Le tord de grand-père

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux ?
Quel sentiment existe-t-il à l’intermédiaire du bonheur et du malheur ? J’ai eu un bel entretien avec mon grand-père parti il y a longtemps. Dans la surprise de le revoir en forme et la lenteur de l’accepter pour réel, mon cœur était perdu dans la confusion du vrai et du faux. Ému, j’étais dans le désir réceptif d’entendre une parabole figurative ; et lui, semblait d’un vif plaisir à étendre une parole constructive.

Après un petit échange de quelques mots de retrouvailles, il lance dans une exclamation dépourvue de détail : « Que vous êtes bénis, gens de cette génération ! »
- Que cela signifie-t-il ? disais-je. Espérant trouver auprès de lui une sagesse inspirée d’aïeux pour donner une conduite de vie à sa descendance, mon attente était perplexe.
- Ecoute, poursuit-il, la science et la technologie ont prouvé une hardiesse conspirée par des courageux pour innover jusqu’à faciliter la vie. Elles démontrent un haut niveau de réflexe.

De nombreuses affirmations que faisait le vieillard, j’ai facilement et sans effort remarqué son intention de louer la science et ses réalisations exprimant reconnaissance et félicitations. Je n’étais pas totalement d’accord dans ma conscience et je voulais placer de l’opposition. Dans la suite de cette situation, la cadence continuait dans la contradiction. C’est alors qu’il dit ensuite : « L’ère de la science est au top et c’est en vrai une moitié du paradis ». Ce que j’ai nié répondant que cette ère est la nôtre et qu’il y a quelque chose qu’il n’a pas dit.

J’ai continué en disant que la science a certes accompli beaucoup de bienfaits, mais qu’il s’ensuit aussi de pertes et d’innombrables méfaits. Elle fabrique les armes et les bombes, ce qui détruit les âmes et les envoient à la tombe. Est-ce là le somptueux exemple du respect de la dignité humaine ? C’est plutôt honteux, nous sommes crispés à cause de cette cruauté vilaine. Aussi vrai soit-il qu’il y a de grands faits, le dérèglement est tout de même évident.

Le temps était maussade, Papy était pâle et me fixait avec attention. Debout en face, je n’arrêtais pas d’argumenter sur la complexité de notre échange. Je savais qu’il y a une bonne part de vérité dans ses propos par rapport aux apports de la science et de la technologie qui sont un support fort bénéfique de vie contemporaine. La conviction de grand-père n’est pas totalement erronée. Les avancées de la science ont résolu nombreux problèmes de la société. Mais ne voir que cela reviendrait à vouloir cuire un mets moyennant le feu de la bougie tellement on est flatté par sa lumière et sa flamme. Je trouvais exagéré de la part de grand-père de prendre notre temps pour le plus magnifique. Je lui ai demandé s’il n’aimerait pas revivre ces moments où les gens s’aiment vraiment ; s’entraident humainement ; mangent naturellement ; vivent ensemble ; partagent autour d’un feu réglant amicalement toute souche de dispute... N’est-ce pas fabuleux de vivre la vie sans peine ni remords respectant ses semblables et sans nuire à la nature. Faisant preuve d’une grande constance, il était visiblement excité à un refus apparent de ce que je disais. Mais il ne pouvait pas tout nier, car ses yeux devenaient involontairement humides alors que la face décontractait. Il se rappelle sans doute du bon vieux temps. Quelques minutes sont passées avant qu’il lance un beau petit tacle expressif qui, encore une fois, sous-tendait une acclamation à l’expansion scientifique.

- C’est l’époque ingénieusement éclairée avec ampleur ; a-t-il dit avant d’ajouter que la jeunesse devrait de loin s’épanouir.
Je ne désirais plus en parler longuement. Je commençais à m’ennuyer. Mais en voyant combien Papy y tenait, changer d’emblée de sujet serait difficile et déplacé. C’était bien plus compliqué du fait que nous n’arrivions pas à garder même langage. Cette fois, ma réponse avait été singulière car ne pouvant pas impliquer tous les jeunes gens. Une idée m’est passé par la tête : « Pourquoi ceci me torture. Est-ce pour voir la place de la science par rapport à ma rude posture ? Ou une idée dans l’esprit afin que la conscience s’exprime. »
- Eh bien Papy, ai-je dit, un bonhomme de couleur à l’époque des avancées monumentales de la science et de la technologie admettrait-il qu’il est en lumière au moment où l’électricité et la connectivité demeurent chez lui un luxe ? Accepterait-il qu’il vit la meilleure des époques quand bien même l’éducation est faible et les structures d’enseignement inadéquates et sans bourse ? Ne pas accepter amplement que je suis dans le noir, ce serait un leurre et une moquerie face à la lumière. Il est vrai qu’en moi j’ai espoir, alors habituellement je fais des prières. Du moment que je m’appliquais à répondre, je sentais une sorte de manquement qu’il fallait rappeler à l’ordre. C’était je crois sa tendance de prendre pour héroïque une action qui fait des victimes.
- Grand-père, j’ai repris ; je suis jeune, mais est-ce le plus bel âge si on le passe en noir entre les murs de sa cage ? Ne dis pas que je ne suis pas sage, en fait comment l’être quand mes ambitions sont sujet au carnage ? Vivre les souffrances flagrantes reste le contexte car je n’ai jamais distingué les nuances flamboyantes du contraste.

Papy a perçu dans mes propos de vinaigre un état d’âme chargé et insatisfait de sa routine. La sagesse du vieux a pris place. Il s’est rapproché davantage plus prêt et m’a pris par la main. J’étais à bout avec une grosse montée dans la gorge comme un feu qui embrase au-dedans de la poitrine. Le rythme de mon cœur était en vitesse avec difficulté de respirer profondément. L’irritation mêlée à un autre sentiment m’habillaient. C’était mêlé à de la victimisation peut-être, ou au désir profond de vouloir s’affirmer et s’assumer. Mais les mots ne lui ont pas manqués pour me dire combien j’ai à être fier malgré tout.
- Le noir est le zénith du sombre. Tu n’es pas dans le noir. Tu es dans les hauts et les bas de l’existence et tu n’as pas du tout tord de croire que tôt ou tard tu retrouveras résilience. Mon plaisir était de lui tendre oreille attentive. Il a dit : « Ne sais-tu pas que le sentiment de manque produit le désir d’avoir ? Et que la plus haute dimension de la conscience est le savoir ? Pendant que toi, tu es déjà conscient de ta vie dans le noir. Alors tu as à te munir de toute bonne arme pour le dissiper au loin. Newton n’avait-il pas raison de dire combien la réaction est conséquente. » D’ailleurs, ajouta-t-il, d’un autre avis tu n’es pas dans le noir. J’étais surpris d’entendre cette ironie qui paraissait plus réconfortante que logiquement réelle. Mais ce que Papy en a dit avait tout de même du fondement. Il a continué en ces termes : « Comment dire que tu es dans le noir alors que tu as l’esprit éclairé ? Éclairé par les vertus et les valeurs et ayant un cœur de bon contenu et de pure grandeur. »

De la sagesse de Papy je m’apaisais promptement. Avec un air tout sérieux, il me dit de bien retenir qu’un jeune Africain ou un jeune de partout ailleurs devrait lutter avec l’amour et le travail ; armes dont aucun mal ne résiste. La jeunesse reflète vigueur et charme ; et dans la force de sa rigueur, il évite les larmes. En partant il ajoute : « Cela est une ressource de fiabilité qui illumine les voies des désireux et une source d’efficacité qui allume le feu des nécessiteux. C’est le véritable espoir qui chasse le noir. »
D’un sourire satisfait et confiant, je me réveille d’un coup et je me rends compte qu’il ne s’agissait plus que d’un rêve. Je ne pouvais que m’étonner agréablement quand ma mémoire survolait la scène. C’était à la fois étonnant et étrange, mais incitant au courage. Au bon milieu de ce terrain glissant du « Suis-je dans le noir ? », j’avais alors à bon escient la dissemblance curieuse du « Ne suis-je pas dans la lumière ? ».