La dette d'une femme

Elle aime les littératures.

Toute histoire commence un jour, quelque part.Celle d’Akôssiwa a commencé depuis qu’elle s’est mariée et n’a pas encore donné naissance à un enfant. Un enfant qui sera le fruit de son union avec son mari.  Six ans de mariage mais toujours rien. Le couple est sans enfants. Sa belle-famille l’aimait pourtant bien. Ils étaient nombreux à sa dot. Ils avaient fait un océan de promesses ce jour devant les parents d’Akôssiwa. Ces promesses que fait la famille du prétendant pour rassurer celle de la fille. Et, ils ont tenu leurs promesses, au moins pendant un temps.Akôssiwa fut heureuse de se savoir aimée par la famille de son mari, en plus de l’amour de celui-ci. Ce qui n’est pas toujours évident. Ses jours près d’eux furent des jours de découverte, de convivialité et de solidarité. Sa belle-mère ne fut pas son cauchemar ou son malheur comme la belle-mère de son amie Dina.

Tout comme une vague réminiscence, cette belle ambiance s’inscrit maintenant dans son passé. Pour cause, elle n’a pas égayé davantage la joie de la famille par un enfant. Akôssiwa vit maintenant un calvaire, une vie remplie d’hostilité, tel le vendredi de christ vers Golgotha. Elle fait de son mieux pour que la bonne ambiance revienne mais son effort n’aboutit à rien. Au contraire, sa relation avec sa belle-famille se détériore de jour en jour. Seul un enfant saura peut-être ramener son passé mielleux. Son mari et elle gardent toujours l’espoir. L’espoir qui conduit vers un futur meilleur. Mais, l’espoir a disparu chez ses beaux- parents, surtout chez sa belle-mère. Elle est devenue austère envers cette même belle fille qu’elle choyait entre-temps. La pauvre Akôssiwa est devenue son ennemie jurée. Elle lui en veut comme si, elle avait manqué de payer sa dette. Si son fils n’est pas Papa jusqu’à ce jour, c’est à cause de l’infertilité de cette Akôssiwa qui aurait peut-être le ventre pourri. Car, tous ses fils ont eu très tôt d’enfant avec leur épouse. Donc, ce n’est pas son benjamin, le mari d’Akôssiwa qui serait infécond. Estime-t-elle avec assurance. « Il n’y a pas de doute, c’est Akôssiwa la stérile ». Et bien que, des analyses gynécologiques aient attestées que les hormones de fertilité d’Akôssiwa n’ont aucun problème, Akôssiwa n’échappe pas à ses jugements.

-         Il n’y a jamais eu de cas de stérilité dans notre famille ! Souligne la belle-mère d’Akôssiwa et elle ne se gêne pas pour le lui rappeler  pendant leurs disputes qu’elle provoque à dessein.

-         Dans ma famille non plus. Rétorque Akôssiwa.

-         Tu es la seule responsable. Depuis six ans, bientôt sept que tu t’es mariée à mon fils, tu es incapable de lui donner un enfant. Quelle terre stérile es-tu pour ne pas faire germer les grains de vie qui sont semés en toi ?

-         Maman, se lamenta-t-elle. Elle l’appelle toujours ainsi. Vous savez très bien que, si cela ne tenait qu’à moi, j’allais déjà avoir plus d’un enfant. J’ai hâte aussi de voir mon ventre prendre de volume et qu’on m’appelle aussi maman. N’est-ce pas ce que toute mère du monde souhaiterait ? Ma plus grande fierté est de faire le bonheur de mon mari et de la famille. Les docteurs n’ont rien trouvé comme problème qui pourrait être à l’origine de cette présumée infertilité, ni chez moi, ni chez votre fils. Alors, vous…

-         Pour commencer, que ce soit  la dernière fois que tes lèvres prononcent maman pour m’appeler. Je ne peux être la mère d’une  fille stérile comme toi. Les médecins, qu’est-ce qu’ils en savent, ne sais-tu pas que la science peut, elle aussi, avoir des limites ? Je parie que cette infertilité est liée à ton passé sombre. Dieu seul sait le nombre de grossesses que tu as interrompues dans ta vie avant de venir empoisonner celle de mon fils, femme de rue. Regardez-moi ça, adjipkonon*.

-         Maman, ne m’appelez plus ainsi. Je n’ai pas un passé sombre pour me reprocher quoique ce soit.

-         Si tu ne veux pas qu’on t’appelle ainsi, alors arrange-toi pour faire entendre le cri d’un enfant sous le toit de mon pauvre fils. C’est aussi simple que ça Ma-da-me !

Le joug des jours d’Akôssiwa auprès de son mari devenait de plus en plus lourd. Elle regrette maintenant d’avoir accepté de vivre dans la maison familiale  de son mari, avec les parents de ce dernier. Elle se dit que, si elle se trouvait loin d’eux, seule avec son mari, les problèmes seraient moindres. Et même si, elle le souhaite maintenant, ce ne serait plus possible. Une autre hostilité naîtra face à une telle décision. Les insultes, les regards accusateurs, les propos apostrophés rudoient le quotidien d’Akôssiwa. Elle a l’impression d’être endettée. Elle n’avait jamais imaginé qu’un enfant pourrait-être une dette. Une dette  réclamée à toutes les femmes qui sont en état et dans les conditions de concevoir. Une dette qui n’émane pas de leur choix. Elles la doivent à la nature. La détention d’un pouvoir n’est-elle pas aussi une source de devoir ? Akôssiwa se pose la question.  Et seules les femmes détiennent le pouvoir de donner la vie. Toutes femmes qui n’arrivent pas à donner la vie sont condamnées et pointées du doigt. Akôssiwa a dû confier son sort à Mahou*, l’Etre suprême qui donne des enfants. Il y a pourtant cette peur qui la paralyse parfois, cette peur de porter le nom de femme stérile à vie. Son mari, contrairement à sa famille soutient sa femme. Grâce  à lui Akôssiwa arrive à garder le moral face aux insultes et réprobations. Koffi ne doute par de la fertilité de sa femme, ni de la sienne.

-         Je sais que nous allons finir pas avoir d’enfant. Ne te laisse pas abattre par les accusations de ma mère et de notre environnement. Je suis l’homme, ton mari et le premier concerné dans cette histoire.

-         Mais, Koffi, ce n’est pas facile de supporter tous ces regards. Toi, tu ne t’en rends vraiment pas compte parce que, effectivement, tu es l’homme. Tous pensent que c’est moi qui suis la cause. On fouille dans mon passé, cherchant des raisons non existantes qui expliqueraient cette infertilité. Chaque fois que je sors de la maison, je suis vue comme une endettée qui ne pense pas à s’acquitter de ses dettes.  Mes pas sont lourds à cause des regards goguenards des gens. Si seulement, tu sais comment je me sens. Elle se confie ainsi à son mari toute larmoyante.

-         Je le sais très bien et je te demande de ne regarder personne à part moi. Moi et moi seul. Je ne vais jamais t’abandonner pour cette raison. Dieu ne tardera pas à faire son œuvre. Nous allons être très bientôt des parents, père et mère de famille.

-         Je l’espère ! Et que Dieu t’entende !

***

Le couple résiste en se serrant les coudes. Mais, cela ne dura pas longtemps. IL n’a pas su tenir lorsqu’une flamme allumée par la mère de Koffi s’est approchée.

Akôssiwa et son mari se  séparent avec peine. La belle-mère dans l’un des mouvements tumultueux qu’elle crée, réussit son coup en accusant sa belle-fille de l’avoir frappée. Akôssiwa n’a pas su déjouer la ruse de la mère de son mari.  Koffi, toujours contraint à choisir entre sa mère et sa femme a jugé bon de mettre fin à ce dilemme. Il avait pitié de sa femme et c’est par amour pour elle, qu’il divorça d’elle. Akôssiwa  en veut à son mari. Dans son cœur, son mari a agi ainsi pour prendre parti pour sa mère. Cette frustration l’a amenée à croire que c’est à cause de sa stérilité que, son mari a fini par divorcer d’elle. Elle pense que, son mari en a eu marre de son infertilité. Cette séparation  est pareille à un échec pour elle. Ils ont fait huit ans ensemble. Huit années de jours et de nuits sans enfant. Pourtant, elle a misé sur tout pour concevoir. Elle a recouru à tous les moyens. Son mari et elle sont même partis solliciter l’aide des pasteurs et celle des médecins  traditionnels sans pour autant avoir de satisfaction. Elle a tout fait pour lever cette honte dont elle est sujette. Sait-on comment elle se sent?  Se demande-t-elle. Mais, la société la condamne sans même penser un seconde qu’elle fait de son mieux pour vivre au milieu d’eux. Akôssiwa pense à ces femmes qui se trouvent dans la même situation qu’elle. Elle pense à quel point, c’est déplorable de penser que toute infertilité dans un couple est plus liée à un problème chez la femme. Elle s’indigne contre une telle opinion. Elle aurait aimé porter haut la voix de toutes les femmes,  qui pleurent, se lamentent dans la nuit tout comme elle parce qu’elles ne peuvent concevoir.

***

Akôssiwa ne souhaite plus se remarier. Elle ne veut plus revivre le même supplice qu’elle avait vécu chez son mari Koffi. Après leur séparation, ce dernier se remarie à une autre sous la pression familiale. Cette nouvelle fait perdre le peu d’espoir qu’Akôssiwa nourrissait. Elle pensait toujours à une possibilité de réconciliation avec Koffi. Les parents d’Akôssiwa lui conseillent aussi de  refaire sa vie. Mais, elle disait,  pour leur rappeler sa stérilité qu’aucun homme ne voudra d’une femme stérile, incapable de donner la vie.

Le temps fait quand même son effet sur Akôssiwa. Un an plus tard, elle rencontre un homme qui réussît à réveiller ses instincts de femme. Ce fut l’histoire d’une nuit seulement. Akôssiwa ne souhaite pas conduire à long terme cette nouvelle relation malgré l’insistance de Yérima qui tente de la convaincre de son amour pour elle.

-         Akôssiwa, je ne veux pas que nous nous arrêtions là. Je veux fonder une famille avec toi. J’étais marié mais actuellement, je vis seul avec mes deux enfants. Ma femme m’a abandonné. Toi aussi, ton mari n’est plus avec toi, alors donnons-nous une chance, je t’en prie.

-         C’était une erreur ce qui s’était passé entre nous. Je regrette beaucoup. Et laisse-moi te dire qu’une femme qui n’a jamais donné naissance à un enfant ne peut éduquer les enfants d’une autre. Je te rappelle que je suis stérile et c’est d’ailleurs pour cette raison qu’aujourd’hui, je suis une femme sans mari.

-         Moi, je suis prêt à t’accepter ainsi. Je ne vais jamais te le réclamer.

-         Désolée Yérima, mais c’est non. J’ai assez souffert.

Elle ne veut pas d’un engagement avec Yérima. Ce dernier n’a pas d’autres choix que de se soumettre à la décision d’Akôssiwa. Les jours suivants, elle a commencé à avoir des malaises qui sont des signes de paludisme. C’est ce qu’elle croyait. Mais, Akôssiwa se retrouve enceinte. Pour cette seule fois avec Yérima, Akôssiwa est sur le point de devenir mère. Ce pourquoi elle a été maltraitée chez son premier mari. « Alors, je n’ai jamais été stérile. Ce pouvoir de donner la vie, je le détiens aussi. Est-ce à dire que c’est Koffi qui a un problème ? ».Pense-t-elle et une grande fierté s’empare de tout son être. Quand le médecin lui avait annoncé que son paludisme est la conséquence d’un embryon qui grandît dans son ventre, elle n’en revenait pas. Son cœur bondit. Elle n’y croit pas.

-         Docteur, êtes-vous sûr de ce que vous dites ? J’ai été stérile pendant huit ans. J’ai fait huit années avec mon premier mari sans jamais tomber enceinte.

-         Madame vous êtes bel et bien enceinte. Votre grossesse est d’un mois, deux semaines.

-         Que la vie est marrante, mon Dieu ! S’exclama-t-elle. Pourquoi m’as-tu fait cela. Est-ce ton plan pour moi ? Pourquoi cette grossesse n’est pas venue lorsque j’étais avec Koffi, l’homme que j’aime. Et, c’est plutôt d’un homme que j’avais rencontré, il y a à peine trois mois. Je ne suis même pas sûre de mes sentiments et je ne sais pas grand-chose sur lui.

-         Madame, à votre place, je ne tiendrais pas de tels propos. Vous avez cherché des enfants pendant huit ans, huit bonnes années. Vous devriez  être reconnaissante envers ce que vous adorez. Beaucoup de femmes qui se trouvent dans la même situation que vous, donneraient tout pour entendre une telle nouvelle.

-         Je suis heureuse docteur mais ma joie serait plus intense si, c’est mon premier mari l’auteur de cette grossesse. Ce serait comme remporter la bataille et la guerre à la fois face à ma belle-famille surtout ma belle-mère. Une guerre née de ma soi-disant infertilité. Vous ne pouvez pas comprendre ce que cela représente pour moi.

Akôssiwa informe  Yérima. Ce dernier était très heureux. Il ne manque pas l’occasion de faire comprendre à Akôssiwa à quel point leurs destins étaient faits pour s’unir et qu’elle était faite pour lui, pour être sa femme.

-         Tu vois, c’était écrit que je serai ton mari. On s’était regardé tendrement une seule fois. Tu t’imagines ? Il faut reconnaître que ma mère a bien versé de l’eau dans mon… Enfin tu vois de quoi je veux parler. Il finit cette phrase avec un sourire d’un vainqueur qui ne s’attendait pas à remporter la victoire.

-         Ne dis pas n’importe quoi. Dieu en a voulu ainsi. Si tu penses que, tu as  su mieux faire quelque chose, alors laisse-moi te dire que tu te trompes sur tous les plans.

Yérima a fait les démarches qu’il faut auprès des parents de sa nouvelle épouse. Akôssiwa découvre après sa grossesse que, Yérima est toujours marié à sa femme. Elle sera donc la deuxième épouse de cet homme. Elle lui en veut pour lui avoir menti. Mais, un enfant est déjà en jeu. Elle ne pouvait plus faire marche arrière. Elle n’aurait jamais voulu d’une famille polygamique et pire encore, que ça soit elle, la deuxième épouse. Etant issue d’une telle famille, elle a connaissance que ça ne se passe pas toujours bien dans les familles polygamiques. Mais, il est de ces vies qui s’imposent à soi. Il lui a fallu du temps pour s’habituer à cette vie, reconnaître sa place de la petite femme de son mari par rapport à la première qui est la grande femme. Elle ne voit son mari que trois fois par semaine. Car, ce dernier se doit d’assumer son rôle d’époux chez ses deux épouses. Akôssiwa ne s’indigne point, en a-t-elle-même le droit ? Se demande-t-elle. Après tout, c’est elle qui a fait de Yérima un polygame.

Elle est maintenant mère. Cette dette qu’on lui réclamait si tant, elle l’a payée. Mais, elle pense à ces femmes qui ne connaîtront jamais la joie d’être mère malgré leurs désirs, tous les efforts et sacrifices qu’elles font et feront. Ces femmes qui doivent supporter le regard de jugement de leur société. Elle pense à elles, oui à ces femmes qu’on qualifie de femmes sans utérus.

***

Pour sa troisième couche, Akôssiwa donne naissance à un garçon. Elle avait deux filles et voulait d’un garçon. Son souhait est réalisé. Elle est maintenant mère de trois enfants en moins de huit ans. Quant à Koffi, le premier mari d’Akôssiwa, il demeure toujours sans enfants pour des raisons que lui et sa famille ignorent.