouer à Jon, d'autre part de démissionner.
Et pour tous, vint le moment du départ. Lors de leur dernière soirée, Jon arriva rasé et les cheveux coupés, ils eurent du mal à le reconnaître. Juliette et lui échangèrent des regards troublés que la tristesse voila très vite. Ils étaient revenus, avec un pique-nique, sur les hauteurs de l'aérodrome comme la première fois. Ce moment d'émotion intense, aucun des quatre n'eut le courage de le gâcher en révélant la vérité à Jon. Il leur paraissait bien plus facile d'affronter les lourdes difficultés auxquelles ils seraient confrontés lorsqu'ils devraient rendre des comptes à la société minière, que d'assister à sa déception.
Ils ne se recontactèrent pas, l'un pris par son travail au bout du monde, les autres en proie à la culpabilité et aux soucis professionnels.
Des mois plus tard, Jon de retour au pays, connaissait maintenant la menace qui planait et participait activement à contrer le projet des mines. Il percevait ce que Paul, Sam, Sofia et Juliette étaient venus faire à l'automne précédent et en fut attristé. Pourtant c'est ce qu'il y avait eu de joyeux dans leur amitié qui persistait. Quelque chose en lui ne voulait pas se soumettre à la rancœur et à l'amertume.
Ce jour-là, une nouvelle manifestation était prévue. Il partit en courant, très tôt le matin, toujours pieds-nus vers Ustaritz à travers bois et champs et continua sur le chemin de halage au bord de la Nive, jusqu'à Bayonne où il se mêla à la foule immense. C'est alors qu'une banderole suivie par un cortège impressionnant, attira son attention :
LA TERRE EST NOTRE TRÉSOR
GÉOLOGUES UNIS CONTRE SON SACCAGE
Il approcha. Ils étaient là tous les quatre à tenir les piquets. Et ils n'étaient pas venus seuls.
Alors, imaginer ces lieux familiers et sacrés, éventrés, criblés de trous, parcourus par les bulldozers, c'était tout simplement impossible. Et les larmes de nous monter encore aux yeux, cette fois à l'idée du désastre.
Car certains, dans l'ombre avaient exhumé le passé minier et aurifère de ce petit périmètre qui englobe les communes de St Pée, Souraïde, Cambo, Espelette, Ustaritz, Laressore, Itxassou, Jatxou, Halsou, Sare et Ainhoa, territoire de trois AOP et de sites protégés, mettant en péril, outre les paysages, son économie pastorale, agricole et touristique.
La compagnie minière avait déjà obtenu l'autorisation de pratiquer des forages « juste pour exploration ». Et tout en déclarant qu'il n'était pas encore question d'exploitation, ils promettaient la création d'un label « Or Basque ». Cette annonce nous aurait fait rire si nous n'avions eu la gorge si serrée. Il ne fallait pas qu'ils commencent. Surtout que derrière l'or, se profilait la recherche d'autres métaux convoités, regroupés sous l'appellation « Terres rares ». Une fois la mécanique enclenchée, ce serait trop tard.
Rarement une cause fit autant l'unanimité. Citoyens et élus de tous horizons, se levèrent avec détermination contre cet or qui pour trois grammes, nécessiterait l'extraction d'une tonne de terre, sans compter l'impact sur le réseau hydraulique. « La terre est notre trésor, mines d'or, non et non » martelaient les slogans.
Le projet, que plusieurs fois on crut oublié, mais qui n'était qu'en sommeil, fut enfin officiellement abandonné, comme l'annonça avec bonheur notre député :
"Au nom de l'intérêt général, et en particulier de l'agriculture, de l'environnement et du tourisme, il n'y aura heureusement ni exploration, ni exploitation minière au Pays Basque".
Bien avant que toute l'affaire des mines ne commence à faire parler d'elle, Jon, sans le savoir, contribua à enrayer la machine, en y déposant son petit grain de sable.
Il habitait sur les hauteurs d'Itxassou, dans une bergerie aménagée. Il partait dans le monde entier, travailler comme cuistot, souvent sur des bateaux. Après six mois de missions, il revenait passer trois mois chez lui, puis repartait.
De retour de ses voyages, Jon ne se rasait plus, ne se coupait plus les cheveux et profitait pleinement de sa passion : courir pieds-nus, ce qui devenait sa seule façon de se déplacer. Il connaissait tous les sentiers, chemins et autres itinéraires à peine praticables. Il servait de guide lorsqu'on le sollicitait ou que le bouche-à-oreille le mettait en contact avec d'autres amoureux de cette terre. Ceux qui avaient la chance de partager ces moments avec lui étaient alors entraînés dans des expéditions uniques, vers des espaces insoupçonnés qui marquaient leur cœur à jamais.
C'est ce qui arriva à Sofia, Paul, Sam et Juliette, au cours de cet automne où leur vie changea.
Depuis quelques jours, Jon avait, à plusieurs reprises, surpris le manège d'hommes et de femmes qui n'avaient pas l'allure de randonneurs, loupe de terrain au cou, marteau à pic en main, massette et burin dépassant des poches de leurs sacs à dos. Ces visiteurs très absorbés par leur tâche, ne le remarquèrent pas, tant il cultivait l'art de se déplacer en silence et de se fondre dans le paysage.
Ils devaient faire sa connaissance un peu plus tard, sous les platanes de la terrasse de l'Hôtel du Fronton où ils logeaient. En cette fin d'après-midi de septembre, Jon, comme tous les jours, y était descendu boire un café. Deux garçons et deux filles jeunes et souriants s'installèrent en discutant avec animation à la table voisine de la sienne. Ils avaient changé de tenue et délaissé leurs outils, mais il les reconnut. Il les salua, partagea quelques plaisanteries avec eux et la conversation s'engagea. Ils prétendirent être en vacances. Jon sentait qu'ils mentaient mais n'en laissa pas paraître. En apprenant qu'il était guide, ils le supplièrent en riant de bien vouloir les traîner avec lui. Jon accepta et leur proposa même, tout de suite, en guise de mise en bouche, une petite balade jusqu'à l'aérodrome où ils restèrent sans voix, enveloppés par la majesté et la paix du lieu, contemplant la vue fabuleuse qui portait très loin sous le soleil couchant.
Chaque soir, ils se retrouvaient sous les platanes. Jon bien que préoccupé par leur silence sur la véritable raison de leur séjour, appréciait leur compagnie. Une amitié sincère était née.
Il les emmena courir et leur montra de loin, les Betizu aux longues cornes, vaches sauvages du Mondarrain. Au pied de cette montagne, ils repérèrent la source du Latsa, ruisseau scintillant et bavard qui traverse Espelette, et suivirent son trajet jusqu'à Larresore où il se jette dans la Nive.
Au début, les randonnées furent classiques, puis Jon leur donna accès à des lieux secrets qui les comblèrent de joie, piscines naturelles au creux d'un cercle de roches, cascades où on s'attendait à voir surgir les fées, parois percées de grottes surplombant des cours d'eau indisciplinés rendant palpable la vie préhistorique.
Leurs escapades en arrivèrent à durer des jours, avec courses nocturnes aux flambeaux et bivouacs sous les étoiles.
Sam, Sofia, Juliette et Paul étaient heureux, en pleine forme physique, mais en même temps un malaise envahissant les empoisonnait. Car ce dont le lecteur se doute déjà, et que Jon ignorait encore, c'est qu'ils étaient là en tant que géologues mandatés par la société minière pour du repérage. Ils procédaient à un échantillonnage en vue d'estimer la teneur des gisements. Mais ils s'étaient mis à aimer profondément ce pays offert à tous leurs sens, avec tant de générosité par leur nouvel ami, pays auquel ils consacraient maintenant plus de temps qu'à leur travail, ce travail qui induisait la mise à mal programmée de tant de ressources. Ils se sentaient doublement traîtres. Cela les rongeait et ils décidèrent, d'une part de tout avouer à Jon, d'autre part de démissionner.
Et pour tous, vint le moment du départ. Lors de leur dernière soirée, Jon arriva rasé et les cheveux coupés, ils eurent du mal à le reconnaître. Juliette et lui échangèrent des regards troublés que la tristesse voila très vite. Ils étaient revenus, avec un pique-nique, sur les hauteurs de l'aérodrome comme la première fois. Ce moment d'émotion intense, aucun des quatre n'eut le courage de le gâcher en révélant la vérité à Jon. Il leur paraissait bien plus facile d'affronter les lourdes difficultés auxquelles ils seraient confrontés lorsqu'ils devraient rendre des comptes à la société minière, que d'assister à sa déception.
Ils ne se recontactèrent pas, l'un pris par son travail au bout du monde, les autres en proie à la culpabilité et aux soucis professionnels.
Des mois plus tard, Jon de retour au pays, connaissait maintenant la menace qui planait et participait activement à contrer le projet des mines. Il percevait ce que Paul, Sam, Sofia et Juliette étaient venus faire à l'automne précédent et en fut attristé. Pourtant c'est ce qu'il y avait eu de joyeux dans leur amitié qui persistait. Quelque chose en lui ne voulait pas se soumettre à la rancœur et à l'amertume.
Ce jour-là, une nouvelle manifestation était prévue. Il partit en courant, très tôt le matin, toujours pieds-nus vers Ustaritz à travers bois et champs et continua sur le chemin de halage au bord de la Nive, jusqu'à Bayonne où il se mêla à la foule immense. C'est alors qu'une banderole suivie par un cortège impressionnant, attira son attention :
LA TERRE EST NOTRE TRÉSOR
GÉOLOGUES UNIS CONTRE SON SACCAGE
Il approcha. Ils étaient là tous les quatre à tenir les piquets. Et ils n'étaient pas venus seuls.