Les pieds englués dans la vase, Caroline avançait prudemment entre les palétuviers. L'eau tiède et poisseuse jusqu'aux genoux, elle frôlait de ses doigts fins la substance verte qui habillait le ... [+]
Esprits de la mer
il y a
2 min
678
lectures
lectures
200
Finaliste
Jury
Jury
Depuis qu'ils étaient partis, tout n'avait été que ténèbres et obscurité. Il avait fini par s'évanouir d'épuisement, enroulé dans sa corde. À son réveil, la mer s'était enfin apaisée. Mais il savait au fond de lui que cette nuit impitoyable le hanterait à jamais. Pétrifié, il resta allongé au fond du bateau, fixant le ciel bleu.
Trois jours qu'ils naviguaient à l'aveugle alors que le passeur, récupéré par ses complices en pleine mer, les avait abandonnés là. Sa gorge était toujours aussi sèche et son corps trempé jusqu'aux os. Les prières chantantes d'une jeune femme implorant les esprits de la mer n'avaient pas cessé, ne laissant ainsi aucune place au silence assourdissant des bébés morts. Les enfants n'étaient plus. Il ne restait que celui dans le ventre de cette femme allongée à côté de lui et dont les yeux hagards semblaient avoir croisé la folie.
Ses mains étaient douloureuses d'avoir tant serré les cordages qui le retenaient à l'embarcation. Il s'y était férocement agrippé pour ne pas tomber dans les eaux affamées. Il n'avait jamais vu des vagues aussi hautes et il s'était attendu à chaque instant à être projeté et englouti par les flots comme la majorité de ses compagnons d'infortune.
Mais le calme était revenu. Et le ballottement de la mer et les prières intarissables de l'adolescente avaient fini par bercer son corps endolori, l'entraînant dans un sommeil abyssal et plein de rêves. Des rêves effrayants. D'ailerons de requins transperçant la terre et l'encerclant. De graviers lui râpant la gorge. De bébés tombant d'immeubles gigantesques. Des rêves doux aussi. Dans lesquels il aurait voulu rester. Des rêves de soleil et de chants envoûtants. De crépitements d'un feu de plage. Du thé à la menthe sucré dont sa sœur avait le secret. Et de la main forte de sa mère dans la sienne.
Puis il s'était réveillé là, sain et sauf, allongé sur le dos, la main droite dans une poche. Ses doigts s'enfoncèrent dans le reste de terre et de sable que sa petite sœur avait mis là avant son départ : « Un peu de chez nous pour ton voyage ». Il avait pensé cyniquement en lui-même : « J'arriverai là-bas comme je suis né. Les poches pleines de poussière ». Mais ainsi trempée, ce n'était plus de la poussière. C'était de la terre agglomérée et ferme, et la sentir sous ses doigts à cet instant le rassura au plus profond de son être.
Fixant toujours le ciel bleu, il émergea peu à peu de sa torpeur et s'aperçut que l'éternel chant féminin qui le berçait depuis sa montée à bord avait laissé place à celui des mouettes. Il se redressa pour chercher des yeux la jeune femme et vit la chanteuse à la manœuvre du bateau. Elle scrutait l'horizon en silence tandis qu'un banc de dauphins semblait la guider. Droit devant, au loin, des collines aux roches ocre grossissaient à vue d'œil, stoppant enfin l'infinité de la mer.
Trois jours qu'ils naviguaient à l'aveugle alors que le passeur, récupéré par ses complices en pleine mer, les avait abandonnés là. Sa gorge était toujours aussi sèche et son corps trempé jusqu'aux os. Les prières chantantes d'une jeune femme implorant les esprits de la mer n'avaient pas cessé, ne laissant ainsi aucune place au silence assourdissant des bébés morts. Les enfants n'étaient plus. Il ne restait que celui dans le ventre de cette femme allongée à côté de lui et dont les yeux hagards semblaient avoir croisé la folie.
Ses mains étaient douloureuses d'avoir tant serré les cordages qui le retenaient à l'embarcation. Il s'y était férocement agrippé pour ne pas tomber dans les eaux affamées. Il n'avait jamais vu des vagues aussi hautes et il s'était attendu à chaque instant à être projeté et englouti par les flots comme la majorité de ses compagnons d'infortune.
Mais le calme était revenu. Et le ballottement de la mer et les prières intarissables de l'adolescente avaient fini par bercer son corps endolori, l'entraînant dans un sommeil abyssal et plein de rêves. Des rêves effrayants. D'ailerons de requins transperçant la terre et l'encerclant. De graviers lui râpant la gorge. De bébés tombant d'immeubles gigantesques. Des rêves doux aussi. Dans lesquels il aurait voulu rester. Des rêves de soleil et de chants envoûtants. De crépitements d'un feu de plage. Du thé à la menthe sucré dont sa sœur avait le secret. Et de la main forte de sa mère dans la sienne.
Puis il s'était réveillé là, sain et sauf, allongé sur le dos, la main droite dans une poche. Ses doigts s'enfoncèrent dans le reste de terre et de sable que sa petite sœur avait mis là avant son départ : « Un peu de chez nous pour ton voyage ». Il avait pensé cyniquement en lui-même : « J'arriverai là-bas comme je suis né. Les poches pleines de poussière ». Mais ainsi trempée, ce n'était plus de la poussière. C'était de la terre agglomérée et ferme, et la sentir sous ses doigts à cet instant le rassura au plus profond de son être.
Fixant toujours le ciel bleu, il émergea peu à peu de sa torpeur et s'aperçut que l'éternel chant féminin qui le berçait depuis sa montée à bord avait laissé place à celui des mouettes. Il se redressa pour chercher des yeux la jeune femme et vit la chanteuse à la manœuvre du bateau. Elle scrutait l'horizon en silence tandis qu'un banc de dauphins semblait la guider. Droit devant, au loin, des collines aux roches ocre grossissaient à vue d'œil, stoppant enfin l'infinité de la mer.
Julien.
Bonne finale !