Un pique-nique inoubliable.

Mathématicien de formation, je suis aussi passionné tant bien par l'informatique que par littérature. La poésie, la nouvelle et le roman sont les genres sur lesquels je m'essaie.

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux dans mon cas, c'est du moins ce que j'espère à cet instant précis où je larmoie dans mon océan de sang.

C'était un samedi pâle vers le début des pluies. Les nuages gris entremêlés de blancs roulaient dans le ciel. Les oiseaux migrateurs quant-à-eux défilaient tous heureux au dessus de moi. Sous la poussée du doux parfum qui se dégageait dans les champs, et du vent frais qui sifflait dans les arbres, j'admirais la nature. J'étais allongé sur cette belle verdure dans un milieu très isolé attendant ma compagne et un ami pour une partie de pique-nique. Plus rapide que l'éclair, j'étais arrivé le premier. Allongé comme un serpent digérant sa proie, je pensais à tout et à rien, aux bonnes choses de ce monde, et aux mauvaises aussi. J'aimais bien cette posture qui me transportait vers la contemplation de l'infini et me permettait ainsi de m'isoler du reste de la terre.
Tout à coup, une voix douce, mélodieuse, en parfait accord avec cette beauté des choses se fit entendre. Avec enthousiasme, je l'identifiai : c'était Maëlys ma bien-aimée. Aussitôt, j'accourus vers elle pour la saluer, à ma manière.

Quand je fus près d'elle, je me rendis compte que ce n'était pas elle, juste une fillette toute joviale. Elle était venue ramasser du bois pour sa maman. Désorienté, je retournai où j'étais et regardai l'heure par la suite. Les autres devraient être là depuis longtemps remarquais-je. Inquiet mais encore confiant, je m'assis cette fois sur un rocher noirâtre qui semblait être là pour moi. Ma tête bouillonnait de questions. 《 Pourquoi ne sont-ils pas encore arrivés ? Leur est-il arrivé du mal ? Non, pas à ma Maëlys. Elle est bien assez prudente et intelligente. Et si c'était vrai ? S'ils avaient des problèmes ? Non, pas elle. J'en mourrai. Peut-être que... non ! C'est impossible...》

Je sors mon téléphone et j'appelle Maëlys, sans succès. Troublé, j'appelle Simon. Son téléphone sonne mais il ne décroche pas. Je gardai mon sang froid, me répétant intérieurement : 《 ils arrivent sans doute. 》 Je me le répétais sans cesse, comme pour m'en convaincre personnellement. J'allai me coucher de nouveau pour les attendre, occupé à observer le ciel, les nuages, la nature. Emporté par ce monde éphémère, je ne vis rien se produire. Soudain, je ressens une présence étrange. Je me retourne et devant moi, se tient un bel animal au sourire charmant. Il faisait quelques deux mètres moins le quart et, du haut de son piédestal, il s'amusait à laisser couler quelques litres de sa bave sanguinolente dont l'odeur me répugnait tout silencieusement. Avec sa voix roque des enfers, il poussa un cri assourdissant qui affola les oiseaux, obligés bientôt de se trouver un nouveau ciel.

Comme hypnotisé, je demeurais étalé là, à sa merci, tellement j'étais tétanisé de peur. Ou plutôt devrais-je dire, tellement j'étais épris d'admiration pour cette chose. Je revins à moi quand tout précipitamment, elle avança sa arche en ma direction. D'un réflexe dont j'ignore la provenance, je bloquai cette main et réussis même à faire tituber la chose. Très énervée, elle n'eut qu'à faire un saut puis, finit par atterrir avec ses trois pattes sur moi, mettant ainsi un terme à ma fugue.
Elle me sauta dessus, m'attrapa les mains, me chatouilla le cou, le ventre. L'animal m'embrassa sur la joue puis sur la bouche. Je reconnus ce somptueux parfum. C'était ma fiancée, ma Maëlys. J'enlevai son masque, elle me conta ma frayeur. Derrière moi, près du cours d'eau qui essuyait les pieds des arbres, se tenait Simon muni de sa caméra de circonstances et d'un panier tout bonnement préparé pour l'occasion, source d'un parfum appétissant.
Le soleil avait grossièrement rétréci, les nuages commençaient à noircir. Tous assemblés, on encercla le repas. À peine avions nous débuté, un intrus s'invita réclamant sa quote-part. C'était la pluie. Aussi imprévisible que drue, elle nous enveloppa dans son infinie fraîcheur. Rapidement, nous essayâmes de ranger notre festin pour plus tard. Sous deux arbres qui par leurs feuillages formaient une sorte de tente, mon groupe et moi on s'y installa. L'action de dame pluie s'éternisait. Maëlys commençait à trembloter. Simon et moi perdions déjà patience.

Prise de pitié, dame nature se calma, monsieur soleil souriait de nouveau, assez tristement. On alla recommencer ce que nous aurions dû avoir terminé. Le panier de nouveau installé, nous primes tous place.
On débuta par quelques sandwiches puis, nous régalions déjà à l'idée de bouffer ce rôti de porc esquif qui certainement, s'impatientait de nous attendre. Avant même d'avoir servi notre repas, un autre invité débarqua gaiement. C'était mon ami la chose. Elle réapparu de nouveau et se tenait devant moi. Sa même silhouette que l'autre fois me fit m'exclamer :《 quelle blague stupide ! 》 J'allai près d'elle, envoyant ma main vers sa tête trapézoïdale centrée d'un seul œil bleuâtre. Je croyais retirer son masque. L'animal me laissa la vie sauve tout en me coupant le bras droit d'avec sa arche. Mes cheveux se hissaient, mon sang congela en moi, mon cœur arrêta de battre, mon bras se mit à éjaculer des litres de sang, mon esprit se plongea dans une noirceur effrayante, je perdis connaissance...

Quelques décennies après, alors que je m'attelle à recouvrer connaissance, j'aperçois une armée de ces choses en pleine irruption parmi nous, chacune avec sa particularité, sa candeur aussi. Munies de ces outils chevaleresques, elles s'attellent à dénuder cette belle verdure de ses arbres, tronçonnant et découpant ces boucliers de l'humanité, tout fièrement.
J'ai beau chercher Maëlys et Simon, sans succès. Tout en pleure, j'aperçois un pied, une main, une tête... jetés de tout côtés. Une peinture, de sang certainement, serpente la ruelle réservée pour le passage. Ces choses, toutes dévouées, continuaient paisiblement leur besogne, sifflotant fréquemment des sonorités bruyantes, servant sans doute de communication. Elles parcourent arbres après arbres, les cisaillent, les découpent, et les chargent dans cet appareil qui tout souriant, les lorgne du creux de son miroir géant occupé à graver leurs moindres faits et gestes. Ayant terminé leur récolte, les voilà achevant de charger ces billes de bois tout fraîchement coupées dans leur appareil, qu'elles rejoignent par la suite et prennent la direction des cieux avec cet engin qui émet un épais brouillard de fumigène noir, avant de s'envoler.

Voyant qu'elles sont partis, je m'efforce de me relever et de retrouver mes esprits. Je survole la zone à la recherche des autres, sans succès. Bien du temps après, me voilà le bras saignant qui tombe sur le corps de Maëlys, du moins sur ce qui reste d'elle : juste son tronc peint de son sang bouillonnant de douleur et criant au secours.

- Paul... Paul, réveilles-toi.
- Fais vite ! Dépêche toi sinon tu seras en retard pour l'école continue t'elle. C'était ma sœur. Elle s'était incrustée dans ma chambre pour me réveiller.
- Tu as crié toute la nuit. Tu pleurais et criais à l'aide. Dis-moi, tu vas bien j'espère ? Tu as embêté toute la maison. Aussitôt, j'aperçus que j'étais tout trempé et suais abondement, comme si je revenais d'un cent mètres. Donc ce n'était qu'un rêve alors ? Mais quelle frayeur j'eus plongé les yeux fermés dans ce noir infernal ?

Le lendemain matin, Simon atterrit à la maison. Il m'invite à une excursion organisée par des amis, dit-il.
- Je verrai si je suis disponible. Je te ferai signe, c'est sans soucis. Réussis-je à lui dire, en me réservant ainsi un temps de réflexion à ce sujet.

Qu'aurais-je dû lui dire ? Je ne pouvais accepter son invitation sur le champ. Je ne pouvais non plus la refuser sans raison véritable. M'aurait-il cru si je lui avais conté ce rêve comme raison ? Je ne crois pas. Mais ce n'est qu'un rêve tout de même, pourquoi y croire ? Pourquoi lui accorder tant d'importance ? En plus même, je suis seul actuellement. Ce n'est qu'un stupide rêve alors ?