Rien qu'un verre

« Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. » Comme d'habitude, chaque dernier vendredi du mois de décembre, ma bande organise un party dans le parking de Vahu, une très bonne amie. La bière coule à flot, le son couvre toute la pièce et entre potes, on s'amuse vraiment à fond comme si c'était une dernière fois, on s'éclate.

J'avais une grande nouvelle à annoncer à mes compagnons. Je vais changer de statut matrimonial. À vrai dire, je l'ai rencontrée dans un parc à Santiago. Au début, les choses paraissaient si ardues tant qu'elle essayait de rendre les donnes plus compliquées. Des fois, je me demandais si c'était pour de vrai ou seulement, j'étais en train de passer un test.

Dieu seul savait ce que cette beauté avait dans sa tête. Mais, une chose était certaine, en bon gentleman je n'allais pas baisser les bras. Quand bien même je le voudrais, mon code d’honneur me priverait d'une telle idiotie. La persévérance avait fini par payer. Dans deux jours je vais épouser, la femme de mes rêves, je vais dire oui à Gabie.

Je récupérai rapidement des bouteilles de bière dans le frigo et deux Barbancourt et revint festoyer avec mes potes. Jamais je n'oublierai cet instant, ce bonheur qui m'envahissait quand je me tins sur la table du milieu et leur demandai de boire à la santé d'un homme qui allait rencontrer son bonheur. Si seulement...

Je pris un air sérieux, moi qui était le bouffon de la compagnie, ils épiaient mes lèvres. Je faisais exprès de ne laisser sortir aucun son. Ils étaient suspendus à ma bouche et moi j faisais durer le suspens. Quand enfin je me suis résolu à leur annoncer la nouvelle, ils ne cachèrent point leur joie de me voir trouver mon âme sœur.

Je ne vis point passer le temps. Ma montre indiquait minuit quand je me suis résolu à rentrer. Ce soir, je suis dans de beaux draps je me suis dit. Assurément, Gabie allait se mettre en colère non seulement je suis sous l’emprise de l’alcool mais également je rentre très tard.

Une dispute était la dernière chose que je voulais avoir avec elle avant ce grand jour. Rapidement, je m’écartai de la bande et me dirigeai directement vers ma voiture.

Sur la route j'imaginais tous les prétextes que mes neurones noyés sous l'alcool me gratifiaient. Je ne voulais pas que l'on soit en colère à moins de 48 heures de notre mariage. De plus ce serait vraiment difficile de la convaincre de me laisser dormir dans la chambre alors que je pue l'alcool.

La rue était vide, ou presque. J'étais pressé de rentrer pour être avec celle que je chéris, mais une partie veut que je reste un peu pour trouver le bon argument. Je commençais à me rapprocher sérieusement de la maison quand subitement je heurtai quelque chose. Je descendis voir, c'était un corps humain. Affolé, je remontai dans ma voiture et fila à toute vitesse chez moi.

Je me précipitai sous la douche, histoire de dissiper l'effet de l'alcool. Je somnolai. Je ne savais depuis combien de temps j dormais sous la douche quand la porte se mit à frapper.

-Gabie, je suis sous la douche, tu ouvres s'il te plaît !

Sous l'insistance des bruits, je passai une serviette et alla ouvrir. Deux policiers se trouvaient sur le pas de ma porte

-monsieur, pouvons nous rentrer? Fit celui qui semblait être le plus jeune.
Ils entrèrent, et l'autre me demanda de me rhabiller. Je m'éxécutai rapidement.

Il me demandait où était ma femme. J'appelai Gabie

-elle dort sûrement. Je vais la réveiller
-monsieur venez avec nous fit le jeune agent.

Eh merde, je me faisais serrer deux jours avant mon mariage. Et lorsque je passai le pas de la porte, ils m'annoncèrent que Gabie était morte, heurté par un chauffeur ivre. Elle s'était vidée de son sang.

Je ne sus où donner de la tête. Je culpabilisais, mais c'était encore pire car je ne pouvais avouer que c'était moi. Je venais de perdre et ma moitié et ma liberté.

Mon malheur atteignit son paroxysme quand, sa meilleure amie Claude, en pleurant m'annonça indirectement qu'elle attendait un enfant, mon enfant.


Je me mis à repenser à toutes les montagnes de difficultés qu’on avait vaincu ensemble.

Ses parents étaient contre cette relation mais on a pu y résister. Ils auraient dû insister beaucoup plus, elle serait vivante aujourd'hui.

Mon imagination essayait de dessiner comment aurait été ce mariage. Je tombais déjà sous le charme des couleurs jaune et blanche qui devraient embellir la salle. Les visages de ces gens sapés comme jamais. Le fameux défilé des demoiselles d’honneur. Les visages de nos parents. La question si je voulais prendre pour épouse cette déesse la chérir, la projeter et la soutenir dans les bons et les mauvais moments et je répondrai oui sans hésiter. Le moment où l’on se passerait les bagues aux doigts.

Je pensai à toutes ces personnes qui sortiraient leur téléphone pour pouvoir immortaliser ce baiser. Je me prendrais en photo avec la famille de Gabie. Que dire des deux tickets que j’avais achetés pour une lune de miel sur les iles Maldives ? Ce serait mon cadeau pour ma tendre épouse.

Cet enfant, je l'imaginais avec les yeux de sa mère, sa démarche ferme, une élégance à faire taire la mer. Une fille comme sa mère, ou un garçon qui aurait connu l'amour de deux êtres qui s'aiment vraiment.

Quelque chose se blottit contre la porte de la chambre, je sursautai. Je me retournai, elle dormait paisiblement. Je la réveillai, l'embrassai, la serrai très fort. Un verre de trop et tout un rêve s'écroulerait.