Un choix

Toute histoire commence un jour, quelque part et cette fois-là, il faisait une chaleur infernale au-dessus de ma tête quand je commençai à sentir un poids me tomber dessus. Le rouge gagnait ma vision qui s’était absentée un court instant dans un vague soupir. Une grande douleur s’installa alors sous mon front et se propagea jusqu’à me faire perdre connaissance.
Un instant plus tard, je m’étais réveillé, j’étais dans mon lit. Je sentais la tiédeur d’une main me serrer le poignet droit et l’endroit où la douleur se faisait sentir, le froid d’une petite serviette mouillée. Je m’étais évanoui après être resté au soleil pour bricoler la mobylette de mon frère avec mon père. Ma mère est restée auprès de moi tout le reste de la journée car elle était inquiète. Je me suis endormi pour ne me réveiller que le lendemain matin. Les surveillances doublaient autour de moi. Pourtant, je n’ai plus eu aucun malaise depuis ce jour. Mais seulement, la douleur me tourmentait jusqu’à aujourd’hui.

Hier encore je gambadais, riais, plaisantais, vivais dans la joie et le bonheur auprès de ma famille et me voici actuellement faisant pitié à ceux qui avaient étudié mon cas, souffrant dans l’ombre, voulant à tout prix revenir en arrière, seul. Chaque fois que le gardien frappait à la porte faisant un bruit de ferraille, je repensais à la mobylette de mon frère sur laquelle je n’ai jamais pu ajouter le petit gadget que j’ai tant voulu placer. Toutes les fois qu’un voisin me sifflait, je n’entendais pas mais un grand frisson me parcourait de la tête aux pieds. Les visites que je recevais ne me disaient rien car dès que l’une des personnes me disait une valeur, que ce soit monétaire ou matérielle, je frémissais et mes poings prêts à briser n’importe quoi se préparaient : Je piquais une crise.

Je m’interrogeais souvent : « Comment je pouvais vivre après tout ce que j’ai fait ? ». Mon dernier jour et celui que j’ai passé dans cette chambre peu éclairée, j’avais parlé à un petit garçon au visage inexpressif et calme. Cependant, avant que je ne dise quoi que ce soit, il dit oui de la tête. Moi qui commençais à me déconnecter, j’avais immédiatement compris que ma fin était proche. Tandis que je m’allongeais sur mon lit, il prit une chaise et se mit à mon chevet pour m’écouter. Je me sentais affaibli tout doucement et je n’ai plus réussi ni à manger ni à boire, tellement la souffrance me gagnait comme ma vie. Je pensais alors que ce bonhomme me donnerait la plus petite possibilité de me corriger en m’emmenant enfin à la lumière. Je ne savais pas d’où il venait ; en plus, il n’était accompagné de personne. Un grand espoir naquit en moi (si ma faute, doutais-je, ne pourrait jamais, jamais être pardonnée ?). Je commençais alors.

Le jour de mon seizième anniversaire, mes parents étaient absents, ils étaient en voyage et mon grand frère, le seul que j’avais d’ailleurs, était à une réception donnée en l’honneur de sa nouvelle promotion. J’étais seul à la maison et l’ennui commença à m’envahir. Voyant mes amis qui, à cet âge s’éclater et mordre la vie à pleines dents, je sortais me promener et rendre visite à mes copains. La journée fut époustouflante malgré le fait de ne pas l’avoir passé en famille. Je ne rentrais que dans la soirée et à mon grand étonnement, la maison était encore vide. En passant à la cuisine, un bout de papier était posé sur la paillasse disant qu’il ne rentrait pas. Tout compte fait, j’avais passé ce jour tout seul. J’avais occupé la chambre de mon frère pour pouvoir voir des films et jouer sur la console. Je me suis fait un petit festin en me permettant tout. A minuit, mes parents m’avaient appelé, sûrement pour me souhaiter « Joyeux anniversaire ». J’étais furieux contre eux : je me disais qu’il était trop tard désormais, où étaient-ils durant toute la journée ? Alors, je n’ai pas décroché le combiné. J’avais fait l’absent.

Le lendemain, en rentrant et en voyant tout le désordre qui régnait dans la maison, surtout dans sa chambre, mon frère prit rapidement un air de chacal. Il me renvoya de sa chambre, tout trempé : il m’avait arrosé d’eau glacée pour me dégager de son lit. La musique rock était à fond et j’avais oublié d’éteindre la télé. Des mots grossiers et hurlements résonnaient dans toute la maison. Moi, je me suis isolé dans ma chambre en fermant la porte à doubles tours. Je n’ai rien rangé, moi qui avais tout mis sens dessus-dessous. Je n’avais rien dit mais mon cœur battait avec furie. Dans ma tête, la question : « Pourquoi est-ce que j’ai un frère ? » se répétait sans cesse. A peine j’avais claqué la porte de ma chambre que j’entendis de faibles tapes à ma porte. Je répondis d’un ton sec et mon frère me demanda tout doucement de la lui ouvrir. Furieux, j’ouvris quand même la porte. Je vis des larmes couler sur ses joues ; son visage s’était assombri, ses lèvres tremblaient et son corps frissonnait. J’aurais dit qu’il était malade, ce qui était impossible en si peu de temps. Je lui ai redemandé ce qu’il avait. Il m’a répondu en une seule phrase. Une phrase qui a basculé ma vie, m’a changé complètement et m’a plus renfermé que m’a ouvert les yeux. Il m’a dit : « Papa et maman sont morts ». Rien ne fit plus rien. Mon corps se figea, ma pendule s’arrêta, mon cœur en fit de même. Je sentis mes larmes me monter aux yeux et mes jambes flageolaient. Je tombai à terre, perdu. Mon frère essaya de me tenir debout quelques minutes mais finit par s’effondrer avec moi. Après avoir versé toutes les larmes de mon corps, j’eu la force de lui demander ce qui s’était passé. Lui aussi essayait de se reprendre, et m’expliqua qu’ils avaient eu un accident. Le car qui les ramenait était conduit par un vieux monsieur ivre. Et sans se rendre compte qu’ils allaient passer un virage étroit, ce dernier continua tout droit puis tomba dans un gouffre. Nul ne survécut car les chocs étaient très violents. Nous fîmes notre deuil.

Pendant une semaine, je ne pouvais plus rien faire. Même à l’école rien n’allait plus. Mes notes ont chuté. Il fallait, à chaque chose qu’on faisait, faire des économies et des croix sur ce qu’on désirait vraiment. C’était la fin du monde pour moi. Quelques semaines après cette grande séparation, mon frère m’a annoncé qu’il n’arrivait plus à subvenir à nos besoins, alors il a essayé de chercher du travail. Il n’a obtenu que celui d’un aide caissier dans un petit magasin à un demi- kilomètre de la maison. Je lui ai proposé de casser ma caisse d’épargne mais il a refusé, il disait qu’il avait déjà cassé la sienne et qu’il n’était pas nécessaire de tout gaspiller en un rien de temps. Il disait aussi que j’en aurais besoin un de ces jours. Pourtant, jusqu’à maintenant je n’ai pas encore touché et voilà que je vais bientôt mourir. De plus, je n’ai pas d’enfant à qui léguer. Mon frère a donc laissé ses études pour me donner ma chance. J’ai fait de mon mieux pour ne pas le décevoir mais plus j’avançais en classe supérieure, plus les frais augmentaient. D’abord j’allais à pied pour rejoindre les cours mais ce n’était pas suffisant. Alors je me suis mis aussi à faire un petit boulot. Aide- garagiste, celui qui était près de chez nous. Je ne pouvais m’y coller que le week-end et durant mes temps libres. Je gagnais peu mais c’était déjà mieux que rien. Après mon bac, j’ai pu augmenter mes revenus en donnant des cours à quelques enfants du quartier.

Le jour de mes dix-huit ans, mon frère m’a offert sa mobylette. Il disait que j’étais majeur à ce moment-là et que je devais penser à mon avenir. Aussi ne savait-il pas si je deviendrais livreur de pizzas plus tard. (« Je ris un peu »). Lui, il avait deux ans de plus que moi. Mais ce qui a surtout marqué ma vie et ce qui m’a fait tomber dans ce trou, c’était ce qui s’est passé la semaine d’après. Le Mardi exactement, papa et maman me manquaient tellement que j’ai ressorti le dernier argent que mon père m’avait donné. Je l’avais si précieusement rangé qu’il était comme neuf. Je n’avais pas l’intention de l’utiliser, mais seulement de le revoir. Je l’ai remis dans mon portefeuille que j’ai posé sur la table. Je l’ai mis avec mes frais et je suis parti faire un tour pour me décontracter un peu et m’alléger le cœur. Ce jour, mon frère ne travaillait pas : il marquait une pause. Il restait à la maison car sa petite amie était chez ses parents. C’était donc lui qui s’occupait de nos besoins alimentaires.
Je ne suis rentré qu’à dix-sept heures parce que des garçons que j’avais rencontrés m’ont attiré dans un petit club pour voir un film et des tours de magie. J’étais assez fatigué en rentrant et un peu furieux à cause des bouchons qui y avaient en ville. Arrivé à la maison, voilà que l’argent de mon père a disparu de mon portefeuille. La vraie somme était de deux mille cinq cents seulement mais elle comptait beaucoup pour moi. Je ne pouvais donc me résoudre à juste la perdre comme ça comme par magie. J’ai demandé à mon frère, il m’a répondu qu’il ne savait pas où était l’argent pourtant il n’y avait que lui et moi dans la maison et surtout lui qui est resté seul tout ce temps. Je n’arrivais pas à me résigner. Je lui ai demandé et toujours la même réponse. Je cherchais partout dans mes tiroirs, mes jeans, mon lit, par terre ; par où j’étais passé mais sans résultat. La colère commençait alors à me gagner et même des insultes sortaient de ma bouche. Je finis par les destiner à mon frère. Je l’accusais de voleur, en ajoutant à chaque fois « c’est impossible que... ». Tellement j’étais énervé que j’ai lancé son tabouret à travers sa télé qui fut brisée. Je n’arrivais pas à accepter que la dernière chose que mon père m’avait donné, la dernière avant qu’il ne parte à tout jamais, soit perdue. Je continuais à tout saccager dans toute la maison cherchant désespérément la somme sans arrêter les insultes. Mon frère ne supporta plus. Lui aussi se mit alors à m’insulter mais contrairement à lui, je ne supportais pas du tout, même pas la première injure qu’il m’a dit. Puis il m’a poussé et je suis tombé sur le plancher. Bien sûr, je n’ai pas accepté et je lui ai mis un coup de pied au tibia qui le fit fléchir. Nous deux, mon frère et moi, les seuls membres de notre famille encore en vie nous battaient. Ce n’était plus se chamailler comme d’habitude mais un combat. D’ailleurs on était tous les deux majeurs donc les coups que nous portions étaient plus intenses et que ni le petit frère ne le grand frère n’existaient plus.

Il m’a étranglé fortement que j’ai tellement eu mal. Il m’a entraîné un peu partout dans la cuisine. Dès qu’il a un tout petit peu lâché prise, j’ai profité pour me dégager. Je le pris par la nuque et l’obligea à se pencher dans un seau plein d’eau qui était à nos pieds. Il s’était même agenouillé ne pouvant plus se débattre. Après un certain temps, il arrêta de bouger et j’ai cessé de pousser. J’avais cru qu’il était évanoui alors je l’ai retiré et l’a laissé quelques minutes sur le parquet. J’ai attendu trente-cinq minutes avant de revenir ; il était encore inconscient par terre. Je l’ai giflé à plusieurs reprises mais aucune réaction. J’essayais de le réanimer de mon mieux, je ne savais pas le faire et j’imitais les actions dans les films. Evidemment, c’était sans succès. Je voulais appeler la police seulement ils vont m’accuser. Après longuement réfléchit, j’appelais les secours. Ils arrivèrent quelques minutes après. C’était tout une armada. Ils m’ont éloigné dans l’autre pièce. Au loin, je vis un homme le réanimer mais en vain. Celui-ci posa sa main à son cou, j’étais sûre que c’était pour sentir son pouls. Quand je vis son visage se baisser puis sa tête hocher, mon corps se mit à trembler ; je ne pouvais pas le croire, j’hallucinais c’est sûr, je ne pouvais pas accepter une telle chose. Ils l’avaient recouvert d’un drap blanc de notre chambre. Je commençais à hurler : « Non ! C’est impossible ! J’ai tout simplement fais une toute petite chicane contre mon frère et ça a conduit à sa mort !!! Je l’ai accusé à tort. NONNN !!!Je fondis en larmes pendant quinze bonnes minutes et le petit garçon posa sa main gauche sur mon front. Je me calmai subitement et continuai mon histoire.

J’étais désorienté tellement j’étais coupable. Lorsqu’ils ont emmené mon frère devant mes yeux, je ne réagis pas le moins du monde. Peut-être ma colère était encore présente en moi persistait toujours jusqu’à me figer devant l’acte criminel que j’ai commis. Juste après leur sortie, la police entra pour enquêter. Automatiquement, je suis venu les mener sur les lieux du crime, moi, le coupable. Ce qui était le plus étonnant c’était que je n’avais versé aucune larme pour lui, même pas à ses funérailles. Ce n’est qu’ici en sa mémoire que j’ai envie de pleurer...

Bon, comment est-ce qu’on m’a envoyé ici ? Et bien simplement, je me sentais si mal que je n’ai rien dit ni prononcer un seul mot à qui que ce soit. Après des enquêtes et le procès, c’était sa petite amie qui m’a envoyé dans ce centre de rééducation. En fait, ce n’est pas qu’elle a connu le vrai déroulement de l’histoire que personne n’avait découvert ; mais elle a simplement tiré une conclusion. Elle ne m’a jamais beaucoup aimé d’ailleurs. J’acceptais cette correction car je ne voyais plus de solution et je croyais avoir perdu la raison. Personne ne pouvait ramener mon frère. Elle a même insisté pour que j’y reste la moitié de mon existence. Depuis, j’ai des visions, je cauchemarde sur eux quelques fois je sens même ses mains m’étrangler, ses coups de pieds etc.

Je peux rester ici, surtout que je n’ai plus de famille, je suis un orphelin malade guetté par son passé. Comment mes autres familles, je veux dire les cousins, cousines, tantes et le reste, peuvent-ils m’accorder la vie voire leur pitié et leur attention après tout ce que j’ai fait ? Ce serait trop demander et trop de sacrifice pour eux. Il n’y a pas photos, ils choisiront mon frère car la mort est comme le péché pardonné et celui qui reste en vie est celui qui supportera blâme, remords, haines et grimaces. Je suppose que nul ne peut être pardonné de ses actes que dans la mort en mémoire de celui ou celle à qui il ou elle a commis la faute. J’essaierai quand même de me repentir car ce n’est qu’à ce moment lourd de larmes et de tristesse que je compris le défaut de ce monde et le mien que je mets toujours par-dessus tout. Je me trompe sans doute à mon sujet mais je ne pourrais jamais comprendre celle des autres.
Ceci étant ma dernière phrase, je fermais les yeux et partis pour un nouvel essai en me renaissant parmi ceux que je pourrais qualifier de connus et que j’aurais l’obligeance de vouloir comprendre.