Après une histoire, une autre

Toute histoire commence un jour, quelque part, et finit par une autre, jusqu’à forger une chaine d’histoire. Cet après-midi à Jérémie, la mienne avait déjà vu l’aube, causant que lourd qu’une pierre, mon esprit roulait sur tout l’horizon sans amasser aucune mousse d’idée, y cherchant un repère aux quatre coins de la terre ronde comme une boule.

Le soleil acheva presque son trajet. Moi je faisais des pas stériles entre les vétivers qu’une brise peignait et les hibiscus dont plus aucune ouanga-négresse ne venait suçoter le nectaire.

Tout se mettait à changer.
Même le temps,
qui se changeait plus vite
que l’heure.
De quoi troubler mes réveils.

C’était le printemps, pourtant les arbres fruitiers ne donnaient que d’ombrage. Les colibris ne sortaient plus d’un bond de leur trou, stupéfiant la fille qu’on avait stoppé au bord de la route. Ces petits oiseaux, témoins assermentés d’Oswald Durand ; ces filles, beauté de Choucoune, où sont-ils ? me demandais-je.

Je n’avais pas encore quitté ni le quartier, ni ses environs. Et pourtant, j’avais le noir. La nostalgie trouvait à envahir le trou de mes entrailles comme la Vierge Marie enceinte.

C’est la pire franchement,
cette nostalgie
qui nous envahit
sans aller l’importuner.

Le temps emportait la vivifiance de la vie comme chaque ondée l’environnement qui trépassait. Et ça, c’est depuis que les humains et ambitions sont tombés d’amour. Ils ne sèment leur petit jardin que de conflits industriels. Conséquemment, il ne s’y fleurit que mépris à l’égard de la terre qui récoltait que des coups.

La terre était devenue
bleue comme un blanc.
Elle perdait son vert,
souffrait à l’extrême.

La pollution contaminait son souffle, infestait son sang. Personne ne faisait attention à elle. Même le soleil. Il l’a brûlée d’un drôle de regard et l’a évitée. Lui avec qui il fut un temps tout était en rose. Il a pris l’ouest sans hésiter, faisant signe à la journée de le suivre. L’ombre de leur fuite me klaxonnait en toute bruyance pour les accompagner.

Réellement on avait pris
rendez-vous, ce soir où
la lune craquait la nuit
qui ne pouvait que s’amuïr.

Moi et mon père étions restés sur la cour à discuter de chien et de chat sous le ciel qui jouait à la pluie d’étoiles, quand « fliw », filait une étoile. « Quelqu’un vient de mourir » déduisit mon père. Je n’en fis cas. Pour moi, ce n’était qu’une vielle légende. Cependant, les cris ne tardaient. Un jeune homme venait de mourir. On savait jouer au football, aller à la rivière ensemble.

Il souffrait d’une typhoïde aiguë.
Ses parents ont fait
de son estomac un pâturage
avec tout type
de feuilles, d’herbes, d’écorces.

Finalement, son étoile a filé comme les lames de Thanatos quand on se jette trop dans de la bêtise. L’image était restée dans ma tête comme mes yeux. Jusqu’à me faire voir autrement. Un ami qui nous quitte est une histoire, partie de notre vie, qui ne s’achèvera jamais. Mais comme la nature a horreur du vide, une autre histoire germait. Je m’étais dit qu’il fallait aller chercher de la lumière pour revenir éclairer et sauver ces vies.

Mais de réfléchir en réfléchir,
J’étais encore là,
à assister à la fugue
du soleil et de ses journées.

Je cherchais à détourner l’attention du temps pour lui briser la nuque. C’était lui au volant. Ils étaient sur le point de me tailler de ma souche. Il me fallait réagir. Même l’arbre devient sauvage quand on lui touche par les racines.

Mes études classiques venaient de se finir. Dès ce moment, la vie devait se charger de mes classes. C’était d’accord ! Mais la rentrée, abandonner cette terre et fuir après tout ce qu’elle avait fait pour moi ? Ça m’a terrifié.

J’avais la gorge sèche.
Mais je ne cessais d’avaler
ma peine pour que
personne ne s’inondât.

L’angélus se mit à sonner, la nuit se leva pour danser. Je me suis couché l’esprit debout sur partir ou rester. Ma mère m’avait déjà fait les bagages, étant sûre, comme mon père et mes deux petites sœurs, que j’allais partir. En fait moi aussi, mais comme de rester. Tout le monde était allé se coucher, me laissant avec la négresse nuit dans une intimité qui pouvait rendre jaloux mes sous-vêtements si j’aimais en porter pour dormir.

J’éteignis la lampe,
la nuit se jeta
sur moi avec rage.

Elle me fixa droit et profond dans les yeux et me dit : « Mon héros ! Pars ! Ici la mort ravage tout ce qui vit. Les gens crèvent, la nature ne vit plus. Rester là, tu ne peux ni sais quoi faire. Pars ! Va t’apprêter pour revenir les porter secours. Sinon un jour, le remords te mordra jusqu’à la mort. Et tu passeras comme tout le monde. Fais-moi la faveur de partir, en même temps d’ailleurs, c’est un conseil ». Et elle disparut.

Dans le noir, on ne refuse
jamais le conseil
de la nuit, car elle seule
risquera nous l’apporter,
dit une sage étoile du nord.

Alors d’une pirouette, je suis tombé du lit me préparer pour partir, enfin avec le cœur partant pourtant qui tenait tête. Grace à la nuit, j’avais pu voir clair. Je pris mon courage et les valises à deux mains. Pour ménager les adieux comme le fils de Dieu, je promis ma présence dans le feu des appels téléphoniques et un prochain retour.

Malgré tout, je balisais
de tourner le dos
à tous ceux qui jusque-là
avaient édifiée ma vie.

Je traversais la cour à reculons.  « Fais attention à toi mon garçon ! » seulement me dit papa. Le reste, le timbre de sa voix et le trait de son visage le divulguaient. Mes sœurs me disaient au revoir par un sourire noir que j’osai ainsi interpréter. Ma mère m’affrontait pour conserver le dernier regard. Combat farouche. Sévère coup de der. J’abdiquai par déférence.

Le cordon fut brisé !
Souffrance méprisée,
la route fut prisée.

Le ciel déjà érosif d’étoiles, dernière vue. Une douce brise, dernier contact. Dans le bus, je naviguais entre le spleen et l’envie d’achever ma destination et mon but et revenir. Quelques dandinements aux courbes de Châteaux, le bus se collait déjà à la plaine de Gommier. Sur les côtes, les pêcheurs arrivaient à leur voilier.

Mer et turquoise croisaient
l’absence des nuages
bleue comme le ciel.
La nature en plein déjà était
teinte de l’indigo de l’été
qui déjà était à l’horizon.

Les paysans allaient aux champs au chant. Les paysannes allaient au marché à la marche. Tant de belles choses, tant de beaux mondes ! On était à Beaumont. Entonnoir de brume sur Camp-Perrin. Détours, contours. On y plongeait presqu’en libre course.

Atterris, on s’arrêta
pour déjeuner.
J’achetai un plat
de vivres
arrosé de sobriété.

Au moment que je chargeais un morceau d’ignames, ma langue se tangua en arrière, et me chargea, « ai-je égaré mes papilles ? Ou est-ce qu’on sert le goût à part, que tu n’as pas commandé ? ». Vous avez entendu ? Quel affront hein ! Mures réflexions, je la donnai au chat comme châtiment.

Je remontai vite le bus.
Tout le monde s’était
sustenté,
moi j’avais su tenter.

On reprit la route avec une nouvelle atmosphère. Éternelles contorsions avant d’entrer dans la ville des Cayes. Spasmes des gens qui gerbaient sans cesse. Cumulation d’odeur. Dimension et multiplicité d’un total chaos qui vite m’a mis K.O.

Ma tête s’alourdissait.
Elle ourdissait
pour m’étourdir
avec l’appui total
de mon propre siège.
Assommé, dans ma
mémoire le reste du
trajet est resté sommaire.

Sans sérénades des anolis et des criquets aux étoiles sous les fenêtres du ciel, la nuit entra dans la chambre de la nature, couvrit le quartier de Bélair qui criait « au secours EDH ! » durant tous les ébats. Heureusement c’était presque l’été. Trop en chaleur, la nuit était en carence d’endurance. Univers jaculatoire de temps, neuf jets d’heures de soixante gouttes, une journée bébé était attendue.

Poussées, contractions,
coups de pouce
du soleil, actions ;
elle fut mise au monde.

L’aube arrivait en roi marge, sans brume aucune pour embaumer la nouveau-née. « Je n’en ai pas trouvée en ville » prétexta-t-elle. Allant sur les lèvres, Yonel, mon frère, se leva décidé pour aller voir ce que la petite pouvait bien lui apporter. Et si j’en profite moi aussi ? me disais-je. On s’était baigné et préparé presqu’en complète simultanéité.

Il allait au marché Salomon et moi à la ruelle Alerte. Il y avait cette préfac organisée exclusivement par des étudiants grand-anslais pour des postulants de la Grand-Anse. J’entamai tout de suite de la fréquenter.

La vie m’était devenue
un dur fer
qu’il me fallait battre.
Je l’ai chauffé opportun.
Potentat, géant, l’univers
qui emporte tout dans
la gibecière du temps,
que non plus il n’exclut.

Conscient de l’étendue de sa présence, je précipitai m’inscrire pour les concours sur le site du rectorat. La Faculté d’Agronomie et la Faculté de Médecine étaient prioritaire pour moi. L’histoire était de sauver des gens ou, ou et, l’environnement. Etant donné que comme je pouvais aller jusqu’à trois options, j’ai ajouté la Faculté de Linguistique Appliquée. Je me disais qu’il fallait maîtriser les contours linguistiques pour trouver le trésor de la persuasion. Il était probable que j’en eusse fort besoin. On ne sauve personne sans le convaincre qu’il est en danger.

Sacré jour de dimanche.
J’ai pris ascension
jusqu’à Babiole prendre
l’évangile du concours
de la Médecine au Collège
Saint-Jean Évangéliste.

Dans le milieu ambiant, l’ambiance était dominicalement amicale. Mais ma poitrine était à fond de cale sous la domination du stress. Je suis rentré dans la salle le cœur en compresse. Les surveillants passaient les copies. ‒ Qui bouge s’élimine ! avertit l’un pendant qu’un postulant d’une tête blanchie de vétérance reçut un appel, décrocha et sortit parler.

Des minutes, il revint,
s’assit calmement,
et composait sans
une rature d’assurance.

Personne n’osait dire ni a ni b. Quitte aux regards des surveillants qui susurraient de criants soupçons. Cette partie terminée, on nous passait les copies de la deuxième quand le téléphone du même postulant sonna, après de recevoir ses copies. La même scène fut reproduite. ‒ C’est quoi cette merde hein !? cracha un postulant sur le silence qui se fondit sur le coup. N’avez-vous pas dit que l’utilisation de téléphone est interdite comme se bouger ?

‒ Y a un souci monsieur ? intervint un des surveillants avec un peu de ruse, trouvai-je.

‒ Bien sûr qu’il y en a ! se leva et prit la relève une postulante. Notre avenir est sous scie, celle de vos mesquineries qui trop tôt le tranchent.

‒ Calmez-vous ! atterrit un superviseur. Asseyez-vous ! ordonna-t-il en tapant un postulant avec un peu de sévérité sur l’épaule et sur les nerfs, l’occasionnant de changer son fusil d’épaule.

Trop pied à pied, ils en étaient venus aux mains. Et c’était la bagarre totale. Les bancs ont été renversés. Les copies ont été déchirées, piétinées. À tenter de récupérer par terre la mienne, on a été à deux doigts de me marcher dessus. En un tour de main, je fis un tour de reins et allai camper dans un coin. Quant au vétéran, je ne l’ai vu ni monter, ni descendre. Mais il n’était sûrement plus dans le milieu.

‒ Je vous fous tous l’élimination, lança le superviseur en partant.

Ces mots m’ont taillé une aile dans la mission. Il ne me restait qu’une aille, l’Agronomie, et le vent, la Linguistique. J’ai continué de voler avec volition au-dessus des incertitudes. Mais en allant au concours de l’Agronomie, j’aillais perdre l’autre aile. J’ai été pris dans un embouteillage sur la route de Delmas où les voitures de bout en bout se teillaient à faire les passagers être rattrapés par l’impatience. Je suis arrivé à Damien alors que la première partie du concours avait déjà terminé.

Il ne me restait donc que le vent pour m’amener à destination. Au concours, tout s’était bien passé heureusement. Après tant de manières, le décanat avait enfin donné rendez-vous pour les résultats.

Je m’ennuyais à cent
sous l’heure à
force que j’étais arrivé
tôt à la rue Dufort.

Mais je ne cherchais pas midi à quatorze heures. Il avait été bien notifié que les affiches étaient pour quinze heures. Vraiment, une heure mesurée passée, elles étaient aux murs. J’ai été inscrit en vacation soir. Je parcourais la liste à courte respiration.

Hum !

J’ai recommencé… !

Mes adrénalines montaient. Elles montaient jusqu’à commencer à se renverser par les cavités de ma peau. Il n’y avait pas mon nom. Les autres me bousculaient pour connaître aussi leur sentence. J’étais resté plaqué. Je n’avais plus le courage de faire face aux regards des autres postulants qui brulaient de rage de les avoir fait barrage.

J’avais perdu mes ailes, et voilà que le vent n’était plus sur mon chemin. Et je n’avais pas pensé à cette éventualité.

Je me glissai en biais
et à gauche de la foule
avec une froideur
qui cuisait sa patience.

J’arrivais face à la liste du groupe matin quand j’y fis un coup-d’œil de travers. On aurait dit mon nom ! Je m’arrêtai et regardai à nouveau. C‘était mon nom. Ouf ! Le vent a repris ma direction. Je volais sur un nuage de joie. J’avais envie de crier « je suis libre ! » comme un indigène à l’aube de 1804 avec son bol de soupe fumante de giraumon.

 

J’avais été bien à la coule pour arriver à la faculté après une longue coulée par les rives d’un cours de routines qui dévalait des années déjà. J’ai remonté pour éviter de me cogner contre un poteau qui dégouttait tel un pot d’eau bondé qui servait de rond-point aux couloirs. Peu de souffles ventaient encore les solives du bâtiment qui larmoyait. À quelques pieds sous mes pas, les gémissements de l’âme du doyen Vernet se mêlaient à l’écho du silence qui rebondissait dans les coins du vide des salles. La sentence d’un séisme sans pitié. Je me suis bien fiché des nouvelles affiches sur les murs. Mais je les ai quand même dépouillées d’un léger regard et les ai chantées pouilles de leur fadaise, avant de descendre prendre mon aise à la salle de lecture.

Un ventilateur déserté
de tout vent ronronnait
que personne ne
profitait de son labeur.

Je me suis installé et me suis usé de sa charité pour restaurer mon homéothermie. Main droite sur la table. Poing gauche, socle du globe de ma tête rond à l’instar de la vie ici-bas, me demandant que fût devenue ma mission.

Le physique du soleil s’allégeait, le poids de ses dents s’alourdissait. Le souffle de sa chaleur, léger comme un lège, effleurait le plumage des arbres. Un oiseau paradait sur un chêne paralysé de plantes parasites, mon esprit sur les débris de ma mission déroutée.

 

Le soleil se déchaînait,
mordant l’aigrette
de l’oiseau
et s’en amusait.

L’oiseau sauta le Ministère de la Communication et s’est jeté dans une piscine d’arbuste pour s’en remettre et lui mettre un mors. Fameux, ce ministère de la communication. Si près de la faculté, si loin des étudiants. Parlant de communiquer, pensais-je, si on ne sait pas nager, on ne peut pas sauver quelqu’un qui se noie. Mais, et si on le fait savoir à des nageurs ? Ne le sauve-t-on pas aussi ? Alors, même si je n’ai pas d’ailes, je peux donc, grâce au vent, aller jusqu’à ceux qui en ont pour aller sauver les gens et l’environnement.

Et c’est ainsi que l’histoire que je devienne un grand écrivain, un grand homme de micro a pris chair en moi, en m’engraissant de linguistique.