Je me trouvais seul quand j’ai enfourché ma bécane.
J’ai toujours préféré les virées en solo aux rodéos entre copains avec escale dans les troquets, bière et p’tites pépées. Les... [+]

Il y avait cette fille assise en face de moi. Elle toussait beaucoup et paraissait très enrhumée. Elle se mouchait dans des disques de coton démaquillant pour les yeux ! Plus tard, elle finira par me demander un mouchoir en papier et gardera le paquet tout entier enfouit dans sa manche sans me demander mon avis. Elle remuait sans arrêt et se penchait régulièrement vers un grand sac à main posé sur le siège à côté d’elle, sans doute pour consulter ses messages, guetter quelque chose qui n’arrivait pas, qui n’arriverait peut-être jamais. Il m’a semblé qu’elle n’avait pas eu le temps de se maquiller. Ses yeux étaient rougis, cerclés de mauve et de ses cheveux rassemblés en chignon s’ébouriffaient de courtes mèches blondes au-dessus de sa tête. Elle avait néanmoins un beau profil, un cou délié et la gorge en brassée de lilas blanc.
Cela faisait longtemps que je n’avais pas pris le train. Plus exactement, cela faisait longtemps que je n’étais pas resté assis à fixer le monde, que ma carcasse, mes mains n’avaient été au repos. D’habitude j’étais toujours en mouvement. On disait que j’avais un métier physique. Je pétrissais, j’essuyais, je balayais, je conduisais, je tirais des cartons, je soulevais des caisses à bras le corps. Mes articulations en étaient toutes gonflées de douleur comme le goitre d’une grenouille. J’observais la métamorphose. C’était là ma préoccupation, attendre et voir en quoi se changerait la monstrueuse chenille. Un point c’est tout.
J’étais monté à Aix dans le TGV 6654 qui venait de Marseille ; il fendait à présent le pays Avignonnais, déchirait la crête osseuse des petites montagnes, faisait exploser la pluie couleur de tempête sur son poitrail d’acier. Au loin, sur une ligne flottante se noyait un château aux tours crénelées comme les pieds inversés d’un robot. À Saint-Fons, le Rhône gonflé de neige crachait des arbres-bateaux dans une fumée de mer spectrale. On s’attendait à voir surgir Edward Teach en personne, un sabre coince entre les dents.
Cristaux de glaces, ombres vertes, lacs célestes, pneus en feu... Dans la banlieue de Sens, le soleil blanc d’hiver creva les nuages de rayons obliques, et l’espace d’un instant, février cessa de perdre les eaux sur la vitre du train. Le spectacle était suffisamment incroyable pour me faire croire à de divines puissances. Plus prosaïquement, je me suis presque mis à regretter le dernier été, les maisons écrasées de chaleur, les vieux tassés au fond des bergères et rendus muets de fièvre dans leur caveau de pierre.
Rouge des tuiles, maisons soudain blanchies, vaches et moutons polychromes, terrain vague, vague de brume, ruban bleu, blanc, blanc, blanc lilas... La fille du train s’est maquillée, elle s’est parée de bijoux, elle a coiffé ses cheveux d’enfant, et l’univers coule à nouveau dans ses yeux ; j’en suis témoin, il est écrit sur la vitre que quelque chose en elle sait où elle va.
Cela faisait longtemps que je n’avais pas pris le train. Plus exactement, cela faisait longtemps que je n’étais pas resté assis à fixer le monde, que ma carcasse, mes mains n’avaient été au repos. D’habitude j’étais toujours en mouvement. On disait que j’avais un métier physique. Je pétrissais, j’essuyais, je balayais, je conduisais, je tirais des cartons, je soulevais des caisses à bras le corps. Mes articulations en étaient toutes gonflées de douleur comme le goitre d’une grenouille. J’observais la métamorphose. C’était là ma préoccupation, attendre et voir en quoi se changerait la monstrueuse chenille. Un point c’est tout.
J’étais monté à Aix dans le TGV 6654 qui venait de Marseille ; il fendait à présent le pays Avignonnais, déchirait la crête osseuse des petites montagnes, faisait exploser la pluie couleur de tempête sur son poitrail d’acier. Au loin, sur une ligne flottante se noyait un château aux tours crénelées comme les pieds inversés d’un robot. À Saint-Fons, le Rhône gonflé de neige crachait des arbres-bateaux dans une fumée de mer spectrale. On s’attendait à voir surgir Edward Teach en personne, un sabre coince entre les dents.
Cristaux de glaces, ombres vertes, lacs célestes, pneus en feu... Dans la banlieue de Sens, le soleil blanc d’hiver creva les nuages de rayons obliques, et l’espace d’un instant, février cessa de perdre les eaux sur la vitre du train. Le spectacle était suffisamment incroyable pour me faire croire à de divines puissances. Plus prosaïquement, je me suis presque mis à regretter le dernier été, les maisons écrasées de chaleur, les vieux tassés au fond des bergères et rendus muets de fièvre dans leur caveau de pierre.
Rouge des tuiles, maisons soudain blanchies, vaches et moutons polychromes, terrain vague, vague de brume, ruban bleu, blanc, blanc, blanc lilas... La fille du train s’est maquillée, elle s’est parée de bijoux, elle a coiffé ses cheveux d’enfant, et l’univers coule à nouveau dans ses yeux ; j’en suis témoin, il est écrit sur la vitre que quelque chose en elle sait où elle va.
Arno
Vous avez soutenu Mumba et je vous en remercie. Soutiendrez-vous tout autant ma chienne Ianna en finale automne ? : https://short-edition.com/fr/oeuvre/poetik/me-chienne-ianna-dans-les-dunes Bonne journée à vous.
J'ai beaucoup aimé l'analyse que vous faites de cette jeune femme mêlée aux paysages qui défilent. Je connais un peu la région, j'habite Toulon, et c'est vrai qu'un voyage en train, c'est tant de choses...personnes, paysages, ressentis...Je suis contente de vous avoir trouvée. Merci.
Mon regret, ne pas l'avoir vu plus tôt, à bientôt.
Vous avez soutenu mon sonnet Mumba et je vous en remercie. Il est désormais en finale. Le soutiendrez-vous de nouveau ? https://short-edition.com/fr/oeuvre/poetik/mumba Bonne journée à vous !