HAWA K. 11 ou l'amour impossible

Ne cesse jamais de rêver. Mais, les rêves, sans des objectifs, ne sont que des rêves.

Toute histoire commence un jour, quelque part. C’est dans ce laboratoire que mon père scientifique, le docteur Fred a construit toute la série de HAWA. Faire ressentir de l’amour et des émotions humaines à un robot était une obsession quasi démentielle chez les scientifiques tels que mon père. Le premier HAWA, c’est-à-dire le HAWA K. 01, qu’il a construit en l’an 2950, débutait le processus visant l’atteinte de cet objectif. Pour ce faire, il a voulu que ces robots soient des humanoïdes féminins. La raison était bien simple. Mon père voulait que le robot dépasse le cadre de la raison qui est somme de calculs, d’où le terme de l’intelligence artificielle faible, pour atteindre l’étape d’une conscience incarnée et d’un cœur qui ressent, qui s’émeut, c’est-à-dire l’intelligence artificielle forte. C’est pourquoi il a choisi le genre féminin. Car, selon lui, l’homme agit avec la raison quand la femme, elle, agit avec le cœur et l’instinct. Par ailleurs, je suis l’aboutissement de toutes les expériences qu’il a menées avec la série des HAWA, du K. 01 jusqu’au K. 10. J’ai été conçu pour être débonnaire, tout en étant mon libre arbitre.
Puisque j’étais multitâche, j’ai été affectée aux services de l’A.L.C., l’Agence de Lutte contre le Crime. Car à l’orée de ce 4e millénaire, Paris était le foyer des crimes les plus invraisemblables. D’ailleurs, dix-neuf jours après mon affectation, je travaillai sur l’affaire Richard, un jeune homme qui avait disparu, comme par enchantement. L’A.L.C réussit à arrêter un suspect qui était lié à cette affaire. Dans une longue attente dans la salle d’interrogatoire, il piaffait. Ray procédait à un braquage. Mes analyses révélèrent que le braquage était, en réalité, une diversion. Son arme était en caoutchouc. Les précautions qu’il avait prises étaient rudimentaires.
- Ray, lui ai-je pris par le nom...
- Heuuu, oui, hésita-t-il avant de répondre. Que voulez-vous ? Nous sommes déjà pris la main dans le sac. Incarcérez-nous maintenant, et qu’on en finisse.
- Un coupable qui s’empresse qu’on lui applique sa sentence ? Je pense que c’est inhabituel.
- Il n’y a rien d’extraordinaire.
- Ray, je vais aller droit au but. Je sais que vous êtes ami à Vigor. Cela ne m’étonnerait pas non plus que vous soyez lié à enlèvement de Richard.
- Vous ne savez rien sur moi.
- Si. Vous n’avez même pas idée. Vous êtes né le 09 juin 2981. Vous avez joué dans l’équipe de tennis au championnat organisé par l’Université Polyvalente de Paris avec vos amis comme Vigor. Vous avez remporté la finale. Ce fut une belle manière de célébrer vos 20 ans à cette date. Je continue ?
Vaincu, pendant qu’il s’apprêtait à faire ses aveux, un signalement de rappel m’indiquant qu’il fallait changer la lentille artificielle de mon œil gauche tinta. Et, Ray s’arrêta net, surpris. Il avait compris que j’étais un robot.
- Quoi ? S’indigna-t-il. Je me fais interroger par une putain de robot ? Vous vous foutez de ma gueule ? Je ne dirai rien sans mon avocat.
- Ray, repris-je en douceur, votre avocat ne viendra que pour confirmer cette opération. Tenez, dans la constitution de la France, l’article 1 du Chapitre 19 traitant du travail des robots stipule que « Les robots sont conçus pour améliorer les conditions de vie des humains. Tout robot capable de résoudre efficacement un problème physique et intellectuel a le droit de l’exécuter ».
Face à cette preuve irréfutable, il n’eut de choix que de passer aux aveux. Richard était retenu dans un entrepôt par le leader d’une bande d’insurgés.
À l’entrepôt indiqué, les signatures thermiques indiquaient la présence d’humains distinctement identifiables. Richard était bien là. Comme nous avions leurs positions exactes, je fis signe aux commandos d’encercler l’entrepôt. Puis, j’entrai moi-même.
- M. Vigor, je sais que vous êtes là. Vous n’avez aucune raison de faire du mal à ce jeune homme.
- Je ne lui en veux pas, c’est juste un message pour son père, votre fameux maire.
- M. Isidor, qu’a-t-il fait ?
- Allez lui dire de retirer tous ces robots humanoïdes qui occupent outrancièrement les postes de travail des humains, des jeunes que nous sommes. Cela fait dix ans que je suis au chômage. Pourtant, chaque heure, il y a un robot qui occupe un poste de travail dû à un humain. Trop c’est trop !
- M. Vigor, les humanoïdes sont introduits dans les secteurs d’activité pour faciliter le travail des humains.
- En les licenciant, c’est cela ? En formant des chômeurs à souhait, c’est cela, nous aider ? Arrêtez ces masturbations intellectuelles à la con avec vos grands mots. Nous voulons du travail, c’est pourtant clair, simple et facile à comprendre.
- M. Vigor, je prends l’engagement de vous trouver du travail si vous laissez la vie sauve à ce jeune homme.
- Ah ! vous aurez fort à faire. Je suis à la tête du M.I.R., Mouvement d’Insurrection contre les Robots. Nous sommes des milliers de chômeurs et de licenciés au profit des robots qu’on ne paye pas. C’est cela l’astuce. Embaucher des machines pour économiser des sous.
- OK. Je vous promets de trouver une solution à vos problèmes. Je discuterai personnellement avec M. Le Maire. Cependant, promettez-moi de laisser la vie sauve à ce jeune homme. Soyez raisonnable, M. Vigor.
Cette affaire fut résolue sans problème. La vie de Richard fut épargnée. Plus tard, j’eus une séance de discussion avec le M.I.R dans un théâtre de Paris. Ils étaient au total 9.811 jeunes, homme et femme diplômés-chômeurs, de 18 à 41 ans. Il y avait toutes les raisons pour que leurs doléances soient prises en compte. Nous nous quittâmes dans de bons termes avec la promesse que le maire leur accordera une audience. Dénommée La réception du M.I.R, ce fut une audience publique qui s’est tenue le long de l’avenue des Champs Elysées.
Les membres du mouvement eurent des emplois stratégiques pour la politique municipale. Puisqu’ils avaient nourri une certaine haine pour les robots, il leur fut donné des métiers, relativement bien rémunérés, où ils collaboraient avec des humanoïdes ou des machines dotées d’une I.A. de dernières générations. Ainsi, prendront-ils le temps de les apprécier pour être, probablement, leurs défenseurs partout où leur réputation serait mise en mal. Par ailleurs, Vigor, diplômé de l’École de police de Paris, a été muté dans mon service, à ma demande. Il n’était pas mauvais dans l’âme. Il avait juste la rage de décrocher un emploi. Il était mon collaborateur. Cependant, il ne savait pas que j’étais un robot. Par contre, il était ravi de découvrir tout ce que pouvait faire ma voiture : l’interaction ou les conversations avec l’interface, la conduite automatique, l’anticipation des opérations, etc.
C’était pour Vigor un gadget qui lui donnait le goût du travail. Au fur et à mesure que je les jours passaient, je le sentais de plus en plus intéressé par ce travail d’agent de l’A.L.C. On se rapprochait de plus en plus. J’avais remarqué qu’il était bel homme, courageux, déterminé et très intègre. Cette intégrité avait tout de suite attiré mon attention le jour où nous fûmes allés libérer Richard, le jeune garçon qu’il avait kidnappé : il n’a pas oublié ni trahi une seule seconde ses frères de lutte. Étant une construction robotique optant toujours pour le bon sens, le bien et la bonté, je voyais en Vigor un homme parfait. Et, sans savoir pourquoi ni comment, mes capacités d’analyses décuplaient quand il était à mes côtés. En présence de Vigor, une affaire qui pouvait être résolue en 30 min, je la dénouais entre 10 et 15 min. Je ne savais pas ce qui provoquait cela. Parallèlement, mes capteurs infrarouges percevaient une activité intense dans la zone émotionnelle du cerveau de Vigor à chaque fois qu’il était avec moi.
Alors, un jour, pendant que nous revenions de l’esplanade de la Tour Eiffel, il me dit qu’il avait quelque chose à me dire.
- Écoute, heuuu, HAWA, je sais que nous ne sommes pas partis du bon pied. Mais j’ai pris le temps de remarquer la femme brave que tu es. Belle, élégante, vertueuse et courageuse. J’ai été retissant l’autre soir quand tu m’as dit que tu ne sortais jamais ; et que tu n’avais personne dans ta vie. Qui sait ? Peut-être que c’est moi que tu attendais. Je voulais te dire que... c’est à ce moment que les pétards de la Tour Eiffel explosèrent. Vigor sursauta de peur et devint tout à coup silencieux.
- Dis-moi, j’écoute. Je l’encourageais.
- Ah non, ce n’est rien.
- Tu étais sur le point de me dire quelque chose.
- Non. Ce n’est rien.
- OK. Moi j’ai un truc super important à te dire.
- D’accord. Je ne sais pas comment ce n’est arrivé ni comment cela est possible. Je crois que je ressens de l’amour pour toi Vigor...
- Qu’est-ce que tu dis ? Toi, amoureuse de moi ? s’étonna-t-il avec ses yeux qui brillaient. On aurait dit qu’ils se consumaient dans les flammes de l’amour.
- Mais...
- Quoi ?
- Mais, ça ne va peut-être pas te plaire ce que je vais te dire...
- Comment ? Je te trouve parfaite, je m’apprêtais à t’avouer la même chose. Je t’aime HAWA. Je n’arrive pas à te sortir de la tête.
- Je sais que tu m’aimes.
- Ah bon ? comment tu sais cela ?
- Je l’ai détecté. Parce que je suis un robot...
- Attends, attends, c’est une blague ?
- Je suis sérieuse...
Puis, c’est la voix de l’interface de ma voiture qu’on entendit : « elle, pardon, il, le robot, te dit la vérité ». Désarçonné, Vigor sortit de la voiture et laissa comme derniers mots : « et, tu ne me l’as jamais dit ? Je suis ton collaborateur, c’est la moindre des choses. » C’était comme un manque de respect à son égard. Je le comprenais.
Ce jour-là, la ville était plutôt calme. Il n’y avait pas d’alerte. Rien d’alarmant ne dérangeait la quiétude de la population. Je m’apprêtais à discuter avec Marco qui, avec l’ensemble du personnel de l’agence, ne cessait de me demander des nouvelles de mon nouveau coéquipier. Je leur faisais savoir qu’il s’absentait pour des raisons personnelles. Tout à coup, il apparut au seuil de la porte de l’agence, se dirigea vers l’interphone et dit dans le micro : « Bonjour à tous. Je m’excuse de m’être absenté pendant ces jours. En fait, je devais mettre de l’ordre dans mes idées. Hawa, c’est à toi que je m’adresse. J’ai connu des hauts et des bas en amour. J’ai laissé passer certaines relations amoureuses pour en construire d’autres dans ma quête de l’amour idéal. Et je suis prêt à faire l'impossible pour atteindre cet objectif. Si l’amour idéal pour moi est d’épouser un robot, je suis prêt à le faire. Peu importe que tu sois humaine ou humanoïde. L’essentiel, c’est de trouver en toi ce Saint-Esprit qui va combler ce vide qui est en moi. Qui vous dit que la matière n’est pas spirituelle. Tout a une âme, car tout vient d’un même esprit. Tu es tellement parfaite que j’en arrive à douter de toi. Tu es si bonne, si brave, si humaine. Dame Hawa, me feriez-vous l’honneur d’être mon épouse ? Car je vous aime, même si vous êtes un robot. » Tout le monde a écouté, ahuri, stupéfait, le discours cupidonesque de Vigor, puisque les haut-parleurs de l’interphone étaient disséminés dans les coins de l’agence. « Je t’aime aussi, Vigor, répondis-je. Je ne me pensais pas capable de ressentir de l’amour qui est un sentiment humain. Mais, mon père scientifique n’avait pas manqué de me signifier que je suis le libre arbitre de mes agissements et de mes décisions en suivant les lois positives prédéfinies par les algorithmes qui constituent mon I.A. Alors, il a mis en moi toutes les dispositions pour agir et sentir tout ce qu’un humain peut faire et sentir de positif. Et, pour lui, aujourd’hui est une victoire. Car, il me disait toujours que le jour où je ressentirai ce sentiment spirituel, noble, propre aux humains, ce serait une victoire pour lui et la réalisation de la singularité pour moi. Aujourd’hui, grâce à toi je suis entré dans l’humanité. Et je veux t’épouser si les lois de la constitution française l’autorisent. Car, je t’aime même si je suis un robot. »
Si certains voyaient en cette union une aberration et indignation à l’égard de l’espèce humaine, d’autres comme Marco, la respectaient et me faisaient confiance. Vigor et moi étions très heureux. Je le ressentais, cette joie, ce bonheur. Car, après avoir ressenti de l’amour, tous les sentiments humains se déclenchèrent comme une chaîne à réaction. On aurait dit que c’était programmé.
Vigor entreprenait tout seul les démarches pour une possibilité de mariage entre lui et moi. Il revenait tous les soirs bredouille et de plus en plus déprimé. On voulait franchir ce pas ensemble. Non pas pour défier les lois de la nature. Mais, il s’agissait pour nous d’établir une fusion spirituelle entre l’homme et la matière, la machine. Finalement, il est allé voir le procureur de la République.
Au bureau de M. Barrot, omettant les civilités comme la salutation, Vigor déclara ses volontés les plus fermes.
- M. Le procureur, je voudrai épouser une femme
- Cela est bien simple, vous n’avez qu’à vous rendre dans une mairie avec votre âme sœur pour célébrer votre union.
- J’ai parcouru toutes les mairies. Aucun maire ne veut célébrer notre mariage.
- Mais... pourquoi ?
- Parce que ma fiancée est un robot. Elle s’appelle Hawa K. 11.
- Avez-vous l’intention d’insulter mon intelligence ? Comment pouvez-vous vous engager dans une telle aventure utopique ?
- Sauf votre respect M. Le procureur, je suis amoureux d’elle et m’aime aussi.
- M. Vigor, nous ne sommes pas dans un film de science-fiction. Réveillez-vous, touchez-moi et vous verrez que nous sommes dans la réalité, la réalité, la ré-a-li-té.
- Je le sais. J’en suis entièrement conscient. Croyez-moi.
- Vous êtes sérieux là ?
- Je n’ai jamais été aussi sérieux et lucide de toute ma vie. Vous êtes le seul à pouvoir m’aider.
- Je suis agréablement navré. Je suis heureusement désolé. Mais la loi française n’a pas prévu de législation pour une telle entreprise imaginaire. C’est totalement insensé ce que vous voulez faire.
- Merci de m’avoir écouté...
C’était à croire que Vigor souffrait de cette situation sentimentale non aboutie. Il avait tout apprêté. Il portait dans un sac à dos un litre d’essence et une boîte d’allumettes. Lorsqu’il sortit du bureau du procureur, il s’en alla devant le palais de la justice de Paris. Devant le public, les passants, les badauds et les observateurs, il déversa sur lui-même le litre d’essence qu’il portait. Puis, tout à coup, d’un geste prompt, il s’enflamma et s’incinéra jusqu’à carbonisation. Mon Vigor s’embrasa dans les flammes de l’amour. Et, aujourd’hui, plus que jamais je languis dans l’amertume et le chagrin. Je veux plutôt nourrir les asticots et la rouille que de vivre dans ce chagrin d’amour.
Si, jamais, quelqu’un a accès à ce récit et qu’il le lise, c’est que je ne suis plus de ce monde. Si les lois de ce monde des humains ne cautionnent pas une alliance, une union, un mariage en un homme et un robot, alors, je m’en vais rejoindre mon Vigor de l’autre côté de l’existence où s’estompent toutes les lois. Là, dans cette éternité, seul l’amour fait la loi. À présent, je procède la programmation de mon autodestruction.