Providence

Toute histoire commence un jour, quelque part, je ne sais pas, je ne sais plus. Ce don je me rappelle c’est de m’être réveillé complétement abasourdi par les lueurs qui pénétrèrent ma vue intensément. Instinctivement, je m’étais levé pour me voir retomber aussitôt ; j’avais les pieds enchainés. Le sol craquelé brulait la peau de mes talons. Je tournoyais en rond, pourchassant vainement mon ombre pour me couvrir ; mon crane cramait sous l’ardeur des rayons. Mes lèvres fendues rêvaient d’eau, un tout petit peu d’eau pendant que mes narines souffraient de la lourdeur de l’air ; cet endroit était poussiéreux. Tout autour de moi, je ne vis rien de rassurant sinon un paysage désolé. Là bas sur une colline, il y’avait les restes d’une dépouille que finissaient les charognards ; ah ces vautours qui rodaient autour de moi certains de mon trépas futur m’offusquaient sans le savoir.
Où étais-je ? Ne sais-je ? ; Pas encore du moins. Je vis à l’horizon une marée humaine approcher, la mine sérieuse...allaient-ils éclairer ma lanterne ? Un vieux bonhomme haut comme trois pommes, vêtu d’une tenue à faire mourir de peur les plus braves vint à moi. Il était horrible ; rien d’humain ne se dégageait de lui, mis à part son physique. Des cornes, des amulettes, des bouts de miroir décoraient son habit. Sa main droite tenait un gros couteau, plutôt une machette, je ne sais plus disons un objet tranchant qui brillait sous l’effet des reflets du soleil : « Mbissane c’est ton nom » ? Ces mots résonnèrent dans mon cerveau.
- Je ne sais pas. Répondis-je
Je sentis alors une grosse douleur à la joue. Sa main trapue venait de s’écraser sur ma gueule. On aurait dit à l’instant qu’une colonie de Fourmies dévorait cette partie de mon visage, non, pire encore, on me scarifiait brutalement. J’ouvris grand les yeux, choqué par la douleur atroce, je m’efforçais de rester serein face à mon bourreau. Il enchaina alors :
- « Tu seras sacrifié demain matin aux aurores quand tonnera le tambour. Tout est prêt. Les génies demandent ton sang pour que la pluie revienne sur cette vallée. Voici vingt-cinq, vingt-cinq ans... qu’on attend depuis ta naissance, ce jour. Jour de vérité, jour de providence pour nous tous. Ta mort libérera les cieux ».
Comme un bourdonnement, j’entendais les autres approuver sciemment les dires de ce vieux sénile qui venait d’annoncer mon exécution. Je lisais de la joie et de l’envie devant ces traits qui m’étaient si familier ; il y’avait dans cette foule folle mes amis d’enfance, mes proches voisins et, le plus triste, Soraya ma bien-aimée. Celle à qui j’avais offert mon cœur. Combien de fois je m’étais laissé bercer par sa voix doucereuse ? Combien de fois je lui avais fait d’intimes confessions ? Le regard plein de désinvolture qu’elle m’infligea traduisait son manque de compassion. Il y’a de ces peurs qui vous privent de toute réaction, et je crois l’avoir vécu.
Sans remord, ils firent un rang, et chacun venait souffler à mon oreille « merci pour ton sacrifice ». Est-ce que j’avais le choix ? Pourquoi ils me remercient comme si j’avais levé la main pour demander à ce qu’on vienne me tuer ?
Le tam-tam retentit au loin et ils s’en allèrent me laissant avec ma peur les pieds toujours attachés au piquet comme un mouton qu’on s’apprête à immoler.
Leur départ avait laissé place à beaucoup de questions, des questions sans réponses. Naissaient aussi des réponses sans questions. Tout devenait clair peu à peu. Je commençais à comprendre que le passé définit en vérité notre présent, j’y voyais plus clair. Tout n’était que farce alors. Ces sourires gentils qu’on m’offrait volontiers, cette amabilité des gens de ma communauté. Tout s’explique maintenant. Et ce surnom qu’on m’avait donné depuis mon tendre enfance : providence ! Oui, ils m’ont toujours appelé providence dans ce bled. J’étais le seul à ne pas savoir que j’étais l’agneau du sacrifice.
L’anse des lourdes chaines qui liaient mes pieds creusaient mes chevilles ; une plaie rougeâtre s’était créée tout autour. Autour de ma solitude pleine d’amertume rodait le spectre de la mort.
Le soleil se déclinait peu à peu quittant l’Est, je l’ai vu descendre lentement vers l’Ouest. C’est à croire qu’il ne supportait plus ce spectacle horrible qui se tenait sous son œil ardent. Oh qu’il est lâche ce témoin incapable d’assister à ma mise à mort ; il préfère s’en aller derrière les vagues, loin de cette vallée aride. Ardemment, il se tirait et le temps s’étirait vers ma mort prochaine. L’ombre s’installait, imposant le silence de toutes les créatures et petites bêtes. Au loin, j’entendais la voix des djinns déchirant le noir et le rythme effréné de leurs tambours tendus. D’une touffe d’herbes sauvages ils sortirent ; dansant en rond. Je ne vis rien, rien sinon une nuée poussiéreuse qui s’élevait à la cadence des tam-tams et des éclats de rire stridents qui rebondissaient sur mes tympans.
Je fermais mes yeux implorant tous les dieux de l’univers qu’ils m’accordent protection contre ces choses. Rien n’y fit. Ils étaient à présent dans ma tête ; tête que je cognais nerveusement sur le bout du piquet sur lequel on m’avait vulgairement attaché. Du sang coulait, le rythme des tambours s’élevaient et de plus belle je me cognais. A chaque coup sur ce point saillant, je ressentais les délices d’une délivrance toute proche hélas qui tardait à venir.
L’aube était là ; las j’étais. De mes yeux fatigués je scrutais l’arrivée de cette meute d’hyènes assoiffées de mon sang providentiel dont j’avais déjà versé des litres sur ce sol qui avait terriblement soif. Le coq choriste effronté annonça l’instant fatidique. Le tambour retentit ; ils sortirent de tous les côtés de la vallée. En rangs de treize, ils déclamaient des mélopées dont je ne parvenais pas à saisir le sens, tout ce que sais c’est que j’avais profondément peur. Corps orienté vers l’Ouest, pieds nerveusement tenus par mes bourreaux, le vieux monstre avait sorti de son fourreau sa grosse dague ; dague des grands jours de réjouissance. Je sentais alors l’odeur de la lame violer mes narines. Il débita ces mots : « par la lame des valeureux ancêtres de cette cité jadis florissante, je vais ravir cette vie pour que la providence revienne sur nos terres. Que son sang inonde ce terreau et que son corps nourrisse nos espoirs. Qu’il en soit ainsi ! » terminant sa phrase je vis son bras gauche sur ma gorge. Je fermais les yeux ; cet instant sembla durer une décennie. Ma vie défilait à toute allure, un seul regret me tenaillait : j’allais mourir si jeune des rêves pleins la tête. Une larme ultime ruissela sur ma joue. Le cœur lourd j’eu le temps de me remémorer les mots de mon père : « Mbissane ! Un homme ne pleure pas. A défaut il doit le faire en cachette et dignement ». Faire face, toute mon existence se résumait en vérité à ce concept. Ma mort était chose certaine jusqu’au moment où je senti une claque et des mots providentiels : «  Mbissane réveille-toi il est presque l’heure d’aller à l’école". Mon sursaut fut brutal ; tout ceci n’était qu’un cauchemar fruit de mon imagination.