Deux jours de vie comme talibé

Toute histoire commence un jour, quelque part ; que ce soit dans un château, sous une tente, dans une case au village ou sous un arbre perdu dans une forêt au diable vauvert. Mais faut-il le préciser,il y a de ces histoires dont l’origine est difficile à retracer. Selon les ouï-dire,toute histoire connait une fin, mais que dire de celle de bâtards, et de celles qui se déroulent depuis et qui ne finissent pas.
Voici les grands chefs de familles réunis pour assister au discours saisonnier de Moctar Al Youssef. Après les préludes, on l’invite sur l’autel ; il se tient dans sa posture de chef et d’une voix rauque il commence : ”Le Miséricordieux vous bénisse et merci pour l’intérêt que vous accordez à nos réunions.
Dans mon message de la saison, j’aimerais toujours attirer l’attention de tous sur l’observation de la tradition. Elle est l’arme qui permet de tuer toute velléité de dérive dans l’œuf : pratiquez à cœur joie l’excision et vos filles seront blanches comme le kaolin. C’était le message de la saison passée.
Aujourd’hui, il faut réitérer le fait que la demeure du bâtard n’est jamais le foyer, il est et doit être considéré comme un esclave. Le foyer reste la demeure de l’enfant légitime. Je ne crois pas en le livre des chrétiens mais même ce livre dit en Galates 4 : 29 que le fils esclave persécutera toujours le fils digne. Il convient alors de l’écarter.
Si les textes font la force de l’Amérique, la tradition est notre force. Certains pensent qu’elle est rétrograde : que ça tue.
Dites-moi si les textes américains n’ont pas permis qu’ils puissent posséder des armes ? Et les armes, mes frères c’est pour tuer, n’est-ce pas ? Et pourtant je crois dur comme fer qu’ils ne changeront pas leurs textes, car c’est l’expression de leur liberté.
De même nous devons chérir nos us et coutumes, même s’ils doivent crever les yeux. Cela revient à préserver notre liberté.
Soyez comme des cavaliers en cheval. Le cheval symbolise la puissance. Chers frères, la tradition doit être votre cheval de bataille et votre fer de lance. Croyez-moi elle vous portera loin. C’était ma manière de vous dire humblement bonne soirée.” Tout le monde approuva ce discours, qui peut connaitre jusqu’à ce que les puissants en Amérique font si ce n’est Moctar ; il fut bien ovationné et conforté dans sa position de guide le puissant de la contrée. On discuta longuement et la réunion prit fin.
"Glam, glam, glam",voilà le bruit de la cloche, elle sonne le coucher de la petite Soreya sur ce lit au drap noir et rouge. Les cheveux ébouriffés, les pieds froids, les mains frêles, dans sa robe couleur amarante, elle semble sourire le visage tourné vers les célestes parvis. Les véhicules qui déambulaient à vive allure avaient commencé par ralentir ; la chaussée est envahie.La cloche indique exactement cinq heures du soir. En ce jour, le soleil qui avait l’habitude de sortir ces rayons comme une artillerie cuisant la tête et le cerveau, a décidé de ne pas montrer sa face comme s’ilne voulait pas assister à ce spectacle. Ce beau soleil a laissé place à un ciel orphelin ; au moins lui, il ale choix d’apparaitre ou pas.Que dire du ciel il n’a pas le choix, il doit toujours dérouler sa natte et y assister. Une voix pouvant déchirer le cœur du plus stoïque cria, elle a cassé la pipe.
Puisqu’au moins cette histoire a bien commencé quelque part, il convient d’y voir encore plus près.
Il y a exactement quatre jours plutôt que tout à commencer. Comme on le dit souvent l’eau se frayera toujours un chemin, il est préférable de lui réserver un passage.
" Si une oreille doit entendre, elle n’a pas besoin de servir de balai pour le sol", ça vaut pour le père qui ne respecte pas la tradition des grands parents.
"La durée d’un tronc d’arbre dans l’eau du fleuve ne le transformera jamais en crocodile" ; aussi longtemps que le soleil existe un bâtard ne deviendra pas un enfant légitime ça vaut pour la fille. Comme à l’accoutumé, c’est par un flot de proverbes que commencent les médisances de Tchakanoua. Et quand ça commence, personne ne sait quand ça va se terminer. Tchakanoua est l’une des femmes de stéatopygie remarquable du village. Depuis qu’elle a pour mari thotoale père de Soreya, il ne se passe pas un seul jour qu’elle ne revendique son droit légitime prévu par la tradition. Thotoa si robuste et fort qu’il soit n’ose placer un seul mot. Il fait toujours mieux de quitter le logis quand les insultes deviennent de plus en plus virulentes.
Cette fois-ci, il a décidé de mettre fin à ces allusions à peine masquées qui lui rendaient la risée du village. Il s’est résolu de suivre la tradition. Elle qui veut que les enfants bâtards quittent le foyer. Ils constituent et sont des fruits de la malédiction. Ils incarnent le mal. Ils doivent être des errants.
Alors de bonne heure avant le premier chant du coq, il alla réveiller sa fille,et lui parla. Le sommeil laissa place à des trémolos de tristesse. Le voyage dura trois jours à pieds.
Soreya comprit alors qu’elle devait quitter le village pour petite ville afin devenir apprenante de la parole de Dieu, elle sera communément désignée par talibé. Ainsi échappera t-elle aux médisances de Tchakanoua. Son père a promis de venir lui rendre visite.
Et comme dans un rêve, le sort l’a transportéedans ce lieu inconnu ; la voilà devant ce ventru de Moctar Al Youssef. Il sera désormais son guide. Pour combien de temps? Elle ne sait exactement, mais ce qu’elle ignore le plus, c’est qu’elle devra mendier son pain quotidien.
Grand marabout septuagénaire dont l’esbroufe et le bagou n’est plus à exposer, il est celui à qui mêmes les politiques ont recours dans les moments électoraux pour faire pencher l’opinion en leur faveur. Sa maison ne manque point de moutons et de bœufs apportés par ceux qui viennent le consulter pour ses pouvoirs surnaturels. Moctar est le prêtre le plus influent de la région de Timogo. Nul ne peut, en le voyant une première fois, ne pas être impressionnépar sa solidité malgré son âge et surtout sa longue barbe blanche qui descendait presque à la taille ; et qui se remue vigoureusement lorsqu’il tenait ses discours.
Elle loge désormais avec les nombreuses talibés de Moctar. Dès six heures du matin, commence la journée du talibé ; le groupe des garçons toujours séparé et de celui des filles. L’assiette en bandoulière grâce à un solide fil en nylon que l’on fait passer par le trou percé au bord de celle-ci, ils arpentent les rues tortueuses, sinueuses et poussiéreuses à la recherche de quoi apaiser leur faim.
Il s’agit de se diriger vers les bonnes volontés, et de réciter les quelques paroles apprises le tout avec un visage et une voix dignes d’une personne agonisante à susciter la pitié.
Les vendeuses qui se rendent chez le grand marabout reconnaissent ces talibés à leurs assiettes métalliques. Ceux-ci comme de bon vieux clients viennent aligner une bonne vingtaine de bols au sol devant la vendeuse de Kopto. Cette dernière n’hésite pas à les remplir tous de la bonne chère ; espérant, par ce faisant obtenir miséricorde auprès de Dieu pour avoir un garçon. Les talibés se délectent allègrement de ce mets chaud et fumant contenant les feuilles de moringa.
Les idées de la petite courrait le long de cette rivière non loin de leur concession au village où elle a l’habitude de se baigner avec ses amies, elle pouvait entendre encore leurs cris de joie, les voir nager et éclabousser l’eau ; ses larmes commençaient par couler qu’elle empressa d’effacer pour que personne ne lui pose des questions.Dans cet environnement ù elle se trouve désormais, ce qui l’effraie et attire le plus son attention, c’est justement ces grosses boîtes métalliques contenant des personnes dont l’une tient cette chose ressemblant à un cerceau qu’il essaie de tourner à l’envi pour se diriger. Et que les citadins appellent voiture. Elles viennent de nulle part et se perdent si vite à l’horizon dans un vrombissement qui n’a rien d’habituelle. Elle écarquille les yeux à chaque fois que certaines de ces fameuses boîtes portées par des roues passent près d’elle.
Elle savait depuis son village que les citadins étaient bien idiots car ils ne pouvaient suivre les empreintes d’un seul de leurs moutons égaré pour les retrouver. Mais de là à s’entasser dans une boîte qui crie! Cela lui semble encore bien fou.
Ce qui la laisse encore perplexe, c’est le vent que laissent ces voitures derrière elles. Ce vent semble lui couper le souffle.
Au village, l’on a l’habitude d’aller à dos de chameaux ou porter sur ces bolides trainés par des ânes. Et l’on se moque volontiers de ces citadins qui veulent zozoter le français et tout faire comme les blancs. Ils leur font de la peine ces citadins qui se croient attifés mais qui restent nus à leurs yeux.
Soreya admirait encore le spectacle lorsqu’ une pluie s’annonça. Avec un grondement de tonnerre assourdissant, les éclairs déchirent la voûte célestequi semble montrer ses nerfs pour ouvrir ses vannes. On peut entendre le vent siffler de loin élever la poussière, arrachant les toits de maisons mal couverts. Une odeur d’argile se dégageait déjà ; pour couronner le tout, les nuages qui commençaient leur défilé traditionnel invitent le ciel à s’assombrir et verser ses larmes. Surpris par la soudaineté de ce phénomène, tout le monde faisait ses cliques et ses claques au plus pressé. Le décor n’est plus à l’admiration, les véhicules filaient de plus belle pour laisser place à un boulevard vide.
Partout l’on entend ces automobilistes qui s’empressent de rentrer, ça klaxonne à tue-tête par-ci et vocifère par-là, reprochant la conduite de l’autre ; forçant le passage, effectuant des dédoublements à la Formule 1 et conduisant à tombeau ouvert. Voici une voiture de marque jaguar qui vient de violer le feu rouge ; elle réussit son coup d’un tour de maître ; encouragé par ce geste le véhicule suivant s’engage à son tour. Ce dernier vient percuter Soreya, qui étourdit par la scène, trainait derrière le cortège de talibés qui traversait la chaussée. Le conducteur tourna son volant, fit un petit reverse et démarra en trombe à la surprise générale laissant le corps de Soreya sans vie.
"Glam, glam, glam", voilà le bruit de son assiette sur l’asphalte. Sous cette pluie battante, la circulation de la route et du sang de Soreya se sont convenu de s’arrêter net. Son sang gicla, elle n’aura pas l’occasion de se débattre un temps soit peu ou de placer un mot ou deux. Une foule de gens compatissant bravant la pluie vient se joindre aux talibés et s’amassent autour d’elle. On la couvre bientôt d’un drap. Les visages se crispent, ses compagnons crièrent son nom comme si elle se réveillerait. Les plaintes ne la ramèneront pas.
D’ailleurs à part ce petit périmètre où le ciel et la foule font le deuil en pleurant, la vie suit son court normal.
A quelques encablures la musique n’a pas cessé de résonner ;le travail des racines de ce tamarinier à côté ne s’est pas estompé ; ils continuent à apporter de sève. Que dire de son père pour qui en cet instant se régalait du repas du soir avec Tchakanoua tout en rigolant alors que sa fille dès onzième année tire sa révérence.
Seule la nature sait que Soreya n’a pas vraiment décidé de sa venue sur terre dans cette région précise où l’on ne sait ce qu’on appelle responsabilité.
La voilà dans son linceul, tous conviennent que c’est Dieu qui a donné et c’est Dieu qui a repris.
Tchakanoua attend son enfant, cela suffira largement à combler le vide, et qui va parler de vide ; elle était d’ailleurs un véritable fardeau.
Qui a instauré cette tradition ? Même Moctar ne le sait pas, pourtant il y tient. Ne conviendrait-il pas mieux de prescrire le sens de responsabilité à toutes ces personnes qui se croient légitimes et qui ne cessent de rendre d’autres responsables ? La grande différence se trouve toujours dans l’œil des autres. Mais de toute façon, il y aura des êtres supposés supérieurs à d’autres malgré la force des choses. Faut-il s’en faire à l’idée et se résigner ?