La Gadamayo : étrangère dans son pays d’origine

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Toute histoire commence un jour, quelque part celle de Majolie commence en 2010 à Ngaoundéré au Grand Nord du Cameroun. Majolie est une jeune camerounaise bachelière qui devient subitement étrangère dans son pays d’origine à cause de la langue française qu’elle utilise pour communiquer dans une zone du pays où la langue la plus utilisée dans les rues n’est pas le français. Dans cette zone qui constitue le Grand Nord du Cameroun, le français est moins utilisé et moins considéré dans les rues au profit de la langue la locale qu’est le fulfulde.
Pour mieux comprendre le vécu de Majolie, déportons nous d’abord sur les situations de la diversité et de la pluralité des langues qui règnent au Cameroun. Des 300 langues recensées au Cameroun, le français et l’anglais sont les deux langues officielles du pays fruits d’un héritage du passé colonial. Dans les dix (10) régions que compte le Cameroun, les habitants de deux (02) régions à savoir : le Sud-Ouest et le Nord-Ouest sont à majorité anglophone et les habitants des huit (08) autres régions à savoir : le Centre, le Littoral, l’Ouest, le Sud, l’Est, l’Adamaoua, le Nord et l’Extrême-Nord sont à majorité francophone. De ces huit (08) régions, trois (03) régions (l’Adamaoua, le Nord et l’Extrême-Nord) constituent le Grand Nord du Cameroun où la langue la plus parlée est le fulfulde. Il est important de préciser que Majolie s’exprime très bien en français et un peu en anglais vue que se sont les deux langues officielles. Concernant sa langue maternelle qui est le « Féfé » elle se débrouille bien. S’agissant du fulfulde, qui est la langue la plus parlée dans les coins et recoins du Grand Nord, Majolie ne connait pas encore faire une simple phrase pour se présenter à une personne ou bien dire un simple bonjour à quelqu’un.
Fier de se rendre au Grand Nord du Cameroun, plus précisément dans la ville de Ngaoundéré, la toute première région du Grand Nord qu’on rencontre en quittant de la région du Centre où se trouve la Capitale du Cameroun Yaoundé. Majolie quitte la ville de Bafoussam dans la région de l’Ouest du Cameroun, où elle a menée ses études primaire et secondaire pour le Grand Nord. Arrivée à Ngaoundéré afin de continuer ses études à l’université, elle est reçu par son oncle Kabila qui vit depuis plus de cinq (05) ans dans un quartier où on trouve à majorité des « Sudistes » nom donné à tous les ressortissants du Grand Sud du Cameroun c’est-à-dire ceux qui viennent des sept (07) autres régions du pays autres que celles du Grand Nord. Les ressortissants du Grand Nord sont communément appelés les « Nordistes ». Pour se familiariser dans la ville, son oncle Kabila lui présente Stef qui est aussi une nouvelle bachelière avec qui Majolie doit faire la même filière à l’université. Stef est une sudiste qui a grandi à Ngaoundéré et connait bien la ville une chance pour Majolie de l’avoir connue. Elle oriente et conseille Majolie sur comment faire pour se rendre à l’université et sur l’emplacement des salles et bien de choses. Avec elle, Majolie peut libre communiquer en français et se sentir existante car dans les rues on écoute à majorité le fulfulde.
Le premier jour à l’université dans la salle de classe et en présence de Stef, Majolie n’a pas ressenti son inexistence dans une salle de près de 100 étudiants puisqu’elle peut librement causer en français avec Stef et les connaissances de Stef. Mais à l’absence de Stef et ses nouveaux ami(e)s de la filière qui viennent du Grand Sud aussi, elle se sent frustrée et ne comprend pas pourquoi les gens s’expriment toujours en fulfulde même dans les salles de classes à l’absence d’un enseignant. Sur tous les étudiant(e)s de la filière, 95% utilisaient le fulfulde au Campus et cela frustre de temps en temps Majolie qui ne s’attendait pas à vivre cette situation de différence de langues autres que l’anglais et le français dans son pays car les langues officielles sont bien définies et connues par tous.
Après un bon moment à l’université et du fait que la langue française est la plus utilisée pendant les cours dans les salles de classes, Majolie s’est fait des ami(e)s ce qui est une joie pour elle parce qu’elle se sentait présente et joyeuse car elle peut à présent écouter et communiquer avec ses frères et sœurs camerounais sans souci de langue.
Bien qu’étant camerounaise et vivant au Cameroun, la présence de Majolie au Grand Nord du Cameroun est marqué par une nouvelle naissance qui lui a permis d’avoir un nouveau nom par ses confrères du Grand Nord celui de « Gadamayo » qui veut dire « de l’autre coté de la rivière » où elle ignore encore le sens et la signification lorsqu’elle est nommée pour la première fois dans la rue. Cette appellation n’est pas réservée uniquement à Majolie mais à tous les Sudistes qui sont au Grand Nord.
Etre Gadamayo pour Majolie est une autre forme de vivre la discrimination et le rejet par ses confrères dans la rue et pire encore au marché. Au marché, la Gadamayo est comparée à un Homme de race blanche qui fait ses achats dans un marché africain où les prix des marchandises sont donnés en fonction de sa race et non en fonction de la valeur de l’article. Ainsi, pour identifier le Gadamayo, lorsque Majolie demande le prix d’un article en français, on ajoute le prix de l’article et quand bien même elle discute le prix au rabais, le vendeur préfère refuser de vendre l’article à ce prix proposé. Mais lorsqu’une personne qui est du Grand Nord et qui s’exprime bien en fulfulde vient acheter le même article au même vendeur, il peut l’acheter au prix rejeté par le vendeur à la Gadamayo.
Après l’obtention de sa maitrise, Majolie se rend dans la ville de Maroua dans la région de l’Extrême-Nord pour une formation de deux (02) ans. A la fin de la formation, elle est affectée à Garoua dans la région du Nord. Dans les rues de Maroua et de Garoua, elle vit encore la même histoire de langue. Et elle se sent de plus en plus rejetée par ses confrères « Nordistes » juste par la langue qu’elle utilise pour communiquer au Grand-Nord.
Majolie vit dans son pays d’origine comme une étrangère lorsqu’elle est au Grand Nord et se sent plus alaise lorsqu’elle est dans un bureau administratif ou bien dans une salle de classe parce qu’elle peut mieux s’exprimer et se faire comprendre par les autres.
Au final, elle comprend qu’il faut apprendre à parler en fulfulde au Grand-Nord pour avoir une vie épanouie. Elle se demande tous les jours pourquoi rejeter l’autre alors que tous nous sommes humain et fabriqué avec le même moule ?
Est-ce que les langues qu’on utilise tous les jours doivent être des sources de discrimination et de rejet du genre humain ?