Fallou n'a pas fixé de rendez-vous avec son bourreau

Toute histoire commence un jour, quelque part, celle-ci n'en est pas moins une. Jeune, j'avais l’habitude d’écouter une de ces histoires que mon père me racontait tous les soirs de déprime. En vérité, le récit de chaque histoire racontée à chaque soir allait en proportionnalité soit avec mon comportement avec lui pendant la journée soit en rapport avec une question que je n’arrêtais pas de lui poser. Le but recherché par papa c’était souvent de me décontracter, de cultiver la passion de l’amour en moi, de me forger le caractère, d’anticiper certaines expériences de ma vie, me disait-il. Mais personnellement je voyais au-delà de tout ça. Pour moi c’était une façon pour lui de me montrer de combien la vie était injuste, de combien les hommes dotés de pouvoirs pouvaient être l’incarnation du diable en personne. Je me rappelle encore des conclusions qu’il tirait à chaque fois qu’il venait à bout d’une histoire. Chacune de ces conclusions avait ce caractère réaliste de code moral. En vrai, à travers les ans, j’avais compris qu’en fait ce n’était que des histoires rapportées par une mousson, mais revêtant une représentation réelle de l’être humain.
Des histoires, oui ; certaines inventées pour servir de leçons aux moins expérimentés, d’autres pourtant réelles mais qui, avec le temps révolu, ont perdu leurs caractères véridiques. Mais il y’a des histoires exceptionnelles, des histoires qui méritent de vivre éternellement dans les âmes, de se perpétrer dans les cœurs. Car oui leurs héros ont fait preuve de courage pour mériter le sort qu’on réserve à tout héro : celui de rester dans les rivages de l’histoire. Notre Héro à nous étudiants, c’est Mouhamadou Fallou Sène.
Pourtant tout aurait pu commencer comme dans un récit d’histoire. Il était une fois...à Sanar !
IL ETAIT UNE FOIS...A SANAR !
Il était une fois, à Sanar-dans la ville de Saint-Louis, région et ancienne capitale coloniale au Nord du Sénégal, plus précisément à l’Université Gaston Berger, un jeune étudiant, Mouhamadou Fallou Sène, tel était son nom, fut abattu par balle alors qu’il réclamait son droit le plus absolu : le droit à la survie.
On est le 14 Mai 2018 jour d'anniversaire de Fallou.
La journée passa et Fallou consomma, sans qu’on ne le devine, sa dernière fête d’anniversaire. Entre temps une assemblée générale fut tenue dans l’enceinte de l’université par les représentants des étudiants sanarois. Toujours engagée et disponible pour la cause de l’étudiant, la Coordination des Etudiants de Saint-Louis (CESL) dans ses pleins droits décida de décréter 48h de journées sans tickets pour la restauration des étudiants. Mais c’est sans compter l’idée débile qui allait surgir dans la cervelle de cet homme sans cœur, ce soi-disant recteur de l’ugb en l’occurrence Baye Dallay Kane. Il s’est lourdement perdu dans sa fonction de recteur en osant interdire un tel droit à sa propre manière. Baydallay n’a pas hésité à autoriser les forces de l’ordre à s’intégrer dans le campus social de l’ugb à travers un communiqué publié en date du 14 Mai 2018 donnant suite à la note administrative
N°009/UGB/CAB.R. A travers ce communiqué, on peut nettement comprendre l’ignorance du recteur sur le pourquoi des bourses avec ces propos ô combien irrespectueux : « Considérant le retard des bourses et son impact sur certains qui ne disposent pas de ressources, la Direction du CROUS a accepté de mettre en place un dispositif de prêt de tickets afin de permettre à ces étudiants de pouvoir se restaurer sans difficultés et de rendre les tickets empruntés après paiement de leurs bourses. »
Nous sommes dans la nuit du 14 au 15 Mai au cœur de l’université, le jeune Fallou est avec ses camarades attendant le moment propice pour l'affrontement. On ignorait tous le pire qui allait se produire le lendemain. Tout ce dont on était vraiment sûr, c’était qu’il y aurait des affrontements entre forces de l’ordre et étudiants. Mais on s’en moquait complètement. L’affrontement était inévitable, on se sentait menacé ; on a voulu bafoué nos droits ; les dés étaient déjà jetés, on ne pouvait plus faire marche arrière. Entre temps, le plus lâche du campus, Baydallaye en personne, avait boudé les lieux pour aller se réfugier en ville, laissant derrière lui une tension entre fils de parents venu dans tous les coins du Sénégal et forces de l’ordre. Il était 03h du matin et comme à l’accoutumée je rodais avec un ami Ousseynou Sarr auprès de la place du Tour de l’œuf. Une place où certains étudiants avaient passé la nuit avec cette faim de vouloir en finir avec toutes ces injustices. Fallou Sène y était aussi, oui parce qu’il n’en pouvait plus de cette injustice ; il y était parce qu’il voulait réclamer ce qui lui revenait, son dût ; il y était parce qu’il voulait défendre sa communauté ; Pendant que d’aucuns dormaient, Fallou était déjà debout prêt pour défendre ses semblables frères étudiants ; pendant que d’aucuns regardaient le film des affrontements depuis leurs chambres Fallou lui était au front pour la bonne cause ; pendant que certains parlaient du match de football et d’autres de la nouvelle série télévisée en date, celui qui allait devenir le martyr de la cause estudiantine faisait face aux forces de l’ordre non pas par violence, mais par fierté et courage. Fierté ?
Hélas, frères étudiants, Mouhamadou Fallou Sène est tombé certes. Mais s’il est tombé c’est pour que nous puissions nous relever. Fallou, en véritable héros est tombé les armes à la main. Fallou s’est transformé en un ange et est allé rejoindre le ciel avec le sentiment d’une mission accomplie.
La nouvelle fît l’effet d’une bombe. Elle fut en un seul instant répandue dans tout le campus social ; tout le monde en parle sur les réseaux sociaux. Je croise des visages crispés, des regards perdus. On pouvait tout de suite remarquer la tristesse et cette faim de justice à travers le regard des étudiants. Personnellement je rodais dans les ruelles de mes pensées qui ne connaissent ni limite ni obstacle, je me perdais dans les croissements des opinions sur le drame. Pourtant Fallou n'a jamais fixé de rendez vous avec son bourreau. Il a juste était le fruit du sacrifice qui pourrait servir à ces adversaires ce qu'ils souhaitaient: la dispersion.
La Fontaine aurait pu dire : « La raison du plus fort reste décidément toujours la meilleure ». « Pourtant il ne s’agit pas d’une fable, même tragique, et nous ne sommes pas les animaux de la jungle. C’est la dignité humaine qui est menée à l’autel du sacrifice par d’autres humains. Le crime qui ne peut être absous est celui d’être victime du mauvais sort ». Je comprends mieux le Président Wilson Churchill qui disait : « En temps de guerre, la vérité est tellement précieuse qu’elle est escortée par un tas de mensonges ».
Je pense à ces étudiants inconsolables qui ont accompagnés Fallou là où il se repose désormais. Je pense à cette foule indescriptible venus assister à la levée du corps de Fallou à la morgue de l’hôpital régionale de Diourbel. Je pense à ces délégués d’étudiants menacés, infatigables et plus que jamais déterminés pour le mieux-être de l’étudiant qui continuent de crier au désarroi pour que justice soit faite. Je pense à ces étudiants effrayés et traumatisés par les évènements tragiques qui hantent leurs sommeilles. Je pense à ces pères de famille qui ont leurs enfants dans les universités et dont ces évènements ont mis dans un dilemme profond. Je pense à cette femme veuve, innocente et désespérée de ne plus revoir son défunt mari, mais dont la foi en Dieu force le respect.
Pourtant, « La maternité et l'enfance ont droit à une aide et à une assistance spéciale (...) » d’après l’article 25 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. On attend encore le décret de son application pour la veuve de Fallou et son enfant à son chevet. Et le même article poursuit : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires (...) ».
A quand le respect des droits reconnus à l’humanité ?
A MONSIEUR LE PROCUREUR QUI SE CHARGERA DE L’AFFAIRE !
Monsieur le Président
Messieurs les honorables membres de la Cour
Honorable Assistance
Constatez avec moi qu’il s’agissait du cinquième étudiant assassiné au Sénégal dans des manifestations sans comptés les blessés. Qu’en est-il réellement de la motivation des forces de l’ordre à tuer Mouhamadou Fallou Sène ?
Après avoir appris que c’est le recteur de l’université qui leur avait donné l’ordre d’intégrer le campus social, qu’en est-il de l’ordre express donné par le commandant d’ouvrir le feu sur la victime ? C’est une oasis entière qui s’est écroulée. Il s’agit donc d’une planification et d’une volonté délibérée que les faits ont prouvé en plus du témoignage des étudiants, des excuses et des condoléances à la famille de la victime. Leur prétendu argument qu’il s’agissait simplement d’un « incident » d’une part et du sous-entendu « légitime défense » est en fait une reconnaissance implicite de l’assassinat horrible de civil sans arme.
Il appartient à celui qui prétend qu’il y a faute de le prouver.
Les présomptions sont cohérentes et les preuves solides.
Nous sommes donc devant un crime établi qui ne peut tomber par la prescription, d’un assassinat délibéré de civil sans armes, au Statut de la Cour Pénale Internationale, de l’Accord de Genève et de ses Protocoles additifs, du Système des antécédents juridiques des Cours Pénales internationales de l’ex-Yougoslavie et du Rwanda. A cela s’ajoute sa constitutionnalité dans la Constitution sénégalaise : « La personne humaine est sacrée. L’Etat a l’obligation de la protéger ».
C’est aussi un crime contre l’humanité au sens de toutes les lois et législations de la planète sans compter son interdiction par toutes les lois célestes qui sont unanimes pour dire que celui qui supprime une vie sans raison, c’est comme s’il tuait toute l’humanité.
Et quel crime est plus grave, plus abjecte et plus horrible que d’attenter au droit à
la vie (Paragraphe 1 de l’Article 6 du Traité international spécifique aux droits civils
et politiques), droits suprêmes auxquels il est interdit de toucher même pendant les périodes d’exception. Ce droit a été également consacré par l’Article 3 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 10 Décembre 1948, considérant que l’on ne doit pas prendre à la légère, ni porter atteinte, quel que soit le mobile, au droit de chaque individu à la vie. Ce droit est le fondement sur lequel reposent tous les Droits de l’Homme.
D’où l’impossibilité d’y renoncer. Oui... On ne peut y renoncer...
Il est vrai que le gouvernement sénégalais a présenté des condoléances, ce qui est une bonne chose au demeurant, mais l’excuse peut-elle empêcher les auteurs du crime de comparaitre devant la justice ?
Est-ce que les crimes de tuerie et d’assassinat tombent par la présentation des condoléances ?
Nous sommes venus vous voir pour éviter un bain de sang. Nous sommes venus,
Monsieur le procureur, pour vous demander d’être un arbitre. Ils vont dire que nous sommes tous des sénégalais donc tous des victimes. Dis-leur qu’ils n’ont pas tenus compte de la parenté. Plante l’épée au front du désert et attends que le néant réponde. Fallou était pour nous, un frère, un ami, il était également un père, un mari.
Ils vont dire: te voilà appelant à la vengeance, à la guerre entre frères sénégalais.
Sommes-nous là pour donner des ordres aux forces de l’ordre de tuer des étudiants ? Comprenaient-ils l’effet que ça nous faisait de passer des jours sans percevoir nos bourses ? Où étaient-ils à chaque fois qu’on encaissait des coups de la galère au campus ?
Pas d’amalgame entre les principes de la justice, du droit et de l’équité et les visées de la politique, faute de quoi nous allons porter préjudice à tous.
Que le criminel échappe au droit et à l’autorité de la justice et l’opportunité sera donnée à la haine de se répandre.
Rappelez-vous de ces femmes habillées en noir pour manifester leur deuil. J’ai vu la femme de Fallou au milieu jeunesse porter des habits de deuil. Elle est silencieuse. Une main assassine l’a empêchée d’entendre les paroles de son mari; un mari qui lui sourit et vers lequel elle revient lorsqu’elle veut être consolée. Quelle faute cette jeune fille a-t-elle commise pour se voir privée de son mari ?
Monsieur le Président,
L’heure de vérité a sonné. Que la conscience revienne à la conscience. Je ne t’épargnerai point... La jeune fille et son enfant de sept mois attend l’hivernage qui ne viendra point ; un mari qui ne reviendra point ; un d’orphelin, des mamans tristes et écœurées, une veuve, des neveux et nièces, des camarades étudiants attendent votre verdict ; tous appellent et crient: votre trône est épée ; (...)
Le sang du martyrs Fallou deviendra-il à vos yeux de l’eau qui coule ?