Cours de piano

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Ou peut-être suis-je endormie, la couverture par-dessus la tête, comme je le fais parfois, tout ceci n’étant qu’un mauvais rêve. Mais si c’était vrai... La sensation de ses mains sur ma peau me paraît pourtant bien réelle.

Ses mains, sveltes et allongées, je les connais par cœur. Après tout, j’ai bien passé des heures à les regarder appuyer les touches du piano, coordonnée d’une façon qui lui paraît si facile et naturelle.

Le piano, fabriqué en bois de chêne avec toutes sortes d’ornements sculptés dans ses contours, que ma mère m’a offert pour mes cours. Ou peut-être est-il fabriqué en bois de cèdre?

Ah ce grand cèdre dans le jardin, qu’on aperçoit au travers de la fenêtre lorsque assis sur le banc du piano, qu’il est magnifique.

Les cours de piano, dont je préfère admirer les mains de mon professeur plutôt que de moi-même effleurer les touches de l’instrument. J’aurais préféré apprendre la danse, mais mes pieds maladroits m’auraient probablement empêché de développer tout talent, de toute manière.

La danse, car inscrit à ces cours, il y a cette fille que j’aime bien, qu’elle est belle! Ma mère me dit sans cesse que je suis trop jeune pour tomber amoureuse. Moi, je crois qu’il n’y a pas d’âge. Elle m’a même embrassé une fois, sous ce grand cèdre. On discutait de tout, mais surtout de nos parents insupportables, comme à l’habitude. Je l’ai regardé dans les yeux. Des yeux verts, pas comme ceux noirs de mon professeur. Elle s’est approchée, mon cœur battait tellement vite que j’appréhendais une crise de nerfs. Mais je m’inquiétais pour rien, c’était doux et bon.

Un gémissement me ramène brusquement à la réalité. Et j’ouvre finalement les paupières, regardant les yeux noirs de mon agresseur. C’est maintenant certain, je demanderai à ma mère de me changer de cours, je préfère essayer la danse.