Noitpecni

«Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Ou peut-être que je suis devenus aveugle. Je ne sais pas.»
Ce furent les dernières pensées cohérentes de Fama avant que ne commence sa décente progressive dans les abîmes d'une folie paranoïaque. Il prit conscience dans le noir total, sombre et dérangeant. Une nuit d'encre, si noire qu'elle vous donnait l'impression d'avoir en son sein des nuances, comme un amas de volute de fumée effectuant une danse dont le secret chorégraphique n'appartient qu'à l'obscurité. Il ne voyait rien, les bruits se limitaient au son de sa respiration, le sifflement tortueux d'un vent lointain et les pulsations de son cœur, lui rappelant un épisode cauchemardesque de sa vie. En prenant conscience dans cet obscurité abyssale, ses souvenirs le ramenèrent dans les sombres cellules du tristement célèbre Camp Boiro, l'enfer des traîtres patriotes d'une nation affligée des conséquences de la colonisation dans une ère de mondialisation. Depuis Camp Boiro où l'avait mené son patriotisme, Fama n'osait fermer les yeux, car ses démons l'attendaient de l'autre côté. Là maintenant, il aurait aimé savoir s'il avait les yeux ouverts pour pouvoir les fermer afin d'échapper aux ténèbres qu'étaient devenues son univers. Plus le temps passait, plus le manque de repère visuel devenait dérangeant, et plus l'obscurité devenait hostile. Durant l'éternité d'un instant, il revécu avec plus de couleurs, les horreurs d'un passé présent. Fama était brave et fier, ce qui ne l'empêcha pas de chanter comme une truie lorsque le scalpel du bourreau avait entamé sa peau. Le plus brave des héros vous chantera votre musique préférée sous la torture adéquate, Fama, durant son séjour infernal qui dura plus d'une décennie, ne l'avait que trop bien compris, il aurait pourtant choisi d'y passer l'éternité si cela pouvait lui permettre de s'évader de son cauchemar. Dans ce trou noir qui absorbait tout, absolument tout, y compris ses propres rayonnements, Fama, âme meurtrie, patriote engagé et toujours prêt à défendre sa patrie contre l'oppression, se senti absorbé à son tour dans ce tourbillon, pour se réveiller sur les bancs d'un stade au milieu d'une foule, avec une impression de déjà-vu. Un autre souvenir qu'il ignorait, perdu qu'il était dans un cauchemar continu. Une belle journée qu'il pensait, accompagné qu'il était de sa fille unique Binta, en qui vivait en plus intense la flamme du patriotisme, la fierté d'être noire et guinéenne, l'espoir d'une Guinée prospère et d'une Afrique unie. Une belle journée que c'était, une tragédie que ça finit, celle du massacre du 28 Septembre. Il revécu, comme pour la première fois, sa paralysie lorsque les militaires envahirent le stade, et que retentirent les premières coups de feu suivies des corps qui chutaient en écho aux détonations comme un effet domino. Il revécu son impuissance, lorsque deux soldats entreprirent de maintenir au sol une femme, la trentaine, en panique, les yeux écarquillés d'effroi et complètement terrorisée, tandis qu'un troisième, arrêté entre ses jambes écartées de force, défaisait sa ceinture dans l'objectif évident de violer cette pauvre qui, comme des milliers d'autres, avait eu le malheur de répondre à l'appel d'un politique. Les cris de la femme étaient noyés dans la cacophonie de milliers de personnes en panique, fuyant la barbarie de leurs protecteurs. Comme dans un brouillard particulièrement dense, Fama réalisa avec horreur que cette femme qui se faisait besogner à tour de rôle était sa fille. L'impuissance, une impuissance au-delà de la lâcheté, cette même impuissance qui l'avait empêché de venir en aide à ses malheureux camarades et compagnons dont les cris de douleur dans les sombres cellules de Camp Boiro troublaient encore son sommeil, l'obligea à assister au viol organisé de la chair de sa chair. Son esprit était devenu à l'information, ce qu'est le vide à la lumière. Un silence vide s'y était installé, dépourvu de toute volonté d'action, le transportant dans une autre dimension, déconnectée de la réalité, où il n'était plus question de peur, ou de désespoir, ni de résignation, juste un vide émotionnel qui tenait sa conscience figée dans un instant éternel d'indifférence, tandis que la panique régnait en maître autour de lui. La scène s'estompa progressivement, le ramenant dans les ténèbres de sa réalité. C'était différent. D'hostile, l'obscurité était désormais menaçante. Dans ce noir absolu, Mustafa, l'esprit toujours brouillé, mit du temps à identifier l'élément nouveau. Le silence, un silence à vous pousser un homme dans la folie. Il était revenu du chaos de ses souvenirs, mais pas son ouïe. Il n'entendait plus rien, même pas le son de sa respiration. Tout se perd sans repère, visuel et sonore, l'imagination s'enflamme, et vous découvrez que le silence est plus dangereux qu'un champ de bataille, vous découvrez que c'est dans l'obscurité silencieuse que vit la déesse de la torture, l'une des filles jumelles de l'imaginaire et la mémoire. Les ténèbres environnantes étaient d'un coup devenues froidement terrifiantes, oppressantes et pleines de menaces, donnant vie à ses pires cauchemars, dans une réalité où la denrée la plus abondante est le temps, comme une préparation à l'inimaginable souffrance physique et émotionnelle qui l'attendait, l'invitant à s'abandonner à la folie profonde, seule capable de comprendre la promesse faite pour y échapper. Dans chaque direction tapissaient un monstre, le condamnant à une immobilité d'atome. Dans cet océan de ténèbres vide de bruits, Fama sentit, quelque part sur son corps, le toucher tâtonnant et gluant d'un monstre invisible, et avant même que son esprit est localisé le membre touché, sa vessie lâcha, son pantalon mouilla et un cri, pure et instinctif, né de la paranoïa, sorti de son gosier pour exprimer la terreur d'un homme brisé par les horreurs de l'existence. Ce cri prolongé par un souffle trop longtemps retenu, l'accompagna à son réveil, dans une chambre futuriste, décorée avec goût, baignée dans une atmosphère douce et une lumière apaisante, estompant petit à petit ses horribles souvenirs. Rien qu'un rêve abominable, tenta t-il de se convaincre. Il se leva pour s'asseoir, et un ''Bordel de merde'' lui échappa en constatant que le pantalon mouillé n'était pas qu'un rêve. Il eut juste le temps de s'étonner de son vocabulaire, avant de remarquer son environnement à la fois familier et étranger. Un journal sur sa table de chevet attira son attention, il s'en saisit. Date de parution, dix-huitième année de l'Empire, à la page d'afiche ; une photographie d'un monument de statues taille réelle de plusieurs individus, alignés sur les escaliers d'une pyramide à quatre faces, aux côtés incurvés, au sommet plat heptagonal, où se trouvaient sept autres statues habillées en guerrier, entourant une estrade circulaire où trônait une statue de lumière, plus que grandeur nature, d'une personne de sexe impossible à identifier, à cause de la douce lumière qu'elle diffusait, au milieu d'un parc magnifique. Sur la face photographiée du monument, Fama ressentit un bref sentiment de fierté en reconnaissant les visages de trois compatriotes dont Lamine Guirassy, Kerfala personnes Camara et Ingénieur Youke. La photographie était surlignée en gras italique, '' Inauguration du parc des Héros de l'Empire''. Après la fierté vînt l'incompréhension, puis sournoisement le doute s'insinua dans son esprit, puis il remarqua enfin la jeunesse anormale de sa main, et le doute devînt panique, il sortit du lit pour aller se regarder dans un miroir, provoquant la chute d'une pièce de deux centimètres de diamètre, qui se mit à tournoyer sur elle-même, attirant l'attention de Fama dans une dimension où une voix perverse et sadique lui annonça ''bienvenue au paradis''. Le tournoiement de la pièce était captivant, un détail anodin sur un tableau d'horreur, et la pièce continua de tourner, encore et....
Kds'r okzx, Ehmc ld.