Comme d’habitude, ils allaient devoir attendre ! Elle avait subi une éducation rigide qui imposait au moins un quart d’heure d’avance au moindre rendez-vous pour ne pas ressenti... [+]
Habiter dans une grande ville apporte quelques avantages non négligeables, certes, mais on a souvent l'impression d'étouffer au milieu de toutes ces constructions. Voilà pourquoi beaucoup de citadins apprécient tant leur semaine en hiver à la montagne où ils ont la sensation de se régénérer en prenant de grands bols d'air et cela quelques soient les conditions météorologiques !
Déjà 17 heures ! Le soleil disparaît derrière la montagne et les pistes de ski de la charmante station familiale ferment. Les quatre personnes, les parents et leurs deux adolescents, rejoignent leur studio tout proche. Chacun désire profiter de la dernière soirée du séjour.
18 heures 30. Comme chaque vendredi, dans la salle des fêtes, après la remise des récompenses, on aligne les chaises, on descend l’écran et on dispose les deux haut-parleurs de chaque côté sur des tables. À vingt heures trente, ce soir-là, on projette « Le Cinquième Élément » ! C’est ambitieux car l’écran de la salle est trop petit. Qu’à cela ne tienne ! On le rallonge avec des draps tendus !
19 heures. Des vacances de rêve, cela se termine par un joyeux dîner au restaurant ! Cette tartiflette ils l’ont bien méritée !
20 heures. La dernière bouchée avalée, direction la salle de projection ! Bien sûr ce film ils l’ont déjà vu et dans un grand complexe cinématographique ! Mais quel plaisir d’entendre le roulement, le cliquetis et le souffle du projecteur, le son quelque peu crachotant des haut-parleurs plus ou moins stables, d’assister au changement de bobine dans la salle rallumée...C’est comme ouvrir une malle au grenier et s’amuser avec des jouets anciens et défraîchis, dénicher un trésor dans une brocante, visiter son ancienne école au parfum si particulier...
23 heures. Le film terminé, la salle comble se vide rapidement de sa cinquantaine de spectateurs. Un groupe étiré s’engage dans une rue étroite, en pente, enneigée et encaissée entre deux alignements d’hôtels, de magasins et de loueurs de matériel. Le spectacle est féérique : la neige fraîche, en couche épaisse, qui recouvre la chaussée sans trottoir reflète la puissante lumière jaune dispensée par l’éclairage public qui la pare d’une magnifique teinte dorée. Les vitrines qui restent allumées toute la nuit font scintiller les stalactites de glace le long des toits. La famille marche en tête. La maman et sa fille, absorbées par leur discussion ont pris de l’avance. Arrivées au milieu de la pente, elles se retournent en riant pour observer les « garçons », comme toujours occupés à préparer des boules de neige.
Venue du fond de l’enfer plutôt que du village voisin, une voiture, à peine audible car la neige épaisse étouffe le bruit du moteur, s’engage à toute allure dans la ruelle qui n’est pas vide à cette heure tardive comme le conducteur le pensait, loin de là ! C’est une vraie piste de bowling ! À cette vitesse et sans pneus adaptés il ne peut ni freiner brutalement ni donner un coup de volant sinon «strike» ! Cette adolescente juste devant lui, il ne pourra pas l’éviter ! Elle lui tourne le dos et il va si vite dans cette rue pentue et glissante ! Il se couche sur le klaxon en hurlant : « Bouuuuuuge !!!! ».
Merci ancestral instinct de protection ! Elle est pourtant grande sa fille, mais en la voyant un peu trop avancée sur la chaussée la maman n’a pas pu s’empêcher de jeter un coup d’œil par-dessus son épaule pour vérifier qu’elle ne risquait rien tout en se morigénant car la neige rend tout le monde prudent. Plus tard, elle analysera les images qui se sont télescopées sous son crâne en une fraction de seconde et ont déclenché sa fulgurante réaction : la présence et la vitesse insensée d’une voiture dans ces conditions, le goulet d’étranglement que forme cette rue sans trottoir, la couche de neige et sa fille sur la trajectoire. Dans un mouvement rotatif de tout son corps, elle empoigne son enfant (quinze ans quand même) et elle l’envoie contre le mur de l’hôtel. Le « vent du boulet » les frôle toutes les deux à l’instant exact où l’avertisseur commence à déchirer le silence. Les autres spectateurs, un peu en retrait donc alertés juste à temps par le klaxon, ont réussi à se plaquer contre un bâtiment.
Pendant quelques longues secondes la montagne est en apnée. Aucun mouvement. Tout le monde est figé sur place. Aucun bruit. Les gorges sont serrées et le moteur s’est tu. De chaque côté de la rue : des passants hébétés. En haut : la maman qui calme les battements de son cœur et la fille qui commence à comprendre pourquoi sa mère l’a brutalement expédiée sur un mur. En bas : la voiture enfin arrêtée. Au volant : le chauffard tétanisé. Le tout baignant dans une ambiance dorée. L’air devient lourd, oppressant. Les respirations sont difficiles dans les poitrines bloquées par le stress. La moindre étincelle mettrait le feu aux poudres. Tous les regards sont fixés sur la voiture. Il suffirait d’un rien pour que survienne alors un véritable carnage.
Si un peu de temps s’écoulait, la peur déclencherait chez toutes les personnes présentes, actuellement paralysées, une montée d’adrénaline galvanisant chaque paisible vacancier qui muterait facilement en un héros vengeur prêt à en découdre avec ce meurtrier potentiel. Si un seul meneur de troupe, qu’il ait été ou non véritablement en danger, en donnait le signal tout le groupe se lancerait à l’assaut. Si le « coupable » sortait de son abri et prononçait un mot, un seul mot, le silence lourd, pesant, enveloppant mais aussi immobilisant serait brisé et tout basculerait instantanément.
L’assemblée de victimes potentielles commence d’ailleurs à se mouvoir, certes au ralenti. Telle une armée de zombies, avec lenteur mais coordination, tous se tournent vers la voiture et commencent à faire quelques pas, yeux et oreilles grands ouverts, en respirant progressivement à l’unisson.
Heureusement, à cet instant, le chauffeur reprend ses esprits. D’un seul coup d’œil dans ses rétroviseurs, il réalise que même s’il a eu beaucoup de chance de n’avoir touché personne, il est devenu à son tour la victime potentielle. Le salut est dans la fuite ! Pour ne pas provoquer de mouvement de foule, il redémarre tout doucement et quitte la scène « sur la pointe des roues ». Après un long concert de noms d’oiseaux libérateur, tous les rescapés rejoignent enfin leur domicile mais en rasant les murs, aux aguets et contrariés de ne pas avoir eu le réflexe de relever le numéro de cet assassin en puissance.
Déjà 17 heures ! Le soleil disparaît derrière la montagne et les pistes de ski de la charmante station familiale ferment. Les quatre personnes, les parents et leurs deux adolescents, rejoignent leur studio tout proche. Chacun désire profiter de la dernière soirée du séjour.
18 heures 30. Comme chaque vendredi, dans la salle des fêtes, après la remise des récompenses, on aligne les chaises, on descend l’écran et on dispose les deux haut-parleurs de chaque côté sur des tables. À vingt heures trente, ce soir-là, on projette « Le Cinquième Élément » ! C’est ambitieux car l’écran de la salle est trop petit. Qu’à cela ne tienne ! On le rallonge avec des draps tendus !
19 heures. Des vacances de rêve, cela se termine par un joyeux dîner au restaurant ! Cette tartiflette ils l’ont bien méritée !
20 heures. La dernière bouchée avalée, direction la salle de projection ! Bien sûr ce film ils l’ont déjà vu et dans un grand complexe cinématographique ! Mais quel plaisir d’entendre le roulement, le cliquetis et le souffle du projecteur, le son quelque peu crachotant des haut-parleurs plus ou moins stables, d’assister au changement de bobine dans la salle rallumée...C’est comme ouvrir une malle au grenier et s’amuser avec des jouets anciens et défraîchis, dénicher un trésor dans une brocante, visiter son ancienne école au parfum si particulier...
23 heures. Le film terminé, la salle comble se vide rapidement de sa cinquantaine de spectateurs. Un groupe étiré s’engage dans une rue étroite, en pente, enneigée et encaissée entre deux alignements d’hôtels, de magasins et de loueurs de matériel. Le spectacle est féérique : la neige fraîche, en couche épaisse, qui recouvre la chaussée sans trottoir reflète la puissante lumière jaune dispensée par l’éclairage public qui la pare d’une magnifique teinte dorée. Les vitrines qui restent allumées toute la nuit font scintiller les stalactites de glace le long des toits. La famille marche en tête. La maman et sa fille, absorbées par leur discussion ont pris de l’avance. Arrivées au milieu de la pente, elles se retournent en riant pour observer les « garçons », comme toujours occupés à préparer des boules de neige.
Venue du fond de l’enfer plutôt que du village voisin, une voiture, à peine audible car la neige épaisse étouffe le bruit du moteur, s’engage à toute allure dans la ruelle qui n’est pas vide à cette heure tardive comme le conducteur le pensait, loin de là ! C’est une vraie piste de bowling ! À cette vitesse et sans pneus adaptés il ne peut ni freiner brutalement ni donner un coup de volant sinon «strike» ! Cette adolescente juste devant lui, il ne pourra pas l’éviter ! Elle lui tourne le dos et il va si vite dans cette rue pentue et glissante ! Il se couche sur le klaxon en hurlant : « Bouuuuuuge !!!! ».
Merci ancestral instinct de protection ! Elle est pourtant grande sa fille, mais en la voyant un peu trop avancée sur la chaussée la maman n’a pas pu s’empêcher de jeter un coup d’œil par-dessus son épaule pour vérifier qu’elle ne risquait rien tout en se morigénant car la neige rend tout le monde prudent. Plus tard, elle analysera les images qui se sont télescopées sous son crâne en une fraction de seconde et ont déclenché sa fulgurante réaction : la présence et la vitesse insensée d’une voiture dans ces conditions, le goulet d’étranglement que forme cette rue sans trottoir, la couche de neige et sa fille sur la trajectoire. Dans un mouvement rotatif de tout son corps, elle empoigne son enfant (quinze ans quand même) et elle l’envoie contre le mur de l’hôtel. Le « vent du boulet » les frôle toutes les deux à l’instant exact où l’avertisseur commence à déchirer le silence. Les autres spectateurs, un peu en retrait donc alertés juste à temps par le klaxon, ont réussi à se plaquer contre un bâtiment.
Pendant quelques longues secondes la montagne est en apnée. Aucun mouvement. Tout le monde est figé sur place. Aucun bruit. Les gorges sont serrées et le moteur s’est tu. De chaque côté de la rue : des passants hébétés. En haut : la maman qui calme les battements de son cœur et la fille qui commence à comprendre pourquoi sa mère l’a brutalement expédiée sur un mur. En bas : la voiture enfin arrêtée. Au volant : le chauffard tétanisé. Le tout baignant dans une ambiance dorée. L’air devient lourd, oppressant. Les respirations sont difficiles dans les poitrines bloquées par le stress. La moindre étincelle mettrait le feu aux poudres. Tous les regards sont fixés sur la voiture. Il suffirait d’un rien pour que survienne alors un véritable carnage.
Si un peu de temps s’écoulait, la peur déclencherait chez toutes les personnes présentes, actuellement paralysées, une montée d’adrénaline galvanisant chaque paisible vacancier qui muterait facilement en un héros vengeur prêt à en découdre avec ce meurtrier potentiel. Si un seul meneur de troupe, qu’il ait été ou non véritablement en danger, en donnait le signal tout le groupe se lancerait à l’assaut. Si le « coupable » sortait de son abri et prononçait un mot, un seul mot, le silence lourd, pesant, enveloppant mais aussi immobilisant serait brisé et tout basculerait instantanément.
L’assemblée de victimes potentielles commence d’ailleurs à se mouvoir, certes au ralenti. Telle une armée de zombies, avec lenteur mais coordination, tous se tournent vers la voiture et commencent à faire quelques pas, yeux et oreilles grands ouverts, en respirant progressivement à l’unisson.
Heureusement, à cet instant, le chauffeur reprend ses esprits. D’un seul coup d’œil dans ses rétroviseurs, il réalise que même s’il a eu beaucoup de chance de n’avoir touché personne, il est devenu à son tour la victime potentielle. Le salut est dans la fuite ! Pour ne pas provoquer de mouvement de foule, il redémarre tout doucement et quitte la scène « sur la pointe des roues ». Après un long concert de noms d’oiseaux libérateur, tous les rescapés rejoignent enfin leur domicile mais en rasant les murs, aux aguets et contrariés de ne pas avoir eu le réflexe de relever le numéro de cet assassin en puissance.
Ceci dit, une fois, un chauffeur a renversé, sans le blesser heureusement, un de mes enfants, âgé de cinq ou six ans, sur un passage protégé. Je lui donnais la main, il m'a échappé et a couru sur la chaussée. Comme je me promenais avec quatre enfants, les spectateurs présents sont venus m'insulter. Seul l'automobiliste, confus, a été aimable; il est venu me présenter ses excuses. j'étais sous le choc je n'ai pas su me défendre, je me suis laissée agresser verbalement.
Suite à cet événement, J'ai eu très peur des voitures durant plusieurs années. Je crois que si ma peur s'est calmée, c'est seulement parce que je ne me promène plus en ville avec un jeune enfant.