De l’Université à la Mine d’Or

Toute histoire commence un jour, quelque part. Quand j’étais petite, je jouais avec mes amies, je voyais ma mère revenir du marché vers le coucher du soleil. Je lisais sur son visage une fatigue. Une vraie fatigue signalée par un flot de sueur au front. Ses yeux me paraissaient rougis par le piment, la tomate, le gingembre, le sel, l’oignon et l’ail qu’elle achetait et revendait au détail. J’avais pitié d’elle. Cette vaillante mère a financé mes études primaires et secondaires. Moi Hanifa, je n’ai jamais vu l’homme qui m’a engendrée. Maintenant que j’ai 16 ans, ma mère me dit que mon père était un marchand de sucre. Il est originaire de Farfar, un petit village perdu dans des broussailles auprès de la frontière soudano-tchadienne. Nadir, mon père avait rencontré ma mère au marché hebdomadaire de la Loumia. Il était follement tombé amoureux d’elle. Il l’a épousée et n’a passé que quatorze mois avec elle. L’homme quitta pendant que ma mère était enceinte de huit mois. Je suis née juste un mois après le départ de Nadir. Un départ insensible. Un départ sans retour ! Ma mère ne s’est jamais remariée par la suite. Elle fait les petits commerces pour se prendre en charge et s’occuper de moi. Moi, sa première et unique fille sur laquelle elle fonde son espoir. Après l’obtention de mon bac je m’inscris à la faculté de Droit de l’université de N’Djamena où j’ai passé trois ans pour sortir sans diplôme. C'est-à-dire j’ai été exclue. J’ai eu du mal à comprendre cette situation d’échec car j’ai déployé assez d’efforts dans les études durant les trois années écoulées. Un échec affligeant qui me donna l’envie de quitter le pays, de m’effacer du regard des autres, de m’enfuir. Mais où aller ? Comment faire? Que faire ? Autant d’interrogations qui m’empêchent le sommeil. Un sommeil dont j’en ai vraiment besoin pour me remettre de la fatigue accumulée. Mais hélas ! Couchée dans mon lit installé dans la cour de la maison, les paupières de mes yeux se refusent à toute fermeture. Cette nuit-ci va aussi être blanche. Un calme notoire y règne. Mais un instant après, j’entends l’enfant diarrhéique de la maison voisine piailler. Une véritable nuit de réflexion. Des tas d’idées me traversèrent l’esprit et je me posai des questions. Que deviendrai-je? Finirai-je par rejoindre ma mère au village pour travailler au marché ? Encore serai-je une charge pour cette pauvre mère qui a tant souffert pour moi? N’y a-t-il pas d’autres possibilités de réussite dans cette vie ? La nuit se retira sagement et laissa doucement place à un nouveau jour. Je vois des corbeaux planer ostensiblement dans l’univers et embellir le ciel jaune du côté oriental annonçant ainsi le lever du soleil. Un soleil de saison sèche qui met fin aux pluies, aux moustiques, aux spectacles des voitures embourbées et aux emmerdements des gouttes d’eau qui suintaient des toits de ma chambre. La réflexion de la nuit dernière me permit d’arriver à une décision concluante. Je décide d’aller en Angleterre. Mon plan consiste à passer d’abord par la Libye. L’idée m’est venue de ma lecture d’un journal nigérian, il y a quelques mois. Ce projet de voyage reste caché. Caché à tout le monde, y compris ma mère. Car au Tchad, les gens sont de moins en moins enclins à l’aventure. Et à plus forte raison, je suis une fille. La fille doit rester au pays pour attendre un bon mari, faire des enfants et s’occuper de la famille. C’est tout. Mais moi, je dis non et je dois, par conséquent, aller chercher mon destin n’importe où. Je me fais délivrer un passeport et un carnet de vaccination. Comment se fera ce départ mystérieux ? Par intuition, j’allume mon vieux poste radio. C’est l’heure de l’information de la Radio Nationale Tchadienne. L’information du soir. Le journaliste annonça les titres du journal et un seul point a retenu mon attention : Les Sao du Tchad vont livrer un match amical contre l’équipe nationale libyenne dans 4 jours. Le lendemain matin, je pars au bureau du président de la Fédération Tchadienne de Football. Je lui pose clairement mon problème et demande un siège dans l’avion. Il accepta en me rassurant que je serai inscrite sur la liste des supporters. Quelle chance ! Au jour indiqué, me voilà au milieu des joueurs et supporters à l’aéroport international de N’Djamena. Les formalités terminées, nous nous embarquâmes et après ce fut le décollage. J’eus envie de vomir. Je résistai en contractant les muscles de mon ventre et en me serrant les dents. Peu après, tout se passa bien. Progressivement notre avion approcha le sol. Ensuite, ce fut l’atterrissage à l’aéroport international de Tripoli! Je restai avec les supporters. Mes compatriotes sont retournés à N’Djamena juste après le match nul un contre un. Quant à moi, je me rendis à l’ambassade du Tchad qui m’avait déjà enregistrée dès mon arrivée avec la délégation. Je déclare mon vœu de rester à Tripoli et que je ne connais personne qui puisse m’héberger. Une grande dame au visage ovale, nez aquilin, habillée en voile bleu marine, assise près du Consul, me regarda fixement avec des beaux petits yeux attentifs et brillants. Elle me posa quelques questions relatives à mon état civil. Un instant après, elle me dit qu’elle est prête à me conduire à la maison pour que nous habitions ensemble. La femme s’appelle Ibtissam. Elle fait le commerce entre N’Djamena et Tripoli. Elle connait beaucoup de gens à Tripoli. Par l’intermédiaire de ma gentille tutrice, je trouve du travail dans un Bureau de Traduction Légale Dénommé : Bakoush Services Agency en qualité d’archiviste et documentaliste pour un salaire mensuel de 450 dinars libyens. Après 20 mois de travail, je réussis à économiser 5000 dinars. J’ai envoyé la moitié à ma mère, soit environ 1.000.000F. Quant au voyage en Angleterre, je suis allée à l’ambassade britannique qui m’a fournie des renseignements. On m’exige un passeport valide, une carte de vaccination, une carte de séjour, une carte consulaire, une carte d’invitation ou un certificat d’hébergement, mais aussi une confirmation d’inscription dans une université britannique...Trop de restrictions ! Un jour, j’ai expliqué mon projet et mes démarches de voyage à Ibtissam. Elle m’a simplement dit : « va tenter ta chance, mais fais attention à ton honneur ». J’ai alors opté pour le voyage clandestin à travers la mer méditerranée. Le bateau à moteur qui transporte les clandestins, se trouve à Zouara à quelques dizaines de kilomètres à l’ouest de Tripoli. Je m’y rendis. Je fus conduite dans une petite pièce qui servait de bureau. On m’enregistra avec une rapidité indescriptible. Le même jour, c’est l’embarquement. Notre bateau est petit.Trente-quatre personnes serrées les unes contre les autres. La vitesse du bateau est incroyable. Je me tourne à gauche et à droite, il n’y a que la mer. J’ai eu l’impression que le ciel et les eaux de la mer se touchent à l’horizon. Quelques flots se jettent dans notre bateau et nous mouillent. Nous recueillons l’eau avec un petit récipient en forme de gobelet et la reversons dans la mer. La sécurité de notre bateau bondé est synonyme de la sécurité de la vie de chaque passager. Quel voyage ! Un pari risqué ! La fatigue nous a gagnés, la faim aussi. Mais la peur nous pousse à la vigilance et au manque d’appétit. Pour toutes provisions, le pilote du bateau donna à chacun de nous une baguette de pain. Un pain chargé de fromage. Ce trajet de 24h ressemble à un périple de 24 ans. Arrivés au niveau du rivage italien, nous sommes subitement tombés entre les mains des gardes-côtes fortement armés. Ils nous mettent dans un gros bus et nous envoient dans un centre de détention à Marsala, une petite ville sicilienne. Notre aventure-ci a échoué ! Après 6 jours d’interrogatoire, le pilote du bateau fut retenu et nous fûmes remis dans un autre bateau italien qui nous ramena à Tripoli. Les autorités maritimes libyennes, elles aussi, nous confient à la police qui nous jette en prison. La majorité était des Ghanéens. Deux Erythréens, quatre Nigérians, cinq Soudanais, et je fus la seule Tchadienne, la seule femme qui était du voyage. Trois mois plus tard, nous fûmes libérés et envoyés aux frontières de nos pays respectifs. Le camion me déposa à Aouzou. Quelle marche arrière ! Je vois mon projet fondre comme neige au soleil. Que dois-je faire alors? Soudain, je vois un grand attroupement à la sortie sud d’Aouzou. « Un gisement d’or vient d’être découvert à Miski dans le Tibesti », me dit le Commandant de brigade...Une idée me traversa l’esprit : aller travailler dans la mine d’or. D’ailleurs, il y a des camions de transport qui y vont moyennant une somme de 5.000F. J’ai demandé à Kolotou, le chauffeur de la Toyota pick-up s’il peut me faire une remise.il accepta et je paie 2.500F.
Tibesti, pays des gigantesques chaînes de montagnes, des collines, de sable, de la soif... Nous parcourûmes des kilomètres et des kilomètres sans trouver un point d’eau. Nous passâmes par des vastes no man’s lands où le soleil crachait une chaleur ardente. Un peu plus devant, nous croisons des militaires. A gauche gisent vingt-six corps tantôt carbonisés tantôt déchiquetés dégageant une odeur nauséabonde. Nous descendîmes et nous joignîmes aux militaires et creusâmes un grand trou, puis nous ramassâmes les cadavres et les enterrâmes tous ensemble ; une fosse commune en plein désert sans aucun repère. L’ambiance fut marquée d’un air pathétique...Notre trajet continue. La soif nous obligea à terminer toute la quantité d’eau de la gourde accrochée au flanc de la voiture. Le village de l’or se dressa devant nous. Il s’appelle Miski. Ici, la route est rocailleuse. Je vois une chaîne montagneuse, on dirait une forteresse pour les habitants du village. A quelques kilomètres en dehors de Miski se trouvent les zones aurifères. Nous descendîmes au pied d’un hangar de fortune devant un grand homme élégant et calme aux lunettes sombres. Il est le Commandant des Zones Aurifères. L’homme ordonne son secrétaire qui inscrit le nom de chacun de nous sur la liste des travailleurs. Les gens se regroupèrent en petites équipes. Trois équipes sont supervisées par un patron. Nous sommes au nombre de neuf dans mon équipe. Dès le premier jour, mon patron me tend un vêtement masculin dont la chemise et le pantalon sont cousus en un seul habit comme une salopette. « Hanifa, tiens ça, c’est la tenue de travail », me dit-il. La tenue grise que vient de me donner mon patron est ample et détendue. « En la portant, tu ressembles à un garçon », me fit remarquer un orpailleur aux yeux ternes fatigués par la chaleur agressive du soleil désertique. Nous creusons, fouillons le sol et le sous-sol, passons les détecteurs des métaux à longueur de journée... Les pelles, les pioches, les râteaux, les détecteurs des métaux sont au rendez-vous. Un jour, le vent souffla si fort. Nos habitations de fortune furent couvertes de sable. Nous mangions de la datte couverte de sable et de poussière. Au treizième jour, je me sentis très épuisée et presque dans l’incapacité de marcher. Le patron m’accorda alors deux jours de congé pour que je récupère. Un jeudi matin, je creusai et découvris un gros morceau de pierre de couleur orange tendant vers le rouge. Je me peinais à l’arracher du sous-sol. Il est dur et sale. Je réalisai aussitôt qu’il s’agit d’un minerai d’or. Mon patron vint prestement vers moi. Il me félicita à mi-voix et me dit d’être discrète. Il plaça ce gros caillou lourd sur un appareil électronique sophistiqué et me dit que c’est la meilleure qualité d’or vendu sur le marché international. Alors un richissime orpailleur négocia avec mon patron. La vente se fait devant le Commandant des Zones Aurifères. Un commandant dont la présence sur le site est très utile. Il est le garant de la sécurité des personnes et de leurs biens.Une centaine de millions! Incroyable chance! « Je deviens riche », murmurai-je. Le Commandant me dit d’ouvrir un compte bancaire pour transférer mon argent à N’Djamena. J’approche le représentant de la banque qui me remplit une fiche des renseignements. Mon patron me dit de prendre encore un congé de deux jours avant de continuer le boulot. Je lui ai dit que je compte prendre le camion dès demain matin pour retourner à N’Djamena. Mais avant que nous ne terminions notre conversation, deux gros avions remplis des militaires armés jusqu’aux dents atterrissent à l’aérodrome des zones aurifères. Le Commandant prit un microphone et annonça que le gouvernement venait d’interdire l’exploitation de l’or et que tous les orpailleurs et ouvriers devraient immédiatement quitter le site... Bon gré, mal gré nous sommes tous rassemblés autour de ces deux avions. L’avion N°1 va déposer certaines personnes à Faya et d’autres à Abeché tandis que l’avion N°2 va directement à N’Djamena. Quelle coïncidence ! Un parfait hasard de calendrier ! Je monte dans l’avion N°2.
Un instant après, trois choses me viennent à l’esprit comme dans un rêve. Primo, ouvrir un supermarché qui sera dirigé par mon aimable mère. Secundo, retourner sur le banc de l’université ; une université autre que celle de N’Djamena. Tertio, après la licence je créerai une institution qui s’occupera de la cause féminine.Aussitôt après, je pousse un ouf de soulagement lorsque j’aperçois l’aéroport de N’Djamena. Impatiente de revoir ma mère à qui je réserve trois grandes surprises : le retour, la fortune et l’expérience.