Par-dessus tout !

Toute histoire commence un jour, quelque part. Celle de Sortima 20 ans et Nèkima 18 ans commence dans un tout petit village nommé Nabaga. Ce samedi soir, alors que tous les paysans rentrèrent de leurs champs en ces périodes de récoltes, on entendit une voix s'écrier au loin « Au feu, au feu ! ». Les villageois se précipitèrent avec des seaux d'eau et des bassines remplies de sable afin d'éteindre le feu qui avait hélas consumé plusieurs hectares de champs et d'espaces vides y compris. Le vieux Nawan était allongé sur son lit picot, sa radio à l'oreille lorsque sa fille Nèkima vint l'informer.- Père, père, répéta-t-elle toute essoufflée.- Que se passe-t-il ma fille ? Ne laisse pas ton vieux père mourir d'angoisse.- Il faut que vous veniez voir ça ! Il y a un immense feu qui brûle en direction de nos champs de soja !- Quoi ? Fais sortir la bicyclette et conduis-moi là-bas.Nèkima sortit la bicyclette, prit son père et se mit à pédaler de toutes ses forces.

Pendant ce temps certains jeunes avaient déjà creusé une fouille au loin afin d'empêcher le feu de se propager davantage tandis que d'autres l'avaient quasiment maîtrisé. Tout le champ de Nawan avait complètement disparu, il n'y restait que des tas de cendre.- Qui est le responsable de ce drame ? S'enquit Tchoropa son fils aîné. Je veux voir l'auteur de cet acte dans l'heure qui suit, sinon vous assisterez à un autre drame dans ce village, s'écria-t-il.- Voici père et Nèkima, déclara Sotiraté.- Père, que faites-vous ici ? Nèkima ramène père à la maison toute suite, il ne doit pas voir ça.- Mon champ... ! Oh non, mon champ...! Répéta le vieux Nawan en mettant ses deux mains sur la tête. Qui me veut autant de mal ? Que vous ai-je fait dans ce village pour mériter une telle punition ?Pendant que ses fils tentèrent de le raisonner, ils entendirent une autre voix s'écrier à quelques dizaines de mètres « A l'aide ! Au secours ! Aidez-moi ! »- Quelqu'un a besoin d'aide, c'est par là je crois ! Nèkima ramène père à la maison, ordonna Tchoropa.Ils se précipitèrent en direction de la voix qui continua désespérément d'appeler à l'aide.

Dès leur arrivée, ils découvrirent une jeune femme en état de grossesse couchée à même le sol. Tout son corps était couvert de brûlures de second et de premier degré.- Oh mon Dieu, quelle horreur ! s'exclama Sotiraté. Que s'est-il passé ?- Je revenais de mon champ, commença l'époux, lorsque j'ai aperçu le feu. Je me suis hâté vers nos vaches afin de les détacher et c'est à cet instant que je l'ai aperçue. Ces maudites vaches ne sont même plus là !- Calmez-vous, nous allons vous aider.- Je vous en remercie.- Sotiraté vas chercher le vélo de papa et reviens le plus tôt possible s'il te plaît. Sotiraté parti telle une flèche pendant que son frère porta la jeune femme. Dès son retour Tchoropa attacha la jeune femme contre son frère et se mit ensuite à courir derrière eux.

Ils arrivèrent à la maison de leur père et expliquèrent ce qu'il s'était passé. - Nèkima, regarde dans le poulailler et apporte tous les œufs que tu y trouveras, dépêche-toi, ordonna leur père. Nous allons les casser sur elle pour ainsi atténuer ses souffrances, ajouta-t-il.- Tous les œufs sont couvés père !- Apporte-moi du miel alors !Après une résistance désespérée, la femme succomba avec son bébé. L'époux se mit à hurler. « Que celui ou celle qui a apporté la tristesse dans ma maison se manifeste dans le cas contraire je lui donne trois nuits avant que la foudre ne s'abatte sur sa maison ! ». Pour éviter qu'une autre tragédie ne vienne une fois encore frapper le village autrefois paisible, le chef village convoqua une réunion. Il décida avec les sages qu'après avoir consolé et aidé l'époux éploré avec les obsèques, tous les paysans devraient apporter chacun, une partie de leurs récoltes à Nawan afin que lui et sa famille aient de quoi survivre jusqu'aux prochaines moissons. Il déclara aussi, que le responsable de l'incendie devrait se présenter avant la prochaine pleine lune pour répondre de ses actes. Après la cérémonie funèbre prévue pour ce genre de décès, le compte à rebours fut lancé mais personne n'osa se présenter comme étant l'auteur.

Comme tous les dimanches, Nèkima se rendait au marigot pour laver le linge de son père. Lorsqu'elle savonnait les vêtements tout en chantant une pierre fit plusieurs ricochets en face d'elle.

« Tu peux te montrer, je sais que c'est toi, dit-elle confiante ». Sortima passa derrière elle puis l'enlaça tendrement.- Chérie, comment vas-tu ?- Si mon père te voit, il te tue tu le sais très bien.- J'imagine ! Je suis désolé pour ce qui est arrivé.- Je suis triste pour le décès de cette femme et j'ai peur de ce qu'il va se passer si personne ne se dénonce.- Je n'arrive pas à croire que certaines personnes puissent être aussi malhonnêtes et lâches !-Vraiment !- Nèkima, je veux demander ta main mais il faudrait que j'en parle à mon père avant.- D'accord, sinon je vais me trouver un autre fiancé qui apportera une dot majestueuse à mon père !- Tu sais bien que je déteste quand tu dis ça.- Aya ! Je plaisante !- Promets-moi que rien ne pourra jamais nous séparer.- Je te le promets, ça n'arrivera pas.- Alors donne-moi un baiser.- Quelqu'un pourrait nous voir et ça va chauffer pour nous !Sortima se pencha, rapprocha ses lèvres des siennes, ferma les yeux puis l'embrassa tendrement et passionnément. Ils commencèrent à trembler tous les deux comme des feuilles tellement ils étaient nerveux. Il l'embrassa sur la joue, dans le cou puis l'allongea doucement dans l'herbe fraîche. Le cœur de Nèkima battait à tout rompre mais elle reprit très vite ses esprits.- Sortima s'il te plaît ! Si tu veux que je sois tienne, il faut tu ailles voir mon père pour qu'il t'accorde ma main. Au soir de la dot je te promets de ne plus attendre le mariage, je vais me donner entièrement à toi car je ne doute en aucun cas de ton amour, de ta sincérité et de ta loyauté.- Je te demande pardon, je ne sais pas ce qui m'arrive. Approche, lui dit-il. Il lui baisa le front puis la serra contre son corps fort musclé.- Parle de nous à ton père dès ce soir Sortima.- Bien ! Maintenant chante pour moi, je veux t'écouter.- Ah non monsieur ! Tu m'as suffisamment fait perdre du temps. Si tu désires que je chante pour toi, il faudrait me donner un coup de main pour finir la lessive de mon père. Marché conclu ?- Marché conclu !

Le soleil se couchait peu à peu, Sortima cherchait le moyen de parler à son père. Il devenait de plus en plus nerveux à l'idée d'aborder le sujet avec lui. Il décida d'en parler en premier à Tchoroué son frère aîné.- Je trouve papa très nerveux dernièrement, je doute fort que ça soit le moment idéal pour lui parler de ta relation avec la fille du vieux Nawan, lui dit Tchoroué.- Je ne saurais attendre plus longtemps. Je veux demander la main de Nèkima car je l'aime énormément et papa doit le savoir afin de m'aider avec la dot.- Bien, laissons-le dîner tranquillement et nous irons ensuite lui parler. Cela te convient-il ?- Oui, merci grand frère.Après le dîner, les deux frères se rapprochèrent de leur père.- Père, commença Tchoroué, nous aimerions te parler.- De quoi s'agit-il encore ? demanda leur père.- Il s'agit des fiançailles de ton fils adoré, Sortima !- D'accord, répondit-il dans une totale indifférence.- Papa, est-ce que tu nous écoutes au moins ?- Oui, je vous écoute. Qui est donc l'heureuse élue de ton cœur fiston ?- Il s'agit de Nèkima, répondit Sortima, la fille du vieux Na...- Comment ? interrompit leur père en se redressant sur son fauteuil.- Papa, que t'arrive-t-il ?- Il n'est pas question que tu épouses cette petite ! Pas temps que je serai en vie car je ne le supporterai pas.- Pourquoi papa ? Je l'aime cette fille et je veux l'épouser.- C'est moi...!- C'est toi quoi papa ? reprirent ses fils en chœur.- Je suis le responsable de l'incendie, confia-t-il en fondant en larme. Je ne supporte plus le poids de cette culpabilité. Epouser sa fille sans qu'il ne m'ait pardonné entraînera le malheur dans votre foyer. Je n'aimerais pas vous voir souffrir pour mes péchés. Pardonnez-moi les garçons.- Oh papa...!- Explique-nous calmement ce qu'il s'est passé papa.- Ce jour là vous étiez tous rentrés tôt pour accueillir votre petit frère. J'avais apporté quelques petites ignames que j'ai grillées.

En quittant le champ, j'ai crû avoir éteint totalement le feu mais non ! J'étais déjà à dix minutes de marche lorsque j'ai aperçu de la fumée. Je suis retourné, le vent soufflait tellement fort et les flammes se propageaient rapidement. C'est en ce moment que j'ai crié à l'aide. Lorsque j'ai voulu déclaré que c'était moi le responsable, nous avons découvert cette femme, j'étais pétrifié. Cela m'a totalement anéanti et c'est ainsi que j'ai gardé davantage le silence.- Non papa ! N'importe qui aurait pu allumer ce feu, comment peux-tu être certain que c'est de ta faute ? Même si c'était le cas c'est un accident, tu ne l'as pas provoqué volontairement.- Mais j'en suis à l'origine Tchoroué !- Pourquoi tu ne nous a rien dit depuis tout ce temps papa ? demanda Sortima.- J'avais peur que vous voyez un monstre en moi et que vous en ayez honte.- C'est un accident papa ! Tout ce qu'il reste à faire serait d'aller en parler au chef village le plus tôt possible. Ce n'est pas en donnant toutes nos récoltes que tous te pardonneront mais en disant la vérité et en affrontant tout le monde. Nous serons à tes côtés papa.- Papa, même si cela me fond le cœur je soutiens que c'est l'unique solution, renchérit Sortima.- Non mes enfants ! Je préfèrerais mourir plutôt que de supporter les reproches et les malédictions de tout le village.- Ne dis pas de bêtises papa, tout va finir par s'arranger.- Je suis le seul responsable, vous n'avez pas à porter le poids de mes erreurs...Le lendemain à l'aube pendant que tous se réveillèrent, Sortima découvra le corps sans vie de leur père.

Le poids de la culpabilité avait eut raison de lui.

« Oh non ! Papa... ! Pourquoi ? Pourquoi ? »

Telle une trainée de poudre la nouvelle se répandit très vite dans tout le village.

La colère d'aucuns se transformait en une suite d'interrogations, en regrets et en compassion pour ses enfants.

Au fil des semaines Sortima et Nèkima devinrent de parfaits étrangers l'un pour l'autre. Aucun d'eux n'osa adresser la parole à l'autre en premier.

Le temps passait, mais l'amour qu'ils ressentaient l'un pour l'autre demeurait intact malgré tout.

Aujourd'hui c'est samedi ! Pendant que certains discutaient sous les grands feuillages de manguiers, d'autres se promenaient de cabarets en cabarets mais Sortima lui, cherchait désespérément le moyen d'approcher sa bien-aimée mais en vain. Tôt le matin, il quittait le village pour la capitale le cœur meurtrit. Nèkima était convaincue qu'elle avait perdu à jamais l'homme de sa vie.

Dans l'après-midi, elle apprit par son père qu'un prétendant pour ses fiançailles était en chemin. Nèkima s'enfuit de la maison après lui avoir avoué sa relation avec Sortima. S'apercevant des heures après que sa fille n'était pas à la maison et craignant le pire, lui et ses fils se mettaient aussitôt à sa recherche. Il sonnait sept heures du soir. Pendant que le soleil jetait ses dernières lueurs, dans ce crépuscule mélancolique Nèkima franchit le seuil de la porte accompagnée du chef village et de deux sages. Son père furieux ne put s'empêcher de lui donner des rafales de gifles.- Arrête Nawan ! Si tu veux blâmer quelqu'un que ce soit moi, dit le chef village.- Excusez-moi. Faites comme chez vous en attendant qu'on vous apporte quelque chose à boire.- J'ai rencontré Nèkima il y a quelques heures, elle semblait désemparée. Je me suis rapproché d'elle et elle m'a tout expliqué mais je veux bien entendre ta version de l'histoire.Lorsque le père de Nèkima finit son récit, les trois vieillards lui recommandèrent de faire preuve de patience.- Nawan, le fils de Yokossi n'a rien fait de mal dans cette histoire. Nous ne pouvons pas continuer à juger les enfants par rapport aux fautes que commettent leurs parents. Tu peux refuser leur union tu en as le droit car tu sais mieux que quiconque ce qu'il y a de mieux pour elle. Mais tu dois renoncer à considérer ce pauvre garçon comme étant à l'origine de tous les maux de ce village. Ces enfants ont perdu leur père alors nous te prions de ne pas en rajouter.- Je ne veux pas voir ma fille avec ce garçon !- Tu devrais essayer de sortir cette rancœur car ces pauvres jeunes gens n'ont rien fait de mal. C'est à toi que revient le devoir de faire triompher leur amour en choisissant soit de faire table rase du passé en se penchant vers l'avenir soit en rabâchant les mêmes histoires qui laisseront ta fille dans la solitude.- Ma fille n'épousera pas ce garçon !- C'est un garçon poli et très brillant avec un avenir prometteur ! N'est-ce pas ce que tu aimerais pour ta fille ? Voyez la signification de leurs prénoms, Nèkima qui veut dire Amour et Sortima qui signifie Le bon ! Laisse ces enfants être heureux !

Je ne comprends pas ce que tu lui reproches exactement. La décision t'appartient certes mais réfléchis bien et penses aux intérêts du village.

Durant plusieurs mois, le vieux Nawan prenait en pitié sa fille car il songeait à tout ce qu'elle traversait tellement elle avait maigri. Il ne supportait plus de voir son rayon de soleil s'éteindre à petit feu. Il ne pouvait plus attendre une seconde de plus en la voyant si malheureuse ! Un matin, il se leva de bonne heure et parti avec Sotiraté pour la capitale sans informer le reste de la famille de ses réelles intentions. Après quatre jours d'absence, il revint enfin, pas seulement avec son fils mais avec Sortima également.- Papa, s'exclama Nèkima en se jetant à son cou. Vous avez fait toute cette longue route pour moi ?- Ma fille, je ne supporte plus te voir ainsi. Toi et Sortima êtes faits l'un pour l'autre. Longtemps je n'ai voulu l'admettre mais aujourd'hui je veux faire ce qui me semble juste et rendre ma benjamine heureuse par la même occasion.- Oh ! Merci beaucoup papa, merci, merci...- Sortima et toi, vous vous aimez par-dessus tout et c'est mon devoir en tant que père de faire ce qui est bien. Sortez tous ! Ma fille va se marier, s'exclama-t-il.- Oui mais pas toute suite papa, je dois terminer mes études avant !

Assis sous les arbres de karité, loin du village, Yatopa, vieil ami de Nawan, pensa tout bas « Non ! Je ne pouvais pas laisser ce vieux prétentieux amasser une moisson si abondante cette année pendant que les miennes ne valent rien ! Mais comment aurais-je pu imaginer que ces personnes y perdront la vie »

La jalousie de l'homme noir est pire qu'un feu de brousse !

Un secret à jamais ensevelit dans son cœur de pierre dont personne n'entendra jamais les regrets. En attendant le jugement dernier, le fardeau de ses remords demeure son pire châtiment.

Les cris de ces trois âmes innocentes le hanteront pour le restant de ses jours.