Ce que peut faire l'alcool

« Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. »
Je ne suis ni dans le noir et je n'ai ni les yeux fermés par contre je suis en train de crever quand bien même qu'ils sont grandement ouverts.

C'était un samedi matin. Je me réveillai affamé. Rien à se mettre sous la dent, je commençai à grincer les dents. La soirée débordante de la veille m'avait totalement déplumé ; je crois que je n'aurais plus jamais envie d'y participer. Farfouillant ardemment dans mon sac, j'avais espoir de retrouver un petit billet caché quelque part dont j'avais ignoré l'existence. Je priai intérieurement que le ciel écoute mes prières et que mon ventre soit comblé dans un petit laps de temps. Malheureusement, ce fut sans résultat. Si et seulement si j'avais écouté ma mère, je ne serais pas en cet instant même à l'agonie. « Ne va pas à cette soirée » était ce qu'elle m'avait conseillé mais mon entêtement a pris le dessus, je m'étais facilement laissé berner par mes camarades.

Je sortis m'adosser à un tonneau se trouvant devant ma porte, les mains dans ma poche. Puis brusquement, je sentis ma main frotter quelque chose. Je la sortis. C'était une pièce de deux cent francs. Un petit sourire apparut sur mes lèvres. Au moins, j'avais de quoi payer du riz. J'enfilai une tenue et allai chez la bonne dame qui en vend au bout de la rue.

Une immense foule l'encerclait et criait pendant qu'elle s'efforçait à tous les satisfaire. Elle leur intima gentiment l'ordre de se mettre en rang pour faciliter les choses. Je m'approchai et saisis une assiette et m'y faufilai. Un vieil homme vint se mettre derrière moi. Il me tapota l'épaule. Je me retournai.

- Est-ce que vous pouvez me payer du riz pour trois cent francs ? Je suis à sec. Me lança-t-il.

Je restai indifférent vis-à-vis de lui mais il me le redemanda une deuxième fois, ce qui me mit en colère. Je le chargeai d'insultes telle une arme sur un champ de bataille et l'humiliai devant tout le monde. Après avoir tout encaissé, il murmura dans mes oreilles.

- « La politesse est aussi une vertu. Reviens me voir lorsque tu n'auras plus de dents ». Je n'en compris pas un mot. Dès que je me retournai, je ne l'aperçus plus. La bonne dame me servit et je me régalai.

Ma pauvre mère m'attendait de pied ferme à mon arrivée. Elle était en colère parce que je n'avais pas passé au linge le costume que mon père m'avait confié. Il devait le porter pour une réunion importante. Je formulai deux petites phrases pour m'excuser. Au fur et à mesure que je terminais chaque phrase, une de mes dents tombait. C'était à cet instant que je compris ce que m'avait murmuré le vieil homme. Maman se rendit compte que quelque chose clochait. Alors, elle me le demanda. Je me contentai de lui répondre par un hochement de tête par peur de faire tomber le reste de mes dents qui restaient encore. Je m'empressai de regagner ma chambre mais elle me suivit et m'apostropha au seuil de la porte.

- Que se passe-t-il mon fils ? Qu'est-ce qui ne va pas?

Je lui répondis que dalle. Je lui redonnai le costume sale et ressortis à toute vitesse, direction chez la bonne dame. Malheureusement, elle était incapable de me renseigner sur ce vieil homme. C'était la première fois qu'elle le voyait aussi. Je retournai à la maison abattue et démoralisé. Si et seulement si je m'étais contenté de lui répondre gentiment en lui expliquant que j'étais sur la paille.

Je devins muet à la maison. Tout le monde était en rogne contre moi parce que je ne leur donnais aucune explication sur ce qui m'arrivait. Je décidai d'écrire une lettre dans laquelle je prendrai soin de tout leur expliquer. Ils compatirent tous à ma douleur hélas personne d'entre eux ne pouvait me venir en aide. Je devais donc me démerder seul pour retrouver ce vieil homme.

Je me mis à parcourir les rues en essayant de décrire sans parler son allure à tous les passants en espérant que quelqu'un le reconnaisse. Mais ce fut vain. Sur mon chemin de retour, j'aperçus trois gaillards qui couraient dans ma direction mais je n'y prêtai pas grande attention. Chacun avec ses problèmes et je cherchais justement solution aux miens. Peu de temps après qu'ils me dépassèrent, un véhicule de la police apparut et s'arrêta. Des hommes armés sortirent et marchèrent vers moi. Je n'avais rien fait donc je restai tranquille. Ils me demandèrent ce que je faisais là et si je n'avais pas par hasard vu des hommes qu'ils avaient pris soin de me décrire. Je restai muet telle une tombe alors ils me menacèrent de m'embarquer pour complicité de vol car selon leurs dires, les fameux fuyants avaient dévalisé un supermarché et avaient emporté une sacrée somme. Involontairement, je me mis à me défendre et à crier jusqu'à ce qu'il ne resta plus aucune dent dans ma bouche.
Soudainement, j'ouvris les yeux. J'étais allongé sur un lit avec une migraine atroce. Mes camarades étaient à mon chevet. La soirée continuait de battre son plein. Je me levai difficilement et regardai dans le miroir. Mes trente deux dents étaient intactes.

- Qu'est ce qui s'est passé ? Leur demandai-je.

- Tu as beaucoup bu et tu t'es évanoui durant quelques minutes...