Plus noir que le noir

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Peu importe, je me demande qui a éteint la lumière ? Qui m’a coupé le souffle ? Qui est-ce qui m’étrangle tenant ma gorge dans ses mains ? ou est-ce mes mains ? Est-ce moi qui ai éteint la lumière sans me rendre compte, ou étais-je conscient mais je ne voulais pas l’admettre ? Est-ce Dieu qui me teste ? Ou est-ce les autres avec leurs regards et pensées qui m’ont aveuglé ou est-ce moi qui ai fermé les yeux et ai préféré le noir à la lumière ? Dans le froid des nuits passées j’y suis, dans la noirceur des jours je respire, et dans mes cauchemars à l’infini je vis. Je garde les yeux fermés par peur de revoir ce qu’on ne veut revoir. Ce n’était pas toujours le cas bien sûr, il fût un temps où le monde était si blanc qu’on arrivait à percevoir les anges dans les cieux, où on pouvait sentir l’odeur des milles bouquets de roses, où on pouvait sentir chaque rayon de soleil pénétrant notre cœur ainsi le réchauffant, où on pouvait écouter les milles et une mélodies de la nature. Un temps où je courais dans les plaines colorées par toutes les couleurs qu’on puisse imaginer, que j’oublie un par un, chaque jour passé dans le noir. Je me rappelle que je courais, jouais, respirais la joie de vivre jusqu’au jour où cette flèche aussi noire que le charbon m’a ciblé plein dans le mile. Ce jour où j’ai regardé pour la dernière fois le dernier rayon de soleil avant que je ne ferme les yeux. J’ai pu sentir la froideur de la flèche pénétrant la chaleur de mon cœur, je pouvais sentir mon sang se gelait et mes pensées se figeaient. Je pouvais sentir la colère et la folie qui me montaient à la tête, la raison et la peur qui les bloquaient. J’ai réouvert les yeux et le monde n’était plus le même, il y avait des arbres noirs, des rivières à peine reconnaissables et des tulipes noires par milliers. Je pouvais voir l’infinité de l’univers et sa noirceur. Les étoiles qui s’illuminaient en noir et la terre dans mes mains était encore plus sombre. J’ai cligné des yeux mais rien n’a changé. J’étais condamné à rester dans ce monde. Je n’arrivais pas à demander de l’aide, ni crier, je n’avais pas le choix. Je devais m’adapter. Je devais survivre. Alors j’ai continué à vivre dans le noir comme si c’était le seul monde que j’ai connu. J’ai appris à me réchauffer du froid et à mieux voir dans le noir. J’ai appris à réfléchir et à me reconstruire. J’ai construit des murailles et des tours et des gardes et des assassins et des flèches noires. Je montais la garde sans fin. J’écoutais parfois les rires venant de loin. Alors je doublais mes défenses. J’ai vu des mains tendues vers moi, mais je les poignardais pour qu’elles me laissent tranquille. Comment pourrais-je donner confiance, peut-être qu’elles portaient elles aussi des flèches noires. Je devais survivre en ayant cette flèche encore en moi. J’ai essayé de l’enlever mais la douleur était énorme que je ne pouvais supporter. Et chaque fois que j’essayais, la vie me devenait plus difficile à supporter comme si le noir devenait plus noir. Comme si on pouvait mourir après la mort. Il fallait survivre, c’était mon objectif. Et j’ai survécu pendant presque dix années jusqu’au jour où je me réveille en trouvant sous cet arbre en haut de la falaise un cheval blanc, j’étais tellement effrayé que j’ai couru dans le chemin inverse, aussi loin que je pouvais, mais à chaque fois que je réouvrais les yeux je le trouvais sous cet arbre. Au début, je croyais avoir peur du blanc et de la lumière qu’il dégageait mais après un certain temps j’ai compris que j’avais peur que si je le touchais je le rendrais noir, aussi noir que je le suis. Alors parfois je le regardais de loin, j’avais même peur de le noircir avec mon seul regard. Je le contemplais par curiosité. Peut-être voulant me rappeler le monde que j’avais laissé il y a ainsi des années. Je ne savais plus vraiment qui étais-je ou que voulais-je ou que serais-je. Sous cet arbre, il ne bougeait pas comme s’il m’attendait. Mais pourquoi il le ferait ? Et si je le touchais ? Je le rendrais noir. Ça me suffisait vraiment de le regarder ainsi de loin, au moins j’avais ainsi un point blanc dans un noir infini. Je n’arrêtais pas de réfléchir. Et si c’était un piège ou un test divin. Je devais accepter ce que j’avais et où j’étais. Accepter est une chose qui n’est pas facile à faire même si plusieurs courageusement s’y résignent. Qui d’entre nous n’a pas accepté un fait ou un passé, une heure ou un malheur. Il m’est devenu plus facile de vivre ainsi que de penser à m’en sortir. Etais-je en train de me mentir ? Etais-je en train d’enfoncer la flèche au lieu de l’enlever ? Suis-je en train de trouver un plaisir à me souffrir ? Tant de questions avant de dormir ! Le lendemain en ouvrant les yeux, une lueur blanche se trouva à côté de moi. C’était lui, le cheval blanc, qui s’approcha de moi. J’étais terrifié à l’idée de me tromper, de regretter mon geste, de ne pas accepter ce qui se passera. J’ai tendu la main et ce qui devait se produire s’est produit...