Sans Regret

Toute histoire commence un jour, quelque part et arrive ce jour où l’on rencontre une intersection, aller à droite, aller à gauche ou continuer d’aller tout droit. C’est à ce moment que ce complexifie parfois les événements de notre vie.
Rêves d’enfants.
« À la claire fontaine, m’en allant promener / J’ai trouvé l’eau si belle, que je m’y suis baigné / Il y a longtemps que je t’aime jamais je ne t’oublierai... » Cette chanson, je crois d’ailleurs que je ne l’oublierai jamais. Elle est si simple, si douce et remplie de promesses qu’il est facile, lorsqu’on est enfant, de se laisser bercer par sa mélodie et tranquillement s’envoler vers le monde des rêves; particulièrement lorsqu’elle est chantée par la voix mélodieuse de l’être le plus merveilleux à nos yeux d’enfant... notre maman. On s’imagine aisément cette eau limpide aux reflets des couleurs qui l’entourent au beau milieu d’une forêt aux herbes hautes parsemées de jolies fleurs diverses et d’où un simple faisceau de soleil perce le dense feuillage des feuillus composant comme une barrière entre le monde extérieur et celui de la nature elle-même. Puis il y a ce fameux rossignol, petit oiseau discret, qui fait son entrée et à qui on confit nos peines comme on le ferait avec un vieil ami. Mais le meilleur, c’est cette promesse d’un amour éternel « jamais je ne t’oublierai » qui fleurit dans notre esprit enfantin comme le rêve du prince charmant. Par contre, lorsqu’on vieillit, à ce conte de fées s’infiltre une certaine amertume qui nous fait comprendre que lorsque des paroles deviennent une promesse dans un futur trop éloigné, il faut souvent se rappeler à la réalité...et l’oublier.
Moment présent.
Je suis assise là, en indien, près de la rivière qui parcourt la terre sur laquelle je vis en compagnie de ma famille. J’écoute le son de l’eau qui vient s’écraser sur les roches, accompagné des chants des oiseaux et des wawarons. Je ne suis plus une enfant, mais ce petit coin de nature où j’aime me retrouver loin de tout, me permet encore de rêver à ce que j’ai oublié. Il fait renaître en moi cette idée que la vie est belle et que je dois lui faire confiance. Je ferme donc les yeux et revis chaque instant du plus banal au plus marquant. Je pars presqu’en transe quand soudainement des images d’un futur déstabilisant font surface et me font ressurgir dans la réalité. C’est que parfois, trop souvent, de simples moments tels que celui-ci ne suffisent pas...
Je prends ainsi un moment pour sentir le sable sous mes mains, les éclaboussures de l’eau sur mon visage, reprendre contact avec les sons qui m’entourent, le vol d’une libellule, le chant d’une mésange, le tourbillonnement de l’eau et la fureur de la rivière lorsqu’elle débouche plus loin entre les pierres et les arbres pour passer sous le pont de bois menant au lac.
Questions...aucune.
Je me lève. Petite portion de vie dans cette immensité. La forêt ne se pose pas de question elle. Elle écoute. Elle vit et grandit. Rayonne dans sa palette de couleurs infinie. Joue de sa mélodie regorgeant de lumière, d’existence. Seul l’observateur passionné et ouvert à cette dynamique arrive à voir ce monde si généreux. Dans ce monde de béton et de fer, nul ne regarde cette beauté exhaustive.
Un aboiement. Puis un autre suivit du son de la végétation qui s’agite sous l’action rapide du battement d’une queue. C’est ma chienne affichant son air de fête quotidienne. Heureuse de m’avoir trouvé comme si elle avait découvert un trésor. Je lui tends la main, un geste presque machinal, auquel elle répond en se collant à mes jambes. Sans évidemment se poser de question, aussi rapidement qu’elle est arrivée, elle retourne sur le sentier à la recherche d’un nouveau trésor. Ce qu’elle ne perdit pas de temps à dénicher. Un écureuil fera l’affaire pour cet après-midi. Son nouveau compagnon, lui par contre, se pose des questions. Il arrive visiblement à la conclusion qu’il n’a aucune envie de jouer avec ce monstre poilu.
Lumière.
Je la suis. Il est temps d’être ébloui par la chaleur du soleil de juillet. Ce maître astral qui guide nos journées comme nos nuits nous rendant cette notion de temps, notion si précieuse à nos yeux de mortel.
Un autre soleil m’aveugle par sa lumière persistante. Ce petit bout lumineux me rappelle que je suis à l’image de l’eau calme d’un lac. Ma surface noire et mystérieuse reflète les lumières et les couleurs qui l’entourent sans en avoir totalement une lui appartenant à elle uniquement. Cette lumière, ma sœur. Petit rayon de joie, de bonheur et de gaité. Fébrile comme si elle pouvait cesser d’exister à tout moment. J’aurais aimé avoir un peu de sa couleur. Bee était son prénom. Loin de celui usuel, mais Bee quand même ou Bi- comptant pour deux à l’occasion.
Son problème, son intensité. Aujourd’hui non seulement cherche-t-on une perfection extérieure indiscutable, on veut aussi une personnalité infaillible, une personnalité bien moulée sans éclaboussures, sans fissures, sans autres saveurs que celles proposées. Du haut de sa jeune existence, elle s’en contrefoutait encore. Faisant sa place en bravant les principes de cette société perfectionniste sans même se douter qu’elle lui donnerait une leçon de moralité. Sans penser qu’elle faisait valoir les valeurs d’individualité, de diversité.
Passage.
Un passage. Un pont. Une dimension nous séparait. Cet espace se manifestait entre l’eau calme de la rivière et son côté tumultueux. Regard à gauche fugueur, force et vrombissements. Regard à droite, silence, calme et apaisement. Deux frontières surplombées d’un commun plafond de feuillage vert et jaune à travers lequel l’astre solaire faisait danser ses rayons.
Je me mis à marcher prise entre ces deux pôles. Je m’en allais. Oui, je le savais. Un séjour en ville. La fée que j’étais, allait quitter sa forêt enchantée pour rejoindre ce monde de fer. Mais la forêt elle, ne me quitterait jamais. Elle me l’avait dit à l’aide de son ami le vent. Le lendemain peut-être, ou le mois d’après je ne me souviens plus. Un séjour en ville. Combien de temps? Je ne sais pas non plus, ça dépendra. Ça dépendra de moi, d’eux, de nous. C’est en ville que je ferai mon séjour, pour me changer les idées, me retrouver peut-être ou me perdre. On verra. C’est drôle à dire quand même, me retrouver en ville alors qu’il y a tellement de monde, tellement d’énergies différentes. C’est en nature normalement que les gens vont pour se ressourcer. Moi, c’est de la ville dont j’ai besoin pour cette période.
Je ne suis pas indestructible. Dans les faits, je suis en train de briser intérieurement. Physiquement aussi. Mais j’ai besoin d’être indestructible. D’une certaine façon, c’est maintenant ou jamais.
Fatiguée.
Je suis arrivée. Je perds pied dans ce monde trop grand. Dans ce monde trop plein et trop vide à la fois. Plein de vies, mais de vies dictées. Des vies programmées, robotisées. Mon cœur bat la chamade, mais il ne bat pas plus avec autant de vigueur qu’avant. Il est fatigué. Il s’éteint loin de sa forêt.
Ma petite lumière, mon indépendante, ma Bee... pourrais-tu vivre ici dans ton extravagance? Toi qui a su bien avant les autres ce qui me tourmentait, ce qui me grugeait à petits feux. Toi que les autres n’ont pas écouté. Ils auraient dû te prendre plus au sérieux. Tu m’as vu tomber sans pouvoir rester, sans pouvoir crier.
Nous nous reverrons petit soleil. Nous nous retrouverons dans notre forêt à nous. Même si nous devons nous endormir avant de vivre ce rêve.
Enfin le jour est venu. Au lieu de me réveiller en plein songe, j’avançais en plein cauchemar. Personne n’est accouru à mon chevet. Tout le monde le savait dans les faits. Il n’y avait donc rien d’étonnant. Personne n’a téléphoné. J’ai donc compris. J’étais seule. Même ma mère est partie. La vie m’offrait un signe de plus. À moi de faire les choix. À moi de prendre pleinement le contrôle, d’avancer, de devenir quelqu’un.
Colibri.
Et comme de fait, même dans ce monde de béton où les arbres sont contraints à des espaces réduits et délimités, un colibri flotta à ma fenêtre. Porteur d’espoir et de joie, il me rappelait que la forêt ne m’avait jamais quitté même si je lui avais dérobé une fée. Avec ses pirouettes gracieuses et ses couleurs contrastantes sur le décor gris, il arrive encore à faire sourire mes lèvres. Il signifie simplement que la vie peut être riche lorsqu’on se donne la peine de vivre.