« Muscle ton jeu ! » « Mesdames, Messieurs, les joueuses sont prêtes ! » « Prêt ? Allez ! » « Nous rentrons dans le money-time ! », « Le sprint est lancé ! »...
Autant d'expressions qui prennent vite place dans ma vie. Grâce à un papa féru de sports, pratiquant à petit niveau mais soucieux de m'ouvrir à toutes les disciplines, qu'elles soient collectives ou individuelles, sans distinction de sexe. Très vite, je comprends que le sport occupera une place importante dans ma vie. Sans me douter qu'il m'apportera beaucoup plus qu'une liberté et un bien-être physique et mental.
J'ai 10 ans, je m'appelle Zélie et je viens de franchir, pour la première fois, les portes de la salle de handball de ma petite ville. L'avantage de ces bourgades de province, c'est que la bande de potes du collège se retrouve aussi en dehors de l'établissement : dans la rue, pendant les vacances, les mercredi et samedi. Je fais partie de cette génération dont les parents ont toujours encouragé leurs enfants à pratiquer un sport ou une activité physique. A mon âge, on ne réalise pas tout de suite l'intérêt. Pourtant, après quelques séances d'essai, je me prends au jeu et décide de prendre ma première licence en club. Dans mon souvenir, je vois encore l'image de mon père tenant fièrement ce petit bout de papier plastifié et j'entends les mots qui accompagnèrent cette remise un peu solennelle. A la manière de la remise du maillot dans ces équipes de rugby, que bien plus tard je regarderais dans la petite lucarne télévisée.
- « Zélie, sois fière de toi ! Cette 1ère licence est la preuve de ton engagement personnel mais aussi collectif pour le sport que tu as choisi.
- Ah ? » lui dis-je, un peu surprise de ce protocole et de propos qui m'échappent un peu sur l'instant.
- « Oui, ma fille. Aujourd'hui, avec cette licence, c'est plus que dans du sport que tu t'engages. C'est à des valeurs que tu adhères. La solidarité que tu lies avec ton équipe -pour les bons et mauvais moments, le collectif comme expression de ta personnalité et de ton jeu, et surtout le respect ! Celui des autres, le tien, celui des règles et du jeu. Pour tout cela, sois fière. Et quand la balle ne rebondira pas du bon côté, garde la tête haute, maintiens le cap et persévère ! »
« Waouh ! » pensais-je. Je ne m'attendais pas à plonger dans une telle dimension, juste en faisant du hand deux fois par semaine et en jouant un match le samedi. A 10 ans, le raisonnement d'adulte peut nous échapper. Néanmoins, il est des phrases, des images, des moments qui s'ancrent en nous, à la manière d'une madeleine de Proust. Et qui un jour vous reviennent en pleine figure, comme une évidence.
Le hand, c'est le sport scolaire par excellence. Entrer en club est presque une évidence pour beaucoup d'entre nous. La différence éclate peu à peu, quand on réussit des gestes techniques, on court utilement et rapidement, on développe une motricité, une explosivité et une rapidité de prise de décision sur des temps courts. Voilà maintenant 3 ans que je pratique le hand et cette année, l'équipe mixte que nous formons est rodée. Depuis le temps que nous travaillons ensemble, nous finissons par connaître les actions et réactions de chacun et chacune sur le bout des doigts. Et les résultats suivent : on gagne le tournoi de rentrée, on survole le championnat, on réussit l'exploit de battre en coupe départementale une équipe bien mieux classée que nous. Bref, que du bonheur ! Et puis, un jour, à la séance de reprise après la trêve hivernale, le drame : notre entraîneur, que nous appelons affectueusement « Zizou », rapport à sa coupe de cheveux et non pas à son talent de footballeur, nous annonce son départ. Sa fille aînée est malade, se paralyse petit à petit : marcher lui est devenu impossible. Il veut être auprès d'elle plus souvent, et le temps passé pour nous, avec nous, le prive de ces instants de relations père-fille, qu'il sent être d'une importance capitale.
Cette annonce fait soudainement écho à l'importance que Zizou met à nous voir réaliser des actions dans le cadre du Téléthon, et surtout à nous engager, au-delà de notre sport, pour des causes nobles et désintéressées. Après mon père, Zizou vient apporter une brique supplémentaire à la construction de mon identité et de ce que je veux être : « une passeuse solidaire ». A l'image de ce que je suis sur le terrain, je veux aider l'autre.
Avril. Le printemps est revenu et avec lui, mon anniversaire. Je fête mes 18 ans. Je tourne une page. Le bac en juin sifflera la fin de l'insouciance pour beaucoup de mes camarades. Moi, j'attends ce moment comme l'évènement annonciateur de ma participation active à la transformation du monde. Voilà 3 ans maintenant que j'ai arrêté de pratiquer en compétition le hand. Non pas par manque de temps, mais par manque d'équipe féminine... Il paraît qu'après 15 ans, les filles et les garçons sont trop différent.es pour jouer ensemble. Qu'importe, avec quelques copines, on a lancé notre section féminine et me voilà propulsée entraîneure-présidente. Je découvre et j'adore ! Me battre pour l'égalité, permettre l'accès au sport pour le plus grand nombre, voilà des défis qui me motivent ! Le sport a ça de merveilleux, c'est de réunir et de mettre en avant, dans un grand tout collectif, les forces et les atouts de chaque personne. Ma prochaine ambition est de créer une équipe de hand-fauteuil... et d'y faire jouer la fille de Zizou.
L'année prochaine, mes études me laisseront certainement moins de temps... Mais je veux garder cet engagement sportif et social qui me donne une impression d'utilité et me rend fière des petites victoires quotidiennes. Mon père avait raison : signer une licence, c'est embarquer dans une aventure au long cours. Rien n'est plus vrai aujourd'hui.
J'accompagne cet après-midi ma fille, Nelly, pour son match de rugby. Elle y joue depuis 1 an. Du haut de ses 7 ans, elle porte fièrement le maillot de son club, un peu grand car taillé pour les garçons. Peu lui importe. Pour elle, l'essentiel est ailleurs : combattivité, exemplarité et entraide sont des notions qui lui sont chères et qui font sens. L'année particulière qui vient de s'écouler l'a faite mûrir en accéléré. On retrouve mon père, son grand-père, qui nous attend, masque sur le visage. Voilà un moment qu'il attendait cette possibilité de retourner dans un stade, une salle de sport : pour lui et surtout pour y retrouver les autres, sa petite fille. Pour des instants de complicité partagés, des leçons d'humilité et d'engagement données sur un bord de terrain, assis sur un banc, les regards perdus dans les tribunes, les soirs de victoire ou les lendemains de débâcle.
Je laisse ma fille saluer son grand-père avant de courir « sur le pré », comme elle aime le dire depuis qu'une ancienne internationale française, venue les voir à l'entraînement, leur a glissé cette expression dans le creux de l'oreille.
Quelques mots échangés à la volée avec papa : « Oui, Papa, je prends soin de moi », « Oui, je fais attention », « Non, je ne renoncerai pas au combat ». A plus de 35 ans, je reste sa petite fille. Même si, au fond de ses yeux, je lis un immense respect pour celle que je suis devenue. Il y est pour quelque chose. Il le sait. De mon passé de sportive, j'ai gardé le coût du défi, de l'abnégation, du collectif. Je préside toujours le club féminin, fondée avec quelques amies. La section hand-fauteuil a pris de l'ampleur. Et dans les moments de découragement professionnel, j'y puise la motivation nécessaire pour aller de l'avant.
« En avant ! ». Tous les jours, c'est mon leitmotiv. Quand je regagne l'hôpital où j'exerce depuis la fin de mes études. Persévérer. Un mot qui prend tout son sens depuis que la pandémie nous est tombée dessus. Résilience. Parce qu'il y a toujours un « après ».
Parce que demain se construit maintenant. Sur les terrains de sport. Dans les salles de cours. Dans la Cité. Ensemble.
Comme aimait à le dire ma mère : « Là où tu vas, il y a toujours quelqu'un à aider ». Vivement le prochain.
Autant d'expressions qui prennent vite place dans ma vie. Grâce à un papa féru de sports, pratiquant à petit niveau mais soucieux de m'ouvrir à toutes les disciplines, qu'elles soient collectives ou individuelles, sans distinction de sexe. Très vite, je comprends que le sport occupera une place importante dans ma vie. Sans me douter qu'il m'apportera beaucoup plus qu'une liberté et un bien-être physique et mental.
J'ai 10 ans, je m'appelle Zélie et je viens de franchir, pour la première fois, les portes de la salle de handball de ma petite ville. L'avantage de ces bourgades de province, c'est que la bande de potes du collège se retrouve aussi en dehors de l'établissement : dans la rue, pendant les vacances, les mercredi et samedi. Je fais partie de cette génération dont les parents ont toujours encouragé leurs enfants à pratiquer un sport ou une activité physique. A mon âge, on ne réalise pas tout de suite l'intérêt. Pourtant, après quelques séances d'essai, je me prends au jeu et décide de prendre ma première licence en club. Dans mon souvenir, je vois encore l'image de mon père tenant fièrement ce petit bout de papier plastifié et j'entends les mots qui accompagnèrent cette remise un peu solennelle. A la manière de la remise du maillot dans ces équipes de rugby, que bien plus tard je regarderais dans la petite lucarne télévisée.
- « Zélie, sois fière de toi ! Cette 1ère licence est la preuve de ton engagement personnel mais aussi collectif pour le sport que tu as choisi.
- Ah ? » lui dis-je, un peu surprise de ce protocole et de propos qui m'échappent un peu sur l'instant.
- « Oui, ma fille. Aujourd'hui, avec cette licence, c'est plus que dans du sport que tu t'engages. C'est à des valeurs que tu adhères. La solidarité que tu lies avec ton équipe -pour les bons et mauvais moments, le collectif comme expression de ta personnalité et de ton jeu, et surtout le respect ! Celui des autres, le tien, celui des règles et du jeu. Pour tout cela, sois fière. Et quand la balle ne rebondira pas du bon côté, garde la tête haute, maintiens le cap et persévère ! »
« Waouh ! » pensais-je. Je ne m'attendais pas à plonger dans une telle dimension, juste en faisant du hand deux fois par semaine et en jouant un match le samedi. A 10 ans, le raisonnement d'adulte peut nous échapper. Néanmoins, il est des phrases, des images, des moments qui s'ancrent en nous, à la manière d'une madeleine de Proust. Et qui un jour vous reviennent en pleine figure, comme une évidence.
Le hand, c'est le sport scolaire par excellence. Entrer en club est presque une évidence pour beaucoup d'entre nous. La différence éclate peu à peu, quand on réussit des gestes techniques, on court utilement et rapidement, on développe une motricité, une explosivité et une rapidité de prise de décision sur des temps courts. Voilà maintenant 3 ans que je pratique le hand et cette année, l'équipe mixte que nous formons est rodée. Depuis le temps que nous travaillons ensemble, nous finissons par connaître les actions et réactions de chacun et chacune sur le bout des doigts. Et les résultats suivent : on gagne le tournoi de rentrée, on survole le championnat, on réussit l'exploit de battre en coupe départementale une équipe bien mieux classée que nous. Bref, que du bonheur ! Et puis, un jour, à la séance de reprise après la trêve hivernale, le drame : notre entraîneur, que nous appelons affectueusement « Zizou », rapport à sa coupe de cheveux et non pas à son talent de footballeur, nous annonce son départ. Sa fille aînée est malade, se paralyse petit à petit : marcher lui est devenu impossible. Il veut être auprès d'elle plus souvent, et le temps passé pour nous, avec nous, le prive de ces instants de relations père-fille, qu'il sent être d'une importance capitale.
Cette annonce fait soudainement écho à l'importance que Zizou met à nous voir réaliser des actions dans le cadre du Téléthon, et surtout à nous engager, au-delà de notre sport, pour des causes nobles et désintéressées. Après mon père, Zizou vient apporter une brique supplémentaire à la construction de mon identité et de ce que je veux être : « une passeuse solidaire ». A l'image de ce que je suis sur le terrain, je veux aider l'autre.
Avril. Le printemps est revenu et avec lui, mon anniversaire. Je fête mes 18 ans. Je tourne une page. Le bac en juin sifflera la fin de l'insouciance pour beaucoup de mes camarades. Moi, j'attends ce moment comme l'évènement annonciateur de ma participation active à la transformation du monde. Voilà 3 ans maintenant que j'ai arrêté de pratiquer en compétition le hand. Non pas par manque de temps, mais par manque d'équipe féminine... Il paraît qu'après 15 ans, les filles et les garçons sont trop différent.es pour jouer ensemble. Qu'importe, avec quelques copines, on a lancé notre section féminine et me voilà propulsée entraîneure-présidente. Je découvre et j'adore ! Me battre pour l'égalité, permettre l'accès au sport pour le plus grand nombre, voilà des défis qui me motivent ! Le sport a ça de merveilleux, c'est de réunir et de mettre en avant, dans un grand tout collectif, les forces et les atouts de chaque personne. Ma prochaine ambition est de créer une équipe de hand-fauteuil... et d'y faire jouer la fille de Zizou.
L'année prochaine, mes études me laisseront certainement moins de temps... Mais je veux garder cet engagement sportif et social qui me donne une impression d'utilité et me rend fière des petites victoires quotidiennes. Mon père avait raison : signer une licence, c'est embarquer dans une aventure au long cours. Rien n'est plus vrai aujourd'hui.
J'accompagne cet après-midi ma fille, Nelly, pour son match de rugby. Elle y joue depuis 1 an. Du haut de ses 7 ans, elle porte fièrement le maillot de son club, un peu grand car taillé pour les garçons. Peu lui importe. Pour elle, l'essentiel est ailleurs : combattivité, exemplarité et entraide sont des notions qui lui sont chères et qui font sens. L'année particulière qui vient de s'écouler l'a faite mûrir en accéléré. On retrouve mon père, son grand-père, qui nous attend, masque sur le visage. Voilà un moment qu'il attendait cette possibilité de retourner dans un stade, une salle de sport : pour lui et surtout pour y retrouver les autres, sa petite fille. Pour des instants de complicité partagés, des leçons d'humilité et d'engagement données sur un bord de terrain, assis sur un banc, les regards perdus dans les tribunes, les soirs de victoire ou les lendemains de débâcle.
Je laisse ma fille saluer son grand-père avant de courir « sur le pré », comme elle aime le dire depuis qu'une ancienne internationale française, venue les voir à l'entraînement, leur a glissé cette expression dans le creux de l'oreille.
Quelques mots échangés à la volée avec papa : « Oui, Papa, je prends soin de moi », « Oui, je fais attention », « Non, je ne renoncerai pas au combat ». A plus de 35 ans, je reste sa petite fille. Même si, au fond de ses yeux, je lis un immense respect pour celle que je suis devenue. Il y est pour quelque chose. Il le sait. De mon passé de sportive, j'ai gardé le coût du défi, de l'abnégation, du collectif. Je préside toujours le club féminin, fondée avec quelques amies. La section hand-fauteuil a pris de l'ampleur. Et dans les moments de découragement professionnel, j'y puise la motivation nécessaire pour aller de l'avant.
« En avant ! ». Tous les jours, c'est mon leitmotiv. Quand je regagne l'hôpital où j'exerce depuis la fin de mes études. Persévérer. Un mot qui prend tout son sens depuis que la pandémie nous est tombée dessus. Résilience. Parce qu'il y a toujours un « après ».
Parce que demain se construit maintenant. Sur les terrains de sport. Dans les salles de cours. Dans la Cité. Ensemble.
Comme aimait à le dire ma mère : « Là où tu vas, il y a toujours quelqu'un à aider ». Vivement le prochain.