Mes parents ne savaient plus quoi faire, ils étaient totalement dépassés par la tornade que j'étais. Ma mère avait perdu quinze kilos trois mois à peine après son dernier accouchement. Je suis l'aînée de quatre enfants, la seule fille, la plus turbulente aussi. Entre chaque tété, nous courrions au parc, en forêt, à bicyclette ou à trottinette. Ma mère ne savait plus comment me permettre de me défouler. Et si par malheur le temps était à la pluie, rester enfermée dans cet appartement exigu devenait un enfer. Je brûlais in vivo et me vengeais en tapant sur un de mes frères et finissais invariablement punie. J'étais l'aînée, celle qui devait montrer l'exemple, celle qui devait guider, aider, accompagner. Après de longues discussions dont j'épiai les moindres détails du couloir sombre qui menait aux chambres, mes parents décidèrent qu'il était urgent de m'inscrire à un club sportif même si nous n'avions que peu de moyens. Ils suivraient donc les conseils de la directrice de mon école primaire : « Il est urgent de trouver un moyen de la canaliser ! ». Car, comme vous devez vous en douter, passer des heures assise sur une chaise, cloîtrée dans une salle de classe me rendait quelque peu agressive envers mes camarades. Je les terrorisais régulièrement. Enfin, de leur point de vue. De mon côté, je ne voyais pas du tout les choses de la même façon et les punitions reçues me paraissaient atrocement injustes. Si je frappais, c'était parce que les autres étaient de vraies têtes de mule et qu'ils ne voulaient pas m'écouter. Je tapais aussi beaucoup pour défendre ceux qui n'osaient rien dire : « Tu vas lui rendre son goûter. Je te jure que si tu le lui rends pas, tu vas avoir très, très mal ! » Et je n'étais pas une menteuse !
Je commençai donc mes expériences sportives par la danse, pour faire comme les copines. Je me suis vite ennuyée. Impossible avec des entrechats de calmer ce bouillonnement intérieur qui m'habite depuis l'enfance. Même le hip hop ne vint pas à bout de mon énergie tonitruante. Puis, à l'âge de treize ans, j'ai essayé le football. Pas mieux. Mon caractère sanguin ne convenait pas aux sports d'équipe. Je voulais faire la loi sur le terrain et me battais trop souvent. Mes parents avaient beau m'encourager, j'avais beau avoir envie de voir briller la fierté dans leurs yeux, c'était peine perdue. Mais un jour, alors que j'attendais une copine dans le hall du lycée, j'ai vu cette affiche : première séance de boxe offerte. Comme une évidence, le mercredi suivant, j'assistai à ce cours. Je suis sortie du ring sonnée. J'étais conquise. Lorsque j'informai fièrement mes parents de mon choix, je les ai sentis hésitants. Je devrais donc leur prouver que j'étais capable de boxer, que ce n'était pas un sport réservé aux garçons. Bien entendu, je m'engageai à poursuivre mes études. Quand j'en parlai à mes potes du lycée, je les ai sentis choqués : « Tu plaisantes là, tu veux faire de la boxe ! J'aurais jamais cru que t'étais lesbienne ». Je devrais donc leur prouver que je pouvais être féminine, hétéro et boxeuse à la fois. Je devrais faire tomber ces stéréotypes qui me donnaient encore envie de rendre justice avec mes poings. Oui, je me maquille, je porte des bijoux, des robes et je colle des uppercuts à qui est capable d'encaisser. Et alors ?
Les semaines suivantes ont marqué le début de mon combat. Mon ambition ? Que tous me reconnaissent comme une guerrière, à commencer par mon entraîneur. J'attendais chaque mercredi soir qu'il me félicite pour mes prouesses et ma ténacité. Je me prenais chaque mercredi soir son mutisme en pleine tronche. J'avais envie de lui coller une bonne droite histoire de le faire réagir mais d'une part, j'étais trop crevée à la fin des entraînements pour ne serait-ce que lever le bras et d'autre part je le respectais trop pour franchir le pas. Alors son respect, il fallait que j'aille le chercher au fond de mes tripes. Première leçon : mes poings ne peuvent pas tout régler. Un combat viscéral. J'ai laissé tomber les potes, les sorties, les cinés, la télé, les hamburgers et les cookies. J'ai eu mon bac en même temps que je gagnais mes premiers combats. Mais ce n'était pas assez. Je brûlais d'aller plus loin. Pour mes parents, pour moi, pour ceux qui doutaient encore. Malgré la souffrance, le corps qui hurle; malgré la fatigue qui te rince ; malgré mes coups de colère qui me poussent à tout foutre en l'air. La boxe m'apprend à me dépasser, à me canaliser. Deuxième leçon : je suis seule responsable de celle que je veux être. Mon entraîneur est devenu mon allié de choc. Je peux toujours compter sur lui, quoiqu'il arrive mais je reste seule maître à bord. Tout dépend de ma maîtrise de la technique et de moi-même surtout.
Mon obsession, ma constante : monter sur le ring et vaincre. L'autre n'est pas une adversaire mais mon alter ego. Comme se regarder dans un miroir. Elle mène les mêmes combats quotidiens, elle fait les mêmes sacrifices. Je peux la prendre dans mes bras, l'embrasser. Cela ne m'empêchera pas de la terrasser sur le ring. Je dois être la meilleure pour lui témoigner mon respect, être une adversaire de premier choix. Alors pourquoi j'ai envie de la cogner, me direz-vous ? Ce n'est pas elle que je frappe. Je colle un direct au visage des injustices de ce monde. Mon combat, c'est la revanche de mes parents à travers leur descendance. J'absorbe les souffrances de ceux qui n'ont pas la force de s'en sortir ou qui n'ont pas eu cette chance. Troisième leçon : toujours se réjouir de ce que l'on a. Mes spectateurs, je leur insuffle cette rage de ne rien lâcher, même dans la douleur, quand le sang coule, quand la vue se brouille, quand un genou touche le sol. Toujours se relever et avancer, bouger, casser la distance et gagner. « Ne reste pas statique ! » me hurle mon entraîneur. L'immobilité, c'est la fin. Et à chaque fin de combat, je pense déjà au prochain, comme un cycle infini. Dormir pour récupérer, manger sainement pour ne pas prendre de poids, sauter à la corde, frapper dans le sac jusqu'à l'épuisement, courir à bout de souffle. Et tout recommencer, inlassablement. Se mettre sur pilote automatique, ne pas trop réfléchir au risque de me dire que je suis folle de m'imposer tous ces sacrifices. Et à force d'acharnement, je finis championne de France dans la catégorie « amateur », puis je pars à la conquête de l'Europe, celle dont mes parents ont tant rêvé lorsque je suis née. Un an plus tard, je passe professionnelle. Je fais sauter toutes les barrières. Je repousse les frontières de ma volonté à chaque combat, ces frontières qui font tant souffrir les hommes, qui les poussent à se déchirer, se faire la guerre. La seule guerre que je mène est contre moi-même, me dépasser, toujours. Viser mieux, ne jamais rien lâcher. Je le dois à mes parents. Eux non plus n'ont rien lâché quand ils ont fui l'Erythrée pour m'offrir une vie meilleure, pour fuir l'oppression, les menaces de mort. En réalité, ils m'ont appris à ne rien céder pour défendre la liberté. Aujourd'hui, je défends aussi celle des autres, de ces femmes victimes de violence conjugales. Je m'engage sur tous les fronts. Je suis flic, je suis boxeuse, je suis femme, je suis une molécule d'Humanité qui se bat pour un avenir meilleur. Je termine deux ans plus tard championne du monde, la plus haute marche, mon graal. Rien n'est jamais impossible. Je répète chaque jour cette phrase, comme un mantra, à ce petit être fragile que je tiens dans mes bras. Je me demande, le regard rivé à ma plus belle victoire, quel combat elle choisira de mener, avec sa mère toujours à ses côtés.
Je commençai donc mes expériences sportives par la danse, pour faire comme les copines. Je me suis vite ennuyée. Impossible avec des entrechats de calmer ce bouillonnement intérieur qui m'habite depuis l'enfance. Même le hip hop ne vint pas à bout de mon énergie tonitruante. Puis, à l'âge de treize ans, j'ai essayé le football. Pas mieux. Mon caractère sanguin ne convenait pas aux sports d'équipe. Je voulais faire la loi sur le terrain et me battais trop souvent. Mes parents avaient beau m'encourager, j'avais beau avoir envie de voir briller la fierté dans leurs yeux, c'était peine perdue. Mais un jour, alors que j'attendais une copine dans le hall du lycée, j'ai vu cette affiche : première séance de boxe offerte. Comme une évidence, le mercredi suivant, j'assistai à ce cours. Je suis sortie du ring sonnée. J'étais conquise. Lorsque j'informai fièrement mes parents de mon choix, je les ai sentis hésitants. Je devrais donc leur prouver que j'étais capable de boxer, que ce n'était pas un sport réservé aux garçons. Bien entendu, je m'engageai à poursuivre mes études. Quand j'en parlai à mes potes du lycée, je les ai sentis choqués : « Tu plaisantes là, tu veux faire de la boxe ! J'aurais jamais cru que t'étais lesbienne ». Je devrais donc leur prouver que je pouvais être féminine, hétéro et boxeuse à la fois. Je devrais faire tomber ces stéréotypes qui me donnaient encore envie de rendre justice avec mes poings. Oui, je me maquille, je porte des bijoux, des robes et je colle des uppercuts à qui est capable d'encaisser. Et alors ?
Les semaines suivantes ont marqué le début de mon combat. Mon ambition ? Que tous me reconnaissent comme une guerrière, à commencer par mon entraîneur. J'attendais chaque mercredi soir qu'il me félicite pour mes prouesses et ma ténacité. Je me prenais chaque mercredi soir son mutisme en pleine tronche. J'avais envie de lui coller une bonne droite histoire de le faire réagir mais d'une part, j'étais trop crevée à la fin des entraînements pour ne serait-ce que lever le bras et d'autre part je le respectais trop pour franchir le pas. Alors son respect, il fallait que j'aille le chercher au fond de mes tripes. Première leçon : mes poings ne peuvent pas tout régler. Un combat viscéral. J'ai laissé tomber les potes, les sorties, les cinés, la télé, les hamburgers et les cookies. J'ai eu mon bac en même temps que je gagnais mes premiers combats. Mais ce n'était pas assez. Je brûlais d'aller plus loin. Pour mes parents, pour moi, pour ceux qui doutaient encore. Malgré la souffrance, le corps qui hurle; malgré la fatigue qui te rince ; malgré mes coups de colère qui me poussent à tout foutre en l'air. La boxe m'apprend à me dépasser, à me canaliser. Deuxième leçon : je suis seule responsable de celle que je veux être. Mon entraîneur est devenu mon allié de choc. Je peux toujours compter sur lui, quoiqu'il arrive mais je reste seule maître à bord. Tout dépend de ma maîtrise de la technique et de moi-même surtout.
Mon obsession, ma constante : monter sur le ring et vaincre. L'autre n'est pas une adversaire mais mon alter ego. Comme se regarder dans un miroir. Elle mène les mêmes combats quotidiens, elle fait les mêmes sacrifices. Je peux la prendre dans mes bras, l'embrasser. Cela ne m'empêchera pas de la terrasser sur le ring. Je dois être la meilleure pour lui témoigner mon respect, être une adversaire de premier choix. Alors pourquoi j'ai envie de la cogner, me direz-vous ? Ce n'est pas elle que je frappe. Je colle un direct au visage des injustices de ce monde. Mon combat, c'est la revanche de mes parents à travers leur descendance. J'absorbe les souffrances de ceux qui n'ont pas la force de s'en sortir ou qui n'ont pas eu cette chance. Troisième leçon : toujours se réjouir de ce que l'on a. Mes spectateurs, je leur insuffle cette rage de ne rien lâcher, même dans la douleur, quand le sang coule, quand la vue se brouille, quand un genou touche le sol. Toujours se relever et avancer, bouger, casser la distance et gagner. « Ne reste pas statique ! » me hurle mon entraîneur. L'immobilité, c'est la fin. Et à chaque fin de combat, je pense déjà au prochain, comme un cycle infini. Dormir pour récupérer, manger sainement pour ne pas prendre de poids, sauter à la corde, frapper dans le sac jusqu'à l'épuisement, courir à bout de souffle. Et tout recommencer, inlassablement. Se mettre sur pilote automatique, ne pas trop réfléchir au risque de me dire que je suis folle de m'imposer tous ces sacrifices. Et à force d'acharnement, je finis championne de France dans la catégorie « amateur », puis je pars à la conquête de l'Europe, celle dont mes parents ont tant rêvé lorsque je suis née. Un an plus tard, je passe professionnelle. Je fais sauter toutes les barrières. Je repousse les frontières de ma volonté à chaque combat, ces frontières qui font tant souffrir les hommes, qui les poussent à se déchirer, se faire la guerre. La seule guerre que je mène est contre moi-même, me dépasser, toujours. Viser mieux, ne jamais rien lâcher. Je le dois à mes parents. Eux non plus n'ont rien lâché quand ils ont fui l'Erythrée pour m'offrir une vie meilleure, pour fuir l'oppression, les menaces de mort. En réalité, ils m'ont appris à ne rien céder pour défendre la liberté. Aujourd'hui, je défends aussi celle des autres, de ces femmes victimes de violence conjugales. Je m'engage sur tous les fronts. Je suis flic, je suis boxeuse, je suis femme, je suis une molécule d'Humanité qui se bat pour un avenir meilleur. Je termine deux ans plus tard championne du monde, la plus haute marche, mon graal. Rien n'est jamais impossible. Je répète chaque jour cette phrase, comme un mantra, à ce petit être fragile que je tiens dans mes bras. Je me demande, le regard rivé à ma plus belle victoire, quel combat elle choisira de mener, avec sa mère toujours à ses côtés.