Un jeudi noir

« Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité. » C'était le seul instant où le silence s'est tu. Or sans une seconde de plus, tout changerait pour le peuple. Un fameux jeudi noir où la population décida de prendre son destin en main en constituant un bouclier pour sa liberté, sa dignité et son intégrité. Il fallait juste une minute, mais...
Á Ghoré, le peuple subissait chaque jour des maltraitances. Et le gouvernement recrutait des flics illettrés qui braquaient la population plus que les bandits du quartier. La horde au pouvoir se croyait incomparable. Les ministères n'étaient occupés que par une partie de la population qui possédait des armes et leur volonté faisait la loi. Sur le marché de l'emploi où la réalité implicite montait en puissance, l'on ne cessa de changer la constitution pour servir les intérêts de quelques-uns aux yeux du peuple. Face à l'injustice et l'inégalité qui ne cessaient de régner dans ce pays, l'on discerna avec contrariété que la démocratie a faite place à la dynastie. Le pouvoir était considéré comme un héritage parental dont n'importe qui pouvait en profiter en sa guise.
Depuis son indépendance en 1960, Ghoré se développa de manière funeste. Et pourtant, il est doté des ressources naturelles et des sites touristiques les plus beaux d'Afrique. Le constat amer de la situation politique, sociale et économique donna la volonté à Masrabé d'aller à l'université. Deux ans de travail acharné dans une boulangerie de la place lui a permis d'économiser un peu d'argent pour pouvoir s'inscrire à la faculté des sciences juridiques et politiques de l'université de Béthol. Il voudrait devenir le président de la République de Ghoré pour changer les choses. Et donner de la valeur à la liberté d'expression sous toutes ses formes, la dignité voire l'autodétermination à ce peuple assoiffé de la démocratie et du vrai sens de la liberté au 21ème siècle.
Masrabé composa ses dossiers et les fit parvenir à la direction de ladite faculté. Il serait retenu parmi les candidats ayant postulé. Le jeune homme débuta ses cours et se faisait remarquer par ses enseignants dès la première année grâce à la bonne qualité de son travail. Il valida toutes ses unités d'enseignements et passa au niveau deux. En trois ans, il décrocha sa licence et poursuivit également ses études en maîtrise à la faculté de sciences économiques et de gestion. Deux ans après, il obtint son master et trouva un boulot à éco-banque de son pays. Il était le directeur général de ladite entreprise.
Après plusieurs années de travail en tant que directeur général de la banque, Masrabé démissionna de son poste pour créer un parti politique. Ledit parti avait pour nom Les justiciers. L'objectif de cette formation politique consistait non seulement de chercher les voies pour rendre justice aux opprimés, mais de faire régner la justice et l'égalité pour une nation prospère. Masrabé donna toute son énergie pour que son parti puisse s'imposer dans l'espace politique de son pays. Avec son ambition et la vision qu'il portait pour le changement de Ghoré, les jeunes le suivirent. Tous les présidents des partis politiques ne l'ont pas vu venir. Le président Coubra lui proposait d'entrer dans son gouvernement lors de leur première rencontre.
- Je sais que tu es un jeune politicien fort d'esprit. Alors peux-tu être mon Premier ministre ? demanda Coubra.
- Je veux votre fauteuil présidentiel. Je voudrais devenir le président pour choisir la voie qui mènerait sans doute mon peuple à l'autodétermination. Répondit Masrabé.
Á cause de Masrabé, le président fit voter une loi limitant l'âge pour être éligible aux élections présidentielles. Le jeune politicien organisait des meetings et gagnait la confiance de la plupart des citoyens qui voulaient un changement réel contre l'injustice et l'inégalité. Il organisait des marches pacifiques. Mais la police catapulta sur lui et ses militants des gaz lacrymogènes. Pour chaque marche, l'on en comptait des dizaines voire des milliers de blessés et de disparus. Le président de la République chercha à l'éliminer à plusieurs reprises, mais ne parvint point. Détesté par les membres du gouvernement, la population consciente était derrière lui. Et c'est le peuple qui faisait sa force.
Pour lutter contre l'injustice et l'inégalité sociale, son parti politique était créé sous l'égide de la souffrance. Avec sa carrure de guerrier, il devint la porte étendard, l'espoir d'un peuple injustement marginalisé depuis plus de trois décennies. La République Ghoré, situé en Afrique méridionale, est un pays qui connaissait sans cesse des guerres. Son train de vie était comme une voiture de seconde main achetée à la casse. C'était intitule de la humer. Car sa mauvaise fragrance pourrait donner un cancer de narine. Sur la scène politique de cette nation, seul son parti prône la libération d'un peuple qui devrait parvenir à l'autodétermination en choisissant le chemin de la justice et de l'équité. Masrabé avait dans son parti des militants engagés pour la justice et l'égalité. Beaucoup subissaient des arrestations arbitraires et des tortures inhumaines à cause de leur choix d'appartenir au parti Les Justiciers. Pour chaque manifestation, on les traquait.
Quelques mois après, le président Coubra était retrouvé mort dans sa chambre. Les circonstances de sa mort n'étaient pas connues. Le même jour, un groupe des généraux de la présidence, se présentait à la télévision nationale annonçant la mort du chef de l'État et qu'ils allaient assurer la transition d'un an pour ensuite organiser les élections présidentielles libres et transparentes. C'était une promesse que le chef de ces généraux avait faite devant la nation.
La population considérait ça comme un coup d'État et que ces généraux tinrent le peuple en otage sans arme en main. Elle exigea qu'une enquête soit ouverte pour connaître les circonstances de la mort du président Coubra. Mais rien n'était fait. Dès lors, on savait que ces derniers n'avaient rien à offrir et donner comme information si ce n'était que le mensonge. Avant la fin de la transition annoncée par le fils de Coubra chef des généraux, celle-ci était prolongée pour une durée de dix ans.
Une manifestation serait vite organisée le jour où la transition prendrait fin. C'était un jeudi 20 octobre. Et ce jour, dans les différentes villes du pays, des milliers de personnes étaient sorties pour manifester. La police halait des gaz lacrymogènes et des balles réelles sur les manifestants. Parmi les manifestants de ce jeudi considéré comme jeudi noir, se trouvait Masrabé. Il était la cible principale de la police chargée de tirer à balles réelles sur ceux qui protestaient. L'expression du mécontentement de ce peuple, était pour le départ de la junte dont la transition prenait fin ce jour-là. Une chasse à l'homme se poursuivit à Béthol, capitale de Ghoré. Les arrestations arbitraires et des exécutions extrajudiciaires, se multipliaient dans le pays. La junte au pouvoir piétinait la démocratie et la liberté d'expression sous toutes ses formes. Les fouilles d'armes se faisaient dans des maisons de manière inopinée et sans un mandat. Le fait de posséder un simple drapeau de son pays chez soi conduisait à une arrestation suivie des tortures pouvant conduire à la mort. L'on se croyait dans un État autoritaire et non démocratique. En réalité, c'était une dictature voilée de démocratie dont faisait montre ceux qui exerçaient le pouvoir.
Lors de cette terrible manifestation ayant causé la mort de plus de trois cents personnes, plus de deux cents individus portés disparus et l'arrestation de plus de deux milles militants, Masrabé décida d'appeler à l'aide l'Union Africaine, l'Organisation des Nations Unies, l'Union Européenne, la France et les pays partenaires de Ghoré, mais en vain. Et pourtant juste une minute aurait changé le destin d'un peuple assoiffé de la vraie démocratie et liberté. C'était un jeudi enténébré par le sang des innocents, un vrai jeudi noir.
1