Mon épreuve de foi

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Puisse Dieu me guider par sa lumière dans les lignes de ce témoignage.

Samedi 23 Octobre
J’ai fait un rêve. Dans mon rêve, j’ai vu un monde en désolation, s'empêtrer dans les abysses de ténèbres insondables. Il y avait une pluie de sang rouge ; du sang de pécheurs et du sang d’honnêtes personnes. De grosses gouttes lourdes et visqueuses emplissaient la terre entière. Haine et violence faisaient office d’amour et de paix, la nuit était le jour et le jour la nuit. La société morne, vile et cruelle prônait le pouvoir et la force, la vertu s’effritait pour laisser sa place au vice. Les hommes se livrèrent à la des pratiques débauchées amenant la nature humaine au ravin de la perdition. Devant cette hécatombe angoissante, je recherchai malgré l’étouffante fièvre cadavérique présente un semblant de bonté, mais rien. Que des gémissements, que des pleurs, que des ténèbres.

Dimanche 24 Octobre
J’affectionnais particulièrement le dimanche, jour de sabbat, réservé à l’Éternel. C’était l’occasion pour moi de rencontrer les fidèles de ma paroisse, de discuter avec eux et de m’enquérir de leurs soucis ; de leur parler du Père et de leur faire comprendre ce qu’Est le Père. J’aimais entendre raisonner leurs mélodieuses louanges dans l’enceinte de l’église comme une douce symphonie paisible et réconfortante. J’aimais les bénir en leur donnant l’Eucharistie et en leur apprenant à pardonner et à respecter les lois célestes. Je me considérais comme leur guide, leur lumière, dans ce monde imparfait. Il y a deux ans, quand on m’avait affecté dans ce village, l’archevêque m’avait ordonné : « Sois leur pont vers la vie éternelle. »

Qu’arrive-t-il quand le pont s’ébranle?
J’étais abattu ce dimanche. En effet, le rêve de la nuit dernière m’empreignait de sa teinte triste et pessimiste. Était-ce un avertissement ? Un futur si désolant ne devait voir le jour. Pour moi, la nature humaine ne devait être révélée à ce point. J’entendis la cloche de l’église résonner. Il était l’heure pour moi de prêcher la bonne nouvelle, couvert de ma toge, de ma foi et de mon sourire.

Samedi 30 Octobre
Ce jour-là, Sœur Gisèle m’avertit de la venue d’une nouvelle sœur pour la remplacer à mes côtés, enfin, temporairement. La nouvelle, Sœur Éléonore ressemblait beaucoup à sœur Gisèle : minutieuse et méticuleuse. Elle était douée pour le ménage et ses plats furent pour le moins qu’on puisse dire affriolants.
Pourtant, elle m’intriguait!

Les jours eux, passèrent ternes les uns plus que les autres. Quand il y a un doute, plus rien ne va. Alors j’ai appris tout au long de ma formation spirituelle à ne pas douter de moi. À ne pas douter du Père. Être discipliné, s’ouvrir à Dieu. Ses commandements, Sa loi furent le roc auquel je m’accrochais pour ne point fléchir. Ils étaient une barrière contre le péché et par eux, je devais transcender ma qualité même d’homme pour atteindre la vie éternelle. Ma chair d’homme et de pécheur flétrirait ainsi pour laisser place au manteau de lumière que me promettait une vie pleinement pieuse. C’est la dimension à laquelle j’aspirais.

Samedi 6 Novembre
Une certaine inquiétude régnait dans ma chambre cette nuit-là. Je ne m’habituais pas à la peine et l’angoisse que me conférais mes réflexions ténébreuses. J’envisageais me référer aux confrères théologiens, mieux outillés pour m’aider. Cependant si je passais pour un fou, je risquais de perdre ma paroisse. Je m’engouffrai alors dans mes pensées quand soudain, trois coups retentirent à ma porte avec un acharnement mal contenu.
« Qui est ce ? Dis-je, machinalement essayant de dissimuler la terreur à laquelle je fis proie.
_ C’est moi, Sœur Éléonore, fis une voix fluette de l’autre côté de la porte.
Il était minuit passé. Je m’accusai de m’apeurer pour un rien. J’ouvris la porte et je la vis, Sœur Éléonore tenant en main une carafe d’eau.
_ Je vous remercie ma sœur mais la dernière carafe est toujours pleine. Ça ira pour la nuit.
_ Je ne suis pas venu pour ça, mon Père.
Elle entra dans la pièce.
_ J’aimerais que vous m’aidiez, mon Père! Depuis que je sers ici, je suis en proie, à des pensées pas très, oh, catholiques. Il y a comme un gouffre, un vide que je ressens fortement et que j’ai besoin de remplir. Même à moitié, cela ne suffira pas.
_ Retournez dans votre chambre, Sœur Éléonore et priez ! Emplissez votre gouffre de votre foi pour le Seigneur et vous n’en sortirez qu’abondante de grâces !
Elle sourit.
_ Mon père...

Puis retirant son voile, et par-dessus tout, sa robe, elle dévoila une fresque qui m’était inconnue, un présentoir de luxures et de pratiques qui m’étaient interdites par la religion. Le péché prit forme devant moi. Je ne devais pas le voir, ni le toucher. Je reculai et me retournai.
_ Savez-vous qui êtes- vous entrain de trahir ? Rhabillez-vous tout de suite et sortez d’ici ! vociférai-je, empreint à la colère. Du moins, vociférai-je intérieurement. » Parce que mes mots s’étouffèrent dans les méandres de ma gorge. Je n’arrivais en effet plus à parler. Quel sentiment ! Quelle oppression ! Elle s’avança vers moi (je n’étais même plus maitre de mes mouvements), feignant une féline. J’étais terrifié... Et excité ! Malheur ! Je ne contrôlais plus l’indécence de mon être, j’avais envie de l’enlacer, de me mettre en tenue d’Ève aussi. Pardonnez- moi mon Père. Je ne sais pas ce que j’ai fait. Ses seins m’effleurèrent le torse. Mon esprit résista, mais pas mon corps. Il chercha à s’exuler mais n’y arriva pas. En proie aux spasmes, mon corps tenta d’exprimer du dégout mais en vain.
Le rythme, l’impudence, la gravité de la situation. Je perdis cette nuit, ma vie et ma lumière sans aucune résistance. Ma lumière faisait désormais partie des ténèbres. Je m’évanouis, quand je repris le contrôle de mes mouvements.

D’immensurables folies s’emparèrent de moi, d’obscures pensées, un doute. Toujours lui!
Je sais bien que personne ne croira à mon histoire. Il y a peu de personnes qui croient vraiment au bien, alors croire au mal?
Sœur Éléonore paraissait tel un démon, la personnification du mal. Peut-être que c’était l’ultime épreuve qu’Il me présentait. Je devais protéger les gens de ma paroisse. Dans un dernier effort, je couperais la mauvaise herbe à sa racine.

En cette nuitée du dimanche, je me saisis du flacon d’eau bénite, de ma croix et d’un peu de foi et me rendis dans la chambre de Sœur Éléonore. Elle était debout dans son lit et me regardait d’un air diabolique.
« Que le Seigneur vous bénisse, sœur Éléonore, vociférai-je, pour me donner du courage, comme un cri de guerre.
_ Oh je suis pleine de bénédictions mon père !
Cette femme n’était pas normale, ma foi me le dictait. Alors je l’aspergeai d’eau bénite et je commençai avec ferveur le “ Notre Père”. Je criai, ne laissant pas de doutes s’infiltrer, fermant les yeux pour sacraliser... Y-avait-t-il du feu ? S’embrasait-elle ? Non ! Elle se déshabilla, encore. Impudique ! Coquine ! D’où venait cette créature du mal?
Je me devais de continuer à me battre. Faire vite. L’empêcher de m’avoir une seconde fois. Mais sa tenue d’Ève me distrayait!
Alors sous ma soutane, je retirai un objet que j’avais pris en passant par la cuisine, un couteau de cuisine. Mon épée !
Éléonore me faisait dos, se cambrant avec une indécence sans pareil. Alors, je me ruai sur elle avec le couteau qui lui traversa littéralement la gorge. Le sang gicla un peu partout dans la pièce, Éléonore gigota, agonisant. Elle n’était pas morte sur le coup ! Le mal était tenace, tendait à être rémanent. Mais l’épée de Dieu est immuable, finit toujours son œuvre contre le mal. Alors je m’approchai. Un coup, deux coups. Au ventre. Je me lançai pour le dernier coup, pour la victoire finale, mais j’entendis des balbutiements. Éléonore balbutiait d’une voix suppliante et différente. L'aura méphistolique autour de nous disparut laissant la place à des cris de douleur d'une âme de Dieu qui s'en allait par ma faute.