Quand on veut, on peut

On dit que les parents, les adultes, sont les premiers éducateurs. C'est possible... jusqu'au moment où les enfants prennent les choses en main.
Dans la bourgade, tout a commencé à cause d'un jeu.
Une trentaine d'enfants, des neuf-douze ans environ, étaient hébergés sous des tentes en camp de vacances, pour leur plus grand plaisir, dans la forêt juste à la sortie des HLM. Enfin, ils étaient libérés des contraintes de leurs parents ! Ils pourraient profiter pour quelques semaines d'une vie en pleine nature ! Une vie qu'ils pourraient comprendre en l'expérimentant. Parce qu'ils n'étaient pas là pour s'amuser, ils le savaient, les quatre éducateurs qui devaient s'occuper d'eux allaient leur parler de la Terre, leur planète qui, disait-on, se trouvait de plus en plus maltraitée : on les inciterait à vivre en symbiose avec la Nature ! C'est ainsi qu'ils entendirent parler du changement climatique. Il fallait recycler ses déchets, économiser l'eau, économiser l'électricité. Bref, il fallait changer son comportement, son mode de vie.
En camping, sous une tente, on se passe bien d'électricité, puisqu'on se sert d'une lampe torche. Encore faut-il penser à ne pas jeter n'importe où la pile usagée. Ne pas prendre de douche bien chaude ? Quelle importance, puisqu'on a le ruisseau juste à côté, qui passe dans le pré. Quel déchet peut-il y avoir ? Les restes de nourriture sont rendus à la terre. Les cartons peuvent être enterrés puisqu'ils pourrissent ; quant aux plastiques, on les garde précieusement pour les porter dans les sacs jaunes de la ville prévus à cet  effet. Mais cette vie, c'est facile, puisque c'est ensemble qu'on l'a vit, chacun épaulant l'autre. Histoire d'émulation. Et puisque c'est l'été, il est normal de vivre autrement que les autres jours. Et tout cela n'est qu'un jeu, le temps des vacances que l'on passe ensemble, pour s'amuser.
Mais quand on rentre à la maison ? Que l'on se retrouve tout seul face à un mode tout prêt depuis des années et des années, avec tout le confort acquis laborieusement au cours des âges ? Que peut-on faire, seul, face à toutes les tentations de la facilité ? Tout s'oublie vite une fois rentré chez soi ?
Non, cette année-là – par quel miracle ? - les enfants avaient retenu la leçon ; il ne restait plus qu'à l'inculquer aux parents. Ce ne serait sans doute pas facile, mais pour une fois, ce sont eux qui donneraient les leçons. Ce qu'ils firent avec enthousiasme.
Oh, cela n'alla pas sans heurt, cela ne se fit pas instantanément. Il y eut bien des sourires moqueurs quand les enfants énoncèrent quelques idées simples pour réduire l'eau ou l'électricité. Et sans doute, parce que les parents ne reconnaissaient plus leurs enfants !
Mais cela commença lorsque plusieurs enfants décidèrent de prendre une douche plutôt qu'un bain. Oui, dirent-ils, on gaspille moins d'eau et moins  d'électricité pour la chauffer. Et soudain, en plein hiver, certains refusèrent d'allumer le chauffage dans leur chambre. Là, plus personne ne comprit rien.
Six mois ne s'étaient pas écoulés depuis ce fameux camp d'été que sous la poussée générale, la commune accepta la création d'un conseil municipal d'enfants. Toutes les réunions se tinrent en grand secret, au grand ébahissement de tous. Mais au vu de l'excitation de plus en plus grande des conseillers adultes, les habitants de la commune comprirent qu'il se passait quelque chose d'extraordinaire.
Et en effet, sous l'impulsion des enfants, une charte de bonne conduite fut promulguée pour tous les habitants de la commune
Article 1 : il est autorisé une seule douche par habitant et par semaine ; les autres jours, se laver dans une bassine. Nous n'en serons pas moins sales.
Article 2 : ne pas utiliser le lave-vaisselle. Que chaque membre de la famille fasse la vaisselle à tour de rôle, vous dépenserez moins d'eau et moins de chauffage. Et chacun sera fier d'avoir une responsabilité au sein de la famille.
Article 3 : ne pas faire de lessive tous les jours : il n'est sans doute pas nécessaire de changer de tenue chaque jour, quand ce n'est pas deux fois par jour ! Nous ne puons pas pour autant ! Alors une par semaine suffira.
Article 4 : le chauffage électrique doit être réglé de manière à ne pas dépasser les 17° dans la maison. Si vous avez froid, habillez-vous plus chaudement en mettant un pull en laine supplémentaire.
Article 5 : ne pas faire fonctionner la VMC. Mais ouvrir les fenêtres au moins une heure par jour pour renouveler l'air, chasser l'humidité et les moisissures.
Article 6 : inutile de posséder plusieurs frigidaires et congélateurs et faire des réserves. Il y a suffisamment de commerces achalandés tous les jours en ville pour effectuer ses achats.
Article 7 : Inutile de laisser ses appareils momentanément inutilisés en veille, ils se rallument si vite. Penser à les éteindre.
Article 8 : il est inutile de prendre sa voiture pour des trajets brefs, comme aller chercher son pain ou déposer vos enfants à l'école, à cent mètres de chez vous, ou même un peu plus loin. Vous ferez un peu de sport naturel et votre santé vous remerciera. En même temps, vous éviterez l'émission du CO2 et protégerez la couche d'ozone.

Lorsque la charte fut promulguée, ce fut d'abord un beau tollé, de par toute la cité. Les enfants étaient devenus fous ! Mais comment avait-on la faiblesse de les écouter, comment  pouvait-on leur faire confiance ! Et puis, ce furent des explosions de fous rires. Oui, bien sûr, tout cela ne pouvait être qu'une plaisanterie ! Des gosses, ça ne savait que s'amuser ! Et puis, une famille par ici, une famille par là... peu à peu, chacun, d'abord par jeu puis de plus en convaincu, s'essaya à ces nouveaux commandements.
Bien leur en prit. Chacun voyait, agréablement surpris, ses factures d'eau et d'électricité baisser bien sensiblement. Bientôt, ce fut la course à savoir qui respecterait au mieux ces engagements. Chacun découvrait avec ravissement que ce qui était bon pour la Terre l'était aussi pour lui. La Terre et les finances personnelles se portaient mieux et tous et toutes s'en réjouirent.  Oui, la Terre, l'Homme, même combat !
L'histoire fit grand bruit dans tous les environs. À présent, la bourgade est citée en exemple dans toute la région et plus loin, ailleurs. On songe même à l'imiter.
On voulut alors remercier les avisés et généreux éducateurs du camp de vacances qui avaient été à l'origine de ce cours mémorable. Mais avec surprise, on constata qu'il fut impossible de les retrouver. Ce qui étonna plus d'un, c'est que nul ne connaissait ces deux hommes et ces deux femmes qui avaient si bien inculqué ce nouveau mode de vie aux enfants. Ces inconnus s'étaient évanouis, on ne savait où, nul n'en entendit plus jamais parler. Qui étaient-ils ? D'où venaient-ils ? Personne jamais ne put répondre à ces questions. On réalisa que l'on avait confié les enfants à des inconnus, sans crainte aucune. Mais, existaient-ils vraiment ? Fallait-il partir à leur recherche ? La Terre aurait-elle une divinité qui veille sur elle ? Et si tout cela n'était que le pouvoir de la volonté ? Mais cela est une autre histoire.
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