La débrouillarde

Comme si j'avais l'ancien monde et le moderne entre les mains, juste à la limite, que je palpais ce retour futuriste à la normale, dans le sens où les êtres humains s'entendraient bien entre eux, où la société, par un biais économique, cesserait de nous faire du mal mais nous révélerait chacun, avec un instinct grégaire universel. Même si l'on parle tous anglais, tant pis... Mère la Terre nous aidera peut-être à garder nos langages locaux. Commencer par se respecter mutuellement, être en collaboration et non en compétition. Espérons que nous plierons mais ne casserons pas. Nous sommes un pays magnifique, nous, habitants ici sur notre planète.
J'oeuvre au métier de tisserande, je fabrique des tapis de laine, en haut de la montagne, là-bas. Des fois, je descends, même en raquettes l'hiver, à la ville. Souvent, je mets un foulard dans mes cheveux, de grandes boucles d'oreilles, une longue jupe et on me prends pour une artiste.
Ce week-end, il va faire beau. Je m'en vais ce matin vers l'atelier et me demande comment je m'habille dimanche à la marche pour la paix. C'est un long voyage jusqu'à la capitale mais c'est le seul engagement qui me procure satisfaction.
Je rejoins mes potes pacifistes au bus sur la place de l'église :
_ Ah ! T'as une bonne bouille aujourd'hui.
_ Ouais ! En pleine forme et vous ?
_ Ca va merci... Pas un nuage, t'as vu ?
_ On est vernis, j'avoue, Manouchka. J'espère qu'il y aura du monde.
_ On va voir. Tu verras, quand on sera vieux, on fera des marches pour l'environnement. On fonce droit dans le mur quand-même, j'ai de ces dossiers dans Science-et-vie ce mois-ci, enchaîne Hugo.
_ Et il va y voir autant de guerres ? s'inquiète Mélodie.
_ Oh, tu sais, tu ne peux même pas savoir à quoi tu vas ressembler dans 30 ans, alors le monde... conclue Hugo.
Dans le gais matin, l'autocar démarre et chacun place son walk-man sur les oreilles. Mélodie me sait signe d'enlever le sien quand Hugo se rendort et elle attrape un carnet où elle écrit : "Je vais bientôt ressembler à un cygne"...
_ Alors ca ! je chuchotte.
_ Oui, Oui. Mais ne me parle pas de mariage, je nous trouve encore jeunes, on n'a pas fini nos études.
_ Boh, ce n'est pas le plus urgent.
_ Pour Hugo, si, ça me barbe déjà de préparer tout ça, je ne sais pas comment je vais m'y prendre. Mes parents sont loin, tu vas m'aider, Manouchka.
_ Ok, pas de problème. Bon, alors, de combien ?
_ Deux mois et demie.
_ C'est vraiment super. Demain, je vais passer à l'institut voir Natalia.
_ Oui, elle va bien ?
_ Bon, je l'ai vue mercredi, alors ils ont des grands lits maintenant et elle me dit qu'elle est amoureuse ; tu sais, elle a un implant contraceptif.
_ Ouah ! J'hallucine, l'institut a fait admettre une vie sexuelle aux déficients mentaux ?
_ Oui et ils ont les clés de leurs chambres pour leurs intimités.
_ Je te promets, je n'en reviens pas. Et bien écoute, si ça peut les épanouir. Oui, oui, oui ! et elle tape dans ces mains, ce qui réveille Hugo :
_ Oh, Hugo, on arrive dans une heure, maintenant.
_ Oui, tu as raison, peux-tu me donner la thermos, s'il te plait ?
_ Tiens, dis mélodie en lui passant le thé.
_ Je veux bien une orange aussi. Manouch', t'en veux ?
_ Félicitations Hugo, ta femme m'a expliqué.
_ Hmm... Et il caresse doucement le ventre de Mélodie délicatement.
_ Vous le connaissez quand, le sexe ?
_ T'occupes, c'est un androgyne. Mais tu peux devenir marraine si tu veux ? Hein, Mélodie ?
_ Oh, chouette !
A la manif, ils ont même chanté Santiano. Puis ils se sont séparés joyeux le soir venu :
_ Je viens demain voir Nat' avec toi, Ok ?
_ Complètement d'accord. Salut !
Natalia est une jeune fille assez autonome, dans la toilette, dans sa façon de gérer ses activités quotidiennes aussi : C'est une lectrice avérée en fin d'après-midi et le soir, le sport le matin et surtout l'art pictural en atelier. Manouchka est toujours ébahie devant la beauté des oeuvres de sa frangine. Bref, elle cherche une solution pour la sortir de l'institut :
_ Nat', j'en parlais juste avant avec Mélodie, on va prendre un duplex en ville à deux, je vais vendre la maison de Mami...
_ Ah bon, répond Natalia avec surprise. Je vais sortir d'ici ? Oh, quel bonheur, Manouchka, viens dans mes bras que je te remercie...
_ Et Sébastien, tu l'oublies ?
_ Oui, il est sorti avec une autre. Mais ce n'est pas grave. J'ai d'autres projets maintenant, non ?
Manouchka en pleure de soulagement.
_ J'aime aussi avoir ce genre d'idées nettes qui sentent la bonne direction. Tu me fais confiance, alors ?
_ Et toi ?
_ On verra bien, Natalia, oui, il faut que l'on est absolument confiance l'une pour l'autre et il n'y a pas de raison. Ne t'inquiètes pas, tu es posée et tu vas y rester, Ok ?
_ Oui, j'espère. Tu sais, je voudrais aller à la bibliothèque, à la piscine, peut-être m'inscrire dans un club de peinture et surtout boire un cocktail un soir, quand il fera beau.
_ Ok, et tu peux même par la suite, te diriger vers un travail à mi-temps.
_ Bon, pour la peine, on va boire un café au distributeur, propose Mélodie.
_ Je vais prendre un rendez-vous avec la directrice du centre et je vais descendre les métiers de tissage ici, on va s'organiser.
Nous sommes à la sortie de l'hiver. Les bourgeons sont là. L'accident a eu lieu au mois de juin. Leurs disparitions pèsent encore très lourd sur mon coeur. Nos parents étaient si doux, personne n'a compris, fauchés en plein bonheur. C'est là que la santé mentale de Natalia s'est dégradée. Elle se tapait la tête contre les murs, se roulait par terre dans sa colère. Après l'intervention des pompiers, elle a été hospitalisée, diagnostiquée schizophrène et placée à l'institut.
_ Je viens de terminer ma deuxième nouvelle, Mélodie, sur un arrêt total planétaire de la dépense carbone inutile.
_ Ah oui, tu m'as fait lire la première, j'ai vachement bien aimé, sur la déforestation et ces parachutistes qui débarquent pour confisquer les bulldozers...
Au sortir de l'hôpital, nos chemins se séparent et j'ai une larme d'émotion, pas très grave. Je me dis que c'est bien, l'amour, qui maintient la planète en un seul morceau, comme mon intuition me l'indiquait. Je me sens sereine à cet instant.