L'héroïne

Toute histoire commence un jour, quelque part. La mienne, elle, fut commencée un trente octobre. Il était aux environs de six heures du matin quand ma mère s’est rendue à nouveau chez le médecin. Mais, c’était malheureusement sans être accompagnée de mon prétendu père. En fait, Dieu merci, elle avait sa grande sœur dont le cœur dépasse la dimension de celui d’un vrai Humain qui l’a tenue compagnie en ce jour-là...ou plutôt en ce grand jour si spécial qui allait tout chambouler dans sa vie. Car, elle allait enfanter pour la première (et l’unique!) fois dans sa vie bien qu’elle n’y consentait pas au début. Comme elle était réputée pour anticiper, elle avait déjà planifié d’avoir son premier enfant vers l’âge de 25 ans. Malheureusement, le destin a fait autrement. Ce qui dit alors, je n’ai jamais été un rêve qu’elle a rêvé réaliser à l’âge de 20 ans.
Elle était si jeune, si immature. Tellement naïve qu’elle s’est aveuglement laissée bercer par les bras de ses copains. Elle se disait qu’elle n’était pas chanceuse en amour jusqu’à changer d’avis avec Anerson. Disons qu’avec ce dernier, mon père biologique, ça a été plutôt différent, extrêmement intense. C’était une histoire qui, dès le début, s’enflammait tellement qu’elle laissait croire à plus d’un qu’elle donnerait de beaux et de bons fruits, qu’elle aurait un futur tendre, heureux. Ce beau jeune homme était le voisin de cette charmante dame enviée par les jeunes filles du quartier. Ils s’aimaient tellement! Ils s’étaient même promis de ne jamais se lasser l’un de l’autre pour le meilleur et pour le pire...même quand la mort les sépare. Mais, tout ça, ce n’était juste qu’au début de leur relation, vu que mon père bio ne voulait plus d’elle quand elle a appris qu’elle attendait un enfant de lui (moi alors!) suite à leur nuit trop embrasée qui leur a fait oublier le monde entier, leur rêve, leur avenir. Ce soir-là, ils n’ont pensé qu’à ce courant qui se passait dans leur cœur et leur corps et qu’ils n’ont pas vu venir mais qu’ils ont retenu autant qu’ils pouvaient avant de le laisser poursuivre sa trajectoire. C’était plus fort qu’eux. Alors, ils ont beau profiter de cette nuit-là, peut-être au nom de toutes celles qu’ils se sont efforcés de fuir. Mais, peut-être qu’ils auraient pu toujours vivre un avenir côte à côte, « avec moi ». Dommage que mon père n’était plus le même, le fol amoureux qu’elle a connu pendant les deux années de leur relation « en pleine forme ». Il s’est dit que ce n’était pas lui la porteuse, qu’il n’avait plus rien à foutre si ma mère avait accepté cette aventure d’environ neuf mois avec moi et qu’il pouvait alors rattraper le train de son avenir, sans sa Roseline puisque monsieur voulait d’abord terminer ses études. Sa famille et lui se fichaient complètement de celle qui a dû le tenir compagnie durant ces années et qui avait aussi pensé à faire de meilleures provisions pour son avenir. C’est alors ainsi que ça a fini. Cette histoire lui trottait par la tête à l’hôpital et la rendait mi-triste mi-joyeuse. Ce jour-là, elle a été hospitalisée dès son arrivée à l’hôpital. Elle était vraiment en gésine. Elle a hurlé comme un enfant, a transpiré. Elle a assisté au défilé de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Ce n’est que vers les neuf heures du matin qu’elle a été libérée de cette pénitence. Elle me tenait dans les bras, me cajolait et ne pouvait pas cacher sa joie qui bavardait.
-Si seulement ton père avait l’inestimable chance de te voir, ma p’tite illustre créature! Peut-être qu’il aurait changé d’avis. Peut-être! En tout cas, pas la peine de continuer à battre l’eau avec un bâton. J’ai fait acte de clémence et j’ai l’impression qu’un nouveau chapitre de mon histoire commence avec la tienne. Déjà, je sens que tu remplis jusqu’au bord mon horizon. Prunelle de mes yeux, je t’en prie, sois notre héroïne, sauve notre histoire.
Un mois. Un an. Dix-huit années. Et voilà! J’ai bouclé mes études secondaires. Un nouveau pas vers l’accomplissement du rêve de maman qui me donnait le monde entier avec le peu qu’elle gagnait à sa boutique d’aménagement paysager qui met en exergue son talent, tout son amour pour la nature. Elle m’a fait une belle fête pour me féliciter d’avoir fait son honneur, jusque-là et surtout j’ai toujours été disciplinée et excellente. Elle ne pouvait qu’être fière de voir que sa fille a encore hérité un peu d’elle outre sa générosité. Je savais aussi anticiper comme elle. Je rêvais d’avoir mon premier copain à l’âge de dix-sept ans. Et, c’était fait un six novembre alors qu’on commençait à peine la nouvelle année académique. On était dans le même collège. Le matin, on se rendait à l’école ensemble. On empruntait la même voie mais moi je n’habitais pas trop loin du collège. L’un ne pouvait laisser la cour de l’école sans trainer l’autre après lui. Sms ou Textos WhatsApp. Appels vidéos. Révision de cours à deux. Bref, c’était fait comme si la nature voulait à chaque fois satisfaire mes désirs fidèlement. J’avais tout de même du mal à m’habituer à cette vie ou l’on ne vivait pas seulement pour soi, surtout à chaque fois que je pensais à l’histoire de mes parents qui aurait dû terminer autrement. Vraiment, j’aurais préféré avoir écouté à une autre version. Ce n’était pas non plus facile pour ma mère de l’accepter à cause des stigmates qui lui rappellent son histoire avec mon père. Elle ne voulait pas être trop protectrice et mettre des barrières sur mon passage. Maman a alors accepté délibérément de me soutenir, de me conseiller à chaque fois. Mais, j’étais convaincue que j’étais tombée sur le bon. Malgré tout, il fallait faire gaffe avec monsieur surtout, à croire maman, le début de notre histoire n’est pas si différent que celui de l'histoire à laquelle j’ai mis un point.
Je suis allée à une université de la capitale pour étudier les sciences humaines, précisément la psychologie alors que mon copain Dario, déjà âgé de 20 ans, a préféré les sciences juridiques. On était dans le même campus et pouvait davantage espérer de nous rapprocher encore plus l’un de l’autre et renforcer au quotidien notre amour. Quelques années d’études après, on a eu notre licence puis on a fait des études plus avancées dans la Ville Lumière.
On a dû attendre encore deux années pour enfin mener une vie commune comme la loi le veut. Ce jour-là, mon époux ne pouvait pas cacher sa joie indescriptible et indélébile.
-Vous savez, à part nos deux enfants qui ne vont pas tarder à venir, je crois que...jusqu’à présent, je suis l’homme le plus heureux du monde. C’est cette perle rare qu’il me fallait. C’est elle qu’il me faut encore, a confié mon mari tout neuf à ses vieux potes, avec un sourire jaune, quelques heures après la célébration de notre mariage dans notre ville natale.
Pourtant, moi, en cet instant, je n’ai pensé qu’à laisser noyer mon regard sur lui et ne pouvais m'arrêter de sourire à chaque fois que l’idée de posséder le meilleur me trottait par la tête. Je crois que maman me l’a répété des milliers de fois, en plus de me susurrer au creux de l’oreille que j’ai sauvé son histoire avec mon père, c’est-à-dire, j’ai substitué un beau « point d’admiration » (exprimant son cri de bonheur de m’avoir et qui fait écho) au vilain « point final » (c’est ce que j’étais aux yeux de mon père) à leur histoire. Elle a ajouté qu’il fallait à présent protéger la mienne. Ma meilleure amie, des vieilles amies, des connaissances et des gens dont j’ignore la provenance me l’ont aussi dit. Comme si c’était une chance magique et qu’il n’était pas donné à toutes les femmes d’en jouir. Apparemment, la nature fait encore bien les choses. Dans mon histoire, c’était le plus beau jour de ma vie. Le plus radieux!
Les premières années qu’on a passées ensemble en tant qu’époux et épouse étaient fabuleuses. De voyage en voyage, on a rassemblé et réuni de nombreuses pièces du puzzle de notre amour. On s’aimait de plus en plus fort. Ce n’est qu’en début de nos dix années de vie commune que ça a commencé à mal tourner entre nous. J’ai perdu mon travail et mon mari travaillait durement pour la convenance de nos enfants, de notre famille. J’étais alors obligée de rester à la maison. Dans les premiers mois, c’était pour lui une façon de ressusciter le serment prêté à l’église. Pour le meilleur et pour le pire! Par la suite, j’étais plutôt comme un poids lourd. Surtout qu’il devait aussi subvenir aux besoins de maman qui pouvait à peine se tenir debout. Et, puisqu’il était le premier et l’unique garçon d’une fratrie de six enfants, il avait des dettes envers sa famille d’origine. Au quotidien, sous notre toit, il a laissé emporter avec lui toute la colère du monde. Il buvait et s’enivrait d’orgueil. Ses gestes, ses paroles étaient devenus arrogants. Il n’arrivait plus à se maitriser. Nos jours étaient en noir et blanc. Lui et moi n’étions plus de connivence. On ne pouvait pas ainsi surfer ensemble contre cette vague. Mon sourire se fanait et des rides trouvaient refuge à la surface de mon front. Un jour, pour la première fois, il a posé la main sur ma peau et l’a stigmatisée. Je ne m’y attendais pas. Lui, non plus. Apparemment, c’est ce que m’a dicté son mécanisme de recul. Pourtant, un soir, rentré du travail, il l’a fait une seconde fois. Et, c’était pire.
-Mais, qu’ai-je fait pour mériter un sanglant affront? ne m’arrêtai-je pas de lui demander jusqu’à décider de me réfugier chez maman avec mes enfants à son insu.
Je m’étais enfin résolue de me confier à maman et ma meilleure amie qui croyaient qu’il ne fallait plus côtoyer ce fallacieux pour qui je devais porter plainte à la police. Mais, j’ai pensé et agi autrement, au nom de notre amour. Je croyais fermement qu’il était encore mon époux, qu’il était tout simplement au fond d’une impasse et que je n’ai pas pu malheureusement lui venir en aide. Voilà, j’étais i-nu-ti-le! Alors, il avait raison! Je n’avais tout de même pas tort. À moins que j’aie eu tort de lui donner raison sans aucune raison valable ou de le laisser croire qu’il était tout simplement contraint de me « frapper ». Trois jours après le désagrément, il m’a téléphonée. Mais, je n’ai osé décrocher à chaque fois. Une semaine après, mon silence l’a poussé à m’envoyer un mail. C’était une lettre accompagnée de sa version audio :
« Ma chérie,
J’ai déçu notre amour. J’avais vraiment tort et je le sais. J’avais tort de me laisser aveugler par mon égoïsme et passer notre amour aux oubliettes. Je n’avais plus confiance en la maîtrise de ma vie, de notre vie. Je voyais noir. Tu n’étais pas un fardeau pour moi. Les enfants, ta maman non plus. Mais, comprends-moi, j’avais l’esprit fatigué. Le corps aussi. Ne m’appelle pas ton bourreau. Peut-être je m’étais un peu comporté ainsi mais je ne le suis pas et ne le serai jamais. Durant ton absence, j’ai beau penser à cette peine que je t’ai infligée et qui était encore plus turgescente que celle que je ressentais à ce moment-là. Je te présente mes sincères excuses à toi et aussi nos enfants et mon adorable belle-mère et j’implore ton pardon. Ta vie manque trop à la mienne. Je t’en prie, reviens. Je te promets de ne plus recommencer. On doit continuer à construire ensemble notre édifice. Aide-moi, je t’en supplie, à sauver notre histoire. Rappelle-toi qu’il faut un mélange d’une quantité immensurable de litres de sang de ton cœur et du mien pour la ranimer et la tenir en vie. Reviens-moi, je t’en prie, ma pluie d’étoiles.
Je t’attends, mon amour. Je t’aime.
Sincèrement,
Ton Dao, celui qui te respire. »
Je ne savais plus à quoi penser et comment lui répondre. Je ne savais pas si je devais faire comme d’autres femmes battues qui croient accorder une chance à leur mari pour que leur histoire ne soit pas du vent alors qu’elles leur accordent plutôt une chance de continuer à déshabiller leur humanité, à nécroser leur vie juste « par amour ». Je ne savais pas si je devais plutôt encourir le risque de me jeter à nouveau dans ses bras oxygénés qui me manquaient et m’attendaient et je ne savais pas non plus si de cette façon, j’arriverais vraiment à l’aider à sauver notre histoire. J’ai parlé à maman pour m’éclairer un peu. Elle a fait une bonne analyse de la situation. Elle m’a rappelé son histoire avec mon père, m’a dit qu’à un certain moment, c’était moi qui ai sauvé leur histoire et qu’il fallait à présent sauver la mienne. J’ai longtemps hésité. Un mois après, j’ai décidé de lui apporter moi-même la réponse à son mail. J’ai retrouvé mon mari. Il était resté encore le même, celui grâce à qui j’ai tant appris et avec qui j’ai tant partagé. On a ensemble sauvé notre histoire. Et, c’est auprès de lui que la vie a ajouté un point final à mon histoire.