Je les voie bien

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Cette incertitude provenant d'une abîme vient troubler mon âme imprégnée de reproches.

Je cours dans un cercle vicieux et éphémère qui me plonge dans une léthargie d'horizons infinis. Je broie le noir tout en mon coeur qui lui crie ses maux les plus forts. Je me sens nauséaux, las et exténué. Une partie s'avère vouloir s'acquitter de mes peines tandis que l'autre ne s'en soucie que peu. Ma poitrine pleure en silence tous mes tourments et ma tête attend le naufrage qui la poussera enfin à réagir à des appels lointains et incessants. Je sais d'avance que mes propos sont inaudibles, incohérents, et que l'esprit qui les maintient l'est tout autant. Hélas, ce malencontreux sort qu'est le mien n'est qu'un débris de pissenlits dans un vent froid, une malédiction qui s'envole à la levée de l'aube.

À première vue, on me décrirai comme étant un personnage privé de convoitises tellement mon visage juvénile ne semble devenir mâture. Pourtant, je les voie bien, eux, les yeux braqués sur mon repère. Je les voie bien, eux, avec leurs ricanements glauques et leurs gloussements lugubres s'amuser de mes lamentations, s'imiscer dans mes inquiètudes pour en tirer profis. Oui, je les voie bien, malgré mes yeux clos, malgré le noir profond où semble plonger la chambre et la froideur de mes membres. Par delà tous les obstacles qui m'empêchent de les observer, je continue à les voir et à savourer leur manoeuvres. Je souris faussement, comme si j'allais, d'une minute à l'autre, fondre dans une plénurie de larmes.

Je me sens si mal que j'en tire une légère satisfaction, mon visage se contractant sous la douleur qui m'isole. Même si j'ai les yeux clos, la chaleur qui s'y dégage semble, par delà mes paupières, foudroyer et guetter le moindre indice. Un rictus démoniaque s'étend sur des lèvres si fines qu'on aurait dit peintes dans la plus grande précision, et mes cheveux ondulés se projettent vers l'avant comme électrisés dans un grand sérail glacé.

Je me laisse à des divaguations. Hélas, ma pauvreté d'esprit me condamne à penser que ces restrictions ne sont que le fruit d'une prochaine privation, et que le tort où on m'a bercé n'est qu'un caprice chez les maraudeurs tandis que chez les innocents ce n'est irrémédiablement la plus grande des hontes. Mes regards lancent des injures plaints et mon état anorexique est rongé d'insomnies. J'attend mon destin sans avoir le potentiel d'agir et j'implore sans succès un pardon non fondé.

Je ne puis ainsi que penser au sort de ma famille, la seule qui a pu me percer sous mon autre aspect, la seule qui n'a pu me juger que sous mes implorations et mes regards lancés à la cantonnade sous des dérivations. Je ne puis que penser aux conséquences de mon enfermement, celui qui me tire vers des méandres inconnus et fertiles.

Dans quelle société vit-on ? Puis-je ainsi dire. Ceci n'est qu'une société où les uns agissent d'instinct pour survivre, ne sont les pauvres que de simples innocents dans tous ces manoeuvres. Mais ce sont ces derniers qu'on condamne, ceux qui n'ont aucun alibi pour se prouver à eux mêmes, ceux qui vivent pour souffrir et mourir dans une fin atroce où le but de leur vue ne s'est révélé qu'à servir leur supérieurs.


Hélas, personne n'échappe à son châtiment, et tel est le mien. Je vais mourir dans la peur incertaine et dans l'ignorance feinte d'une nouvelle vie.

Mes yeux se mouillent une dernière fois, et mon coeur déchire toute ma joie. Je suis en haleine comme ayant courru le marathon, pourtant je suis prostré derrière des barreaux accusateurs, sachant d'avance aue mes propos seront fichtrement inutiles et inaudibles devant l'assemblée.

Tout au fond, il y a un petit espoir de lendemain, je le balaie d'un revers...



Je suis condamné.