Les oreillers des anges volent sans billet,
Ignorent les frontières, caressent les monts,
Découvrent des trésors, en voile de... [+]
Elle était resplendissante comme un soleil d'été à son zénith, paraissait douce comme la caresse d'une pluie de printemps sur des bourgeons à peine éclos. Moi, j'étais con comme un balai.
Avec les filles, j'étais aussi dégourdi qu'un figurant novice au gala des artistes. Si dans mes rêves je tenais le rôle principal, la vraie vie me voyait lamentablement perdu dans le décor, empêtré dans ma timidité maladive, et les répliques hardies de mes mises en scène oniriques devenaient hésitation et bafouillage dès que les pulsations de mon cœur ému s'emballaient. Et elles s'emballaient souvent.
Et ce jour-là, elles s'emballèrent plus que de coutume.
Qu'importe la gare. Dans le coin, elles se ressemblent toutes, tout autant que les zones commerciales, souvent voisines. Il était 6h12. Sur mon siège quasi habituel, je finissais ma nuit, en harmonie avec la torpeur générale, les écouteurs sur les oreilles. Les portes se sont ouvertes dans un chuintement admiratif et elle est apparue. Sublime, superbe, rayonnante, resplendissante, de quoi tarir un dictionnaire des synonymes, le grand Larousse et le Petit Robert réunis. Un bouquet de fleurs au fin fond du désert, le chant d'un oiseau dans un cimetière.
Les comparaisons étaient nombreuses. J'apprendrai bien plus tard qu'il s'agit de métaphores. Elle n'en manquait pas non plus. Mes oreilles n'en croyaient pas leurs yeux ! J'en avais enlevé les écouteurs pour mieux jouir de tous mes sens, pendant que mon cœur à contretemps battait le tam-tam.
Le RER était reparti, dans son train-train journalier chronométré. Elle, hypnotique, dans la rangée opposée, à quelques sièges d'écart, s'était assise face à moi. Je ne l'avais jamais vue avant, j'osais à peine la regarder. À 6h40, elle est descendue quatre stations plus loin.
Le lendemain, un seul rang de fauteuils nous séparait. Elle m'a souri. Je lui ai souri.
Elle s'est replongée dans sa lecture. Je me suis replongé dans mes pensées. « Demain, d'une manière ou d'une autre, il faut que je l'aborde avant le prochain arrêt. » Et j'ai passé le reste de mon parcours à élaborer des stratégies, tout en contemplant mes baskets. Je ne l'ai même pas vue repartir.
Le troisième jour, j'avais acheté un livre. Un livre de poche, mais un gros. Je sais toujours pas de quoi il parle, mais sur la couverture, il y avait un homme tenant un bouquet, et je trouvais ça chouette. Hasard ou coïncidence, elle est venue s'asseoir en face de moi. Elle m'a à nouveau souri, j'ai fait pareil. Puis j'ai continué à faire semblant de lire, préoccupé par l'approche du prochain arrêt... et du suivant. J'ai regardé le paysage. La vitre était embuée. J'ai envisagé d'y dessiner un cœur, discrètement. Le ridicule ne tue pas, sauf ceux qui le craignent ; j'en faisais partie. Du plat de la main, j'ai effacé une parcelle de buée pour pouvoir rêver sur le reflet de ma belle inconnue, le temps des deux dernières stations. À 6h37, elle s'est levée, m'a dit au revoir, pour reprendre son chemin quotidien. Vingt-cinq minutes, c'est long et c'est court. Pour moi, c'était délicieusement trop court.
Après réflexion, je décidais que le mieux était encore d'engager la conversation à l'extérieur. Ne resterait plus alors qu'à descendre au même arrêt, la suivre, l'aborder avec délicatesse, le plus simplement du monde. La théorie paraissait simple. Me manquait la pratique. Quant à mon employeur, il lui suffirait probablement juste d'une excuse quelconque bien mijotée pour accepter le retard.
Quand elle est montée dans le compartiment le quatrième jour, elle avait un je ne sais quoi de plus. La tenue vestimentaire, la coupe de cheveux, l'allure générale ? Un rien indéfinissable que je n'arrivais pas à discerner, faute de l'avoir suffisamment observée. Nous étions loin l'un de l'autre. Elle m'a néanmoins aperçu, fait un signe de la main, nous avons échangé nos sourires. Dès cet instant, mes pensées se sont fixées sur l'objectif fixé la veille. J'ai déclenché le compte à rebours des stations. Les aiguillages me chantaient prochain arrêt, prochain arrêt, prochain arrêt. Et j'ai compté 4, 3, 2...
Vingt-trois minutes plus tard, elle m'a salué, adressé un dernier sourire, et s'est dirigée vers la sortie. Je l'ai suivie.
Avant que je ne descende, une autre fille est entrée dans le compartiment. Pas jolie, jolie, mais avec un charme subtil, un sourire lumineux irradiant l'espace, un regard de tendresse à faire fondre un morceau de sucre.
— Salut ! Moi c'est Manu, j'lui ai dit spontanément.
Et sans même reprendre mon souffle, j'ai poursuivi :
— Pour l'état civil, c'est Georges, mais tous mes potes m'appellent Manu parce que je suis plus adroit avec mes mains qu'avec les mots. Mais pour toi, je serai capable de faire des efforts.
Tout ça dans un seul élan.
— Et moi, c'est Cat, comme Catherine, enchaîna-t-elle, prolongeant le large sourire qu'elle portait si bien.
Les portes s'étaient refermées depuis un moment déjà, la rame était repartie.
Et Cat m'a laissé parler, parler...
J'en ai raté mon arrêt.
Avec les filles, j'étais aussi dégourdi qu'un figurant novice au gala des artistes. Si dans mes rêves je tenais le rôle principal, la vraie vie me voyait lamentablement perdu dans le décor, empêtré dans ma timidité maladive, et les répliques hardies de mes mises en scène oniriques devenaient hésitation et bafouillage dès que les pulsations de mon cœur ému s'emballaient. Et elles s'emballaient souvent.
Et ce jour-là, elles s'emballèrent plus que de coutume.
Qu'importe la gare. Dans le coin, elles se ressemblent toutes, tout autant que les zones commerciales, souvent voisines. Il était 6h12. Sur mon siège quasi habituel, je finissais ma nuit, en harmonie avec la torpeur générale, les écouteurs sur les oreilles. Les portes se sont ouvertes dans un chuintement admiratif et elle est apparue. Sublime, superbe, rayonnante, resplendissante, de quoi tarir un dictionnaire des synonymes, le grand Larousse et le Petit Robert réunis. Un bouquet de fleurs au fin fond du désert, le chant d'un oiseau dans un cimetière.
Les comparaisons étaient nombreuses. J'apprendrai bien plus tard qu'il s'agit de métaphores. Elle n'en manquait pas non plus. Mes oreilles n'en croyaient pas leurs yeux ! J'en avais enlevé les écouteurs pour mieux jouir de tous mes sens, pendant que mon cœur à contretemps battait le tam-tam.
Le RER était reparti, dans son train-train journalier chronométré. Elle, hypnotique, dans la rangée opposée, à quelques sièges d'écart, s'était assise face à moi. Je ne l'avais jamais vue avant, j'osais à peine la regarder. À 6h40, elle est descendue quatre stations plus loin.
Le lendemain, un seul rang de fauteuils nous séparait. Elle m'a souri. Je lui ai souri.
Elle s'est replongée dans sa lecture. Je me suis replongé dans mes pensées. « Demain, d'une manière ou d'une autre, il faut que je l'aborde avant le prochain arrêt. » Et j'ai passé le reste de mon parcours à élaborer des stratégies, tout en contemplant mes baskets. Je ne l'ai même pas vue repartir.
Le troisième jour, j'avais acheté un livre. Un livre de poche, mais un gros. Je sais toujours pas de quoi il parle, mais sur la couverture, il y avait un homme tenant un bouquet, et je trouvais ça chouette. Hasard ou coïncidence, elle est venue s'asseoir en face de moi. Elle m'a à nouveau souri, j'ai fait pareil. Puis j'ai continué à faire semblant de lire, préoccupé par l'approche du prochain arrêt... et du suivant. J'ai regardé le paysage. La vitre était embuée. J'ai envisagé d'y dessiner un cœur, discrètement. Le ridicule ne tue pas, sauf ceux qui le craignent ; j'en faisais partie. Du plat de la main, j'ai effacé une parcelle de buée pour pouvoir rêver sur le reflet de ma belle inconnue, le temps des deux dernières stations. À 6h37, elle s'est levée, m'a dit au revoir, pour reprendre son chemin quotidien. Vingt-cinq minutes, c'est long et c'est court. Pour moi, c'était délicieusement trop court.
Après réflexion, je décidais que le mieux était encore d'engager la conversation à l'extérieur. Ne resterait plus alors qu'à descendre au même arrêt, la suivre, l'aborder avec délicatesse, le plus simplement du monde. La théorie paraissait simple. Me manquait la pratique. Quant à mon employeur, il lui suffirait probablement juste d'une excuse quelconque bien mijotée pour accepter le retard.
Quand elle est montée dans le compartiment le quatrième jour, elle avait un je ne sais quoi de plus. La tenue vestimentaire, la coupe de cheveux, l'allure générale ? Un rien indéfinissable que je n'arrivais pas à discerner, faute de l'avoir suffisamment observée. Nous étions loin l'un de l'autre. Elle m'a néanmoins aperçu, fait un signe de la main, nous avons échangé nos sourires. Dès cet instant, mes pensées se sont fixées sur l'objectif fixé la veille. J'ai déclenché le compte à rebours des stations. Les aiguillages me chantaient prochain arrêt, prochain arrêt, prochain arrêt. Et j'ai compté 4, 3, 2...
Vingt-trois minutes plus tard, elle m'a salué, adressé un dernier sourire, et s'est dirigée vers la sortie. Je l'ai suivie.
Avant que je ne descende, une autre fille est entrée dans le compartiment. Pas jolie, jolie, mais avec un charme subtil, un sourire lumineux irradiant l'espace, un regard de tendresse à faire fondre un morceau de sucre.
— Salut ! Moi c'est Manu, j'lui ai dit spontanément.
Et sans même reprendre mon souffle, j'ai poursuivi :
— Pour l'état civil, c'est Georges, mais tous mes potes m'appellent Manu parce que je suis plus adroit avec mes mains qu'avec les mots. Mais pour toi, je serai capable de faire des efforts.
Tout ça dans un seul élan.
— Et moi, c'est Cat, comme Catherine, enchaîna-t-elle, prolongeant le large sourire qu'elle portait si bien.
Les portes s'étaient refermées depuis un moment déjà, la rame était repartie.
Et Cat m'a laissé parler, parler...
J'en ai raté mon arrêt.
Bonne soirée!
V. H. S.