Une once d’espoir

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. En tout cas, je n’entrevois pas la lumière. Pour moi, la vie est en noire. Aussi loin que mes souvenirs puissent me ramener, je n’ai jamais ressentis autre chose que solitude et tristesse. Je me réveille tous les jours sous les coups de mon maître et je vais dans la rue. Froid et faim guident mes pas, je tends ma main tremblotante aux passants leur mendiant une pièce, hélas ! Chacun se hâte pour aller à son travail, la plupart ne me remarquent même pas ou ils ne me regardent pas ; je regarde les enfants de mon âge qui vont à l’école et je me mets à rêver, je m’imagine à leur place, courir à la récré, jouer au foot, tomber et rire aux éclats, apprendre et le soir rentrer chez moi ; mais la dure réalité me rattrape très vite, j’observe alors le gouffre entre moi et les autres enfants. Mon chez moi, c’est la rue, mes parents, c’est mon maître qui est censé m’éduquer et m’enseigner, mais dont je ne sers que le profit, mes frères sont les autres enfants comme moi.
Nous sommes des centaines, des milliers partout dans le monde à vivre la même chose. Qu’avons-nous donc faits pour mériter ça ? Mon seul crime, c’est d’être né pauvre parmi les plus pauvres. Si seulement j’étais né ailleurs, si j’avais eu d’autres parents, j’aurais pu échapper à tout ça, je n’ai rien demandé moi, je ne mérite pas ça ; je voulais y échapper, échapper à toute l’injustice de ce monde, quand est-ce que j’allais m’en sortir? Les seules réponses que je recevais, c’était cette multitude de geste de mépris cruelle et fugace, le rire de ses enfants qui se moquent de mes haillons, ce passant qui me jette une pièce sans m’adresser le moindre regard ou le regard méprisant de cet autre qui me dégage du revers de sa main. Avec toutes les personnes qui passent devant moi et toutes les portes auxquelles je frappe, à la tombée de la nuit, je n’amasse parfois pas assez pour mon maître et alors je subis sa colère qui se traduit par des coups jusqu’au sang. Ma journée se termine alors sur une note de tristesse et de souffrance et demain sera pareil encore. Ainsi va ma vie.
***
Aujourd’hui est un jour comme tous les autres. Sous le froid matinal glaçant, je slalome les rues de Dakar à la recherche de ce que j’apporterais à mon maître à la tombée de la nuit. Soudain, j’entends quelqu’un crier au loin «mon enfant» je n’y prête pas attention et continue d’avancer mais elle répète alors je me retourne et constate avec surprise qu’elle s’adresse à moi ; d’habitude personne ne se montre aussi aimable avec moi. On m’appelle communément ‘’talibé’’ moi, comme tous mes autres frères. Ce terme signifie quelqu’un qui apprend, mes parents m’ont confié à mon maître pour qu’il m’apprenne le Coran et la religion islamique, jusque-là tout ce que j’ai appris ces trois sourates et la chose la plus importante : je devais toujours lui obéir.
Bref, je m’approche de la dame en pressant le pas, arrivé à son niveau, elle s’abaisse à ma taille et me demande si j’ai mangé, elle n’attend pas ma réponse et m’invite à rentrer. Je là suis, à l’intérieur, elle m’invite à m’asseoir et me donne à manger. Puis, elle s’en va et reviens quelque minutes plus tard avec des chaussures à la main. Des frémissements délicieux m’envahissent quand elle les glisse sur mes petits pieds. Elles me vont parfaitement. Elle se relève et je la remercie par un hochement de tête. Elle me raccompagna à la porte et me dit que je pouvais revenir le lendemain et tous les autres jours à venir. Elle me surprit encore une fois quand elle me demanda mon nom «Abdou» murmurais-je. Je me retourne et m’en vais en me demandant pourquoi elle avait été si gentille avec moi ? Pourquoi faisait-elle tout ça ? Après quelques pas je m’arrête et tourne la tête vers sa maison, j’aperçus un autre de mes frères s’y engouffrer. Et je compris, elle ne le faisait pas seulement avec moi, elle faisait la même chose avec plusieurs de mes frères, elle nous nourrissait comme une mère avec ses enfants, elle nous aidait en ne recherchant en contrepartie que la grâce divine. Je souris et continue mon chemin.
Je souris. Voilà bien longtemps que je n’avais pas souris. Je maudissais ma vie, une vie dans laquelle, on a aucun contrôle sur son avenir, si tant est qu’on en ait un ; une vie dans laquelle, on redoute inlassablement les coups du soir ; une vie dans laquelle, on est vulnérable à toutes sortes de dangers et de maladies ; délaisser à notre propre sort ; une vie dans laquelle, chaque jour vient avec son lot de malheurs et de désespoirs. Ce monde noir dans lequel on survivait à peine. Mais sans le savoir, cette grande dame venait de faire scintiller une lumière dans ce monde ; une faible lumière mais suffisant pour redonner le sourire à n’importe lequel des miens. Une lumière d’espoir venue apporter un baume au cœur d’enfants à qui la vie n’a donné aucune chance. Une petite pierre d’espoir sur une montagne de désespoir. Un espoir que chacun pourrait contribuer à nous donner : un sourire au passage, un regard compatissant, un peu de considération à travers les gestes......et vous nous ferait nous sentir moins exclu de la société et nous vous en serons éternellement reconnaissants. Je termine la journée sur cette note d’espoir, oubliant presque tous mes soucis ; et attendant impatiemment la journée de demain.
Le lendemain, je suis le premier à me réveiller. Je me rince le visage. Je mets mes nouvelles chaussures, le pot qui me sert de récipient pour mon butin de la journée sous l’aisselle. Et hop ! Je quitte notre demeure en courant vers celle de la grande dame...le sourire aux lèvres.