Amnésie

"Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés? Peut-être les deux. Le noir opaque, oppressant et omniprésent s'infiltre, à présent, dans mon âme ne se contentant plus de ne jetter son encre que dans mes yeux. Je ne comprends pas et d'ailleurs je ne cherche pas à comprendre. J'essaie seulement de me remémorer des bribes de souvenirs de ce qu'avait été l'instant d'avant mon sommeil mais je n'y parviens pas. J'essaie alors de remonter beaucoup plus loin dans le temps, en vain. Le temps n'existe plus. Desespéré, je me rends compte que j'ai perdu la notion du temps et malheureusement la notion de l'espace qui me reste se transforme en un étau qui se resserre autour de moi car le doute et l'incompréhension m'assaillent. Je suffoque. Un courant d'air frais me caresse la peau me soulageant ainsi mais je transpire. Je transpire abondamment.

Une respiration suave qui s'éleve doucement dans l'air et retombe tout aussi doucement attire mon attention. Je ne suis donc pas seul dans les ténèbres incompréhensibles d'une nuit qui n'existe peut-être que dans mon esprit. Un mouvement se produit à côté de moi puis un bruissement, presqu'imperceptible, de draps qui glissent doucement sur un corps( je suppose) attire mon attention. Un soupir relaché par je ne sais qui me traverse les tympans, je panique et j'essaie de retenir ma respiration. Dans de telle circonstance, je ne puis évaluer la dangerosité de ma situation. Qui s'amuse à se tapir dans l'ombre, torturant mon esprit désemparé? Je sens que cette personne épie mes moindres faits et gestes et attend le bon moment pour s'attaquer à moi. L'angoisse et la peur m'étreignent. Je me sens défaillir. J'essaie de ne pas crier. Il me semble même avoir oublié comment le faire.

Je me force à rester calme et pour essayer de jauger la situation, j'avance doucement mon pied en direction du lieu d'où me parvient cette respiration si suave et pourtant si menaçante. Mes orteils effleure ce que mon esprit perçoit comme une jambe à la peau douce et chaude. En réponse à mon intrusion, des pieds petits et fins caressent doucement, de leurs peaux, mon pied puis l'emprisonnent...amoureusement? J'aurais pu être rassuré si le noir ne persistait à cacher à mes yeux cette inconnue. Ces petits pieds qui glisse précautionneusement le long de mes jambes ne peuvent être que ceux d'une femme...amoureuse? Amoureuse de qui? De moi? Mais qui suis-je, au fait?

Mon moi ne me revient pas. J'essaie de me souvenir mais mes pensées sont bloquées par un mur mental qui me semble indestructible. Pendant un instant, mon cerveau flanche et j'en oublie même de respirer au point d'étouffer. Un instant, certes mais suffisant pour me replonger dans une panique insoutenable. Je crie et je me débats pour essayer de reprendre mon souffle mais en vain.

Je me sens sombrer dans le vide quand soudain, une lumière jaillit et remplit mes yeux au point de m'aveugler. Je rabats mes paupières quand j'entends une voix féminine et caressante solliciter mes tympans de sa douce tonalité:
"Thomas! Thomas! Calme-toi! Je suis là, maintenant!
Je ne réponds pas. Ma respiration est redevenue normale, entre temps. Je me concentre sur cette dernière pour me calmer quand une main munis de doigts fins me parcourent les cheveux délicatement et tendrement. Je rouvre les yeux et dans la pièce désormais inondée de lumière, je vois un visage flou qui gagne en netteté au fur et à mesure que mes yeux s'habituent à la lumière de l'ampoule que l'inconnue venait de solliciter. Je la regarde, étonné, de tant de beauté. Elle me rend mon regard, inquiète, de mon air apeuré:
"Tu as seulement eu ta crise, chéri! Tout va rentrer dans l'ordre! Je vais te chercher les cachets!
Joignant le geste à la parole, elle essaie de se lever du lit mais je la retiens. Ce visage! Ce visage! Je la reconnais! Les traits fins d'une douce créature dont les lèvres ne s'ouvrent que pour me calmer et me rassurer? Un visage nanti de grands yeux marrons qui ne me regardent que pour me rappeler que cette créature à la peau noire m'aime malgré...mes crises? Elle s'appelle Sarah et je reconnais en elle ma douce et tendre épouse qui, depuis bientôt dix ans, me supporte dans le chaos d'une vie qui aurait dû s'achever lors de ce fameux accident.

J'attire Sarah vers moi et je l'embrasse tendrement sur le front en lui murmurant:
"Merci pour tout.
Elle ne répond pas. Un silence intime se fait durant lequel nous nous écoutons respirer l'un l'autre. Je ne peux dire depuis combien de temps dure ce silence mais il dure assez pour synchroniser nos coeurs. Finalement, elle lève les yeux vers moi et me regarde longuement sans rien dire. Je vois dans son regard son amour pour moi. Pour moi qui fut diagnostiqué d'amnésie antérograde.