Roule, pigeon, roule !

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  • Littérature générale

J'aime rouler sur les pigeons.
Les pigeons sont des ordureries volantes, ils expriment toute la crasserie du monde, et les déchiqueter en voiture est un bienfait pour l'environnement. Certains m'engueulent quand ils me voient faire. Je leur souhaite de prendre un bon cageot de fientes de ces engeances emplumées sur le coin de la courge pour qu'ils révisent fissa leur opinion de bobos écolos urbains de mon fion.
Et puis, ça m'amuse. Et rien que ça, ça justifie le fait de les dézinguer. Ma vie est pénible, mon monde est merdouillard, ils n'avaient qu'à pas naître pigeons ; à chacun son sale karma. En plus, cette crevasserie de volaille est habile et se défend bien, voire elle provoque, attendant le dernier moment pour décoller, toujours un œil derrière la tête, laissant une plume ou deux, mais finissant rarement en charpie sous mes pneus. Alors, il faut ruser, feindre et piéger. J'arrive en roues libres, lentement, faisant un minimum de bruit, puis j'accélère à fond, pleins phares pour les éblouir et là, ça peut marcher. Mais il faut faire attention, la populace regimbant à mes manœuvres. Je me fais injurier, les mères de familles qui attendent leurs rejetons demeurés à la sortie de l'école me traitent d'assassin, les mamies bouffeuses de retraite me jettent leurs cabas... Une fois, un type à vélo m'a même poursuivi : j'ai dû griller un stop et deux feux rouges pour lui échapper et j'ai eu la trouille qu'il ait relevé ma plaque d'immatriculation, cet imbécile vélocypédesque.

Il fait un froid de gueux aujourd'hui, et je dois me rendre au siège de la société qui m'embauche, à quelques centaines de kilomètres de chez moi. J'emprunte l'autoroute que je connais par cœur et, comme je crains la maréchaussée – une autre forme d'emplumés – et que je suis avare de mon carburant, je roule mesquinement. Il se passe rarement grand-chose et je somnole à moitié, surtout au petit matin. Alors, quand je vois un petit groupe de pigeons apparemment totalement hébétés sur la voie de droite, j'ai le réflexe magnifique de donner le léger coup de volant qui convient et d'exploser l'assemblée de volatiles, provoquant un nuage de plumes extraordinaire qui me suit sur quelques centaines de mètres. Coup de maître qui ne se reproduira sans doute jamais. D'un coup, la journée promet d'être magnifique. D'ailleurs, un superbe soleil rouge se lève à l'est, éteignant une pleine lune rousse qui s'endort dans les nuages de l'aube.
L'extrême félicité de l'instant est rompue par une infecte odeur de viandasse grillée mélangée à des effluves d'huile moteur qui envahissent l'habitacle. Des flammes sortent de dessous le capot, et le moteur cale pile devant le camion que je doublais en tentant de me rabattre sur la bande d'arrêt d'urgence...

Le choc est au-delà de toutes les douleurs que j'ai cru connaître dans ma salope de vie. La voiture se lève par l'arrière, fait un tonneau par le devant et revient s'encastrer dans le camion qui se couche sur le côté, me poussant avec lui dans le rail de sécurité. Les flammes s'attaquent immédiatement au camion et, dans mon agonie, j'arrive à entrevoir le chauffeur qui parvient à s'éjecter de sa cabine en me jetant un regard bizarre et à filer vers la remorque pour manipuler en toute urgence des leviers, des barres, des courroies. Mais qu'est-ce qu'il fait, le con, au lieu de m'aider à sortir de ma voiture en feu ?
Et là, je vois des centaines de pigeons, de ces salopards, de ces crevards de pigeons, qui prennent leur envol en un nuage d'une majestueuse lenteur, contraste ironique avec l'urgence désespérée de ma situation.
Alors que les flammes rentrent dans l'habitacle, j'arrive encore à lire l'inscription sur le devant du camion : « Amicale colombophile – transport d'animaux vivants ».

Vite, que je meure !

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