À force de conviction ...

Toute histoire commence un jour, quelque part... Celle de Clara a eu un tournant différent dès ce jour où elle monta ce bus pour partir à la recherche d’un meilleur demain après la mort de son jeune frère Polo dans cet incendie, la seule famille qui lui restait depuis longtemps. Ses études achevées, sa maison brulée, toutes les personnes auxquelles elle tenait parties, elle ne se sentait plus le courage de tout recommencer seule dans cet endroit ou tous la prenait de haut. Sans savoir ce qu’elle ferait une fois sur place elle était motivée par la seule envie de se rendre à la capitale fuyant cette province.
Ayant 18 ans d’âge, elle venait à peine de finir ses études au lycée de jeunes filles de sa ville, la seule école qu’il y avait pour les filles et au premier échec, l’élève était mises à la porte, c’était pareil pour le lycée de garçons. Ses parents victimes de la pauvreté, sont morts d’une épidémie depuis 15 ans. Avec son frère ils faisaient de tout pour survivre dans ce monde ou personne ne décidait de leur donner un coup de main préférant médire d’eux et attendre leur fin minable. Elle était tantôt lessiveuse, nounou, professeure particulière d’enfants et plus important couturière. Sa grand’mère avant elle cousait pour le canton, sa mère avait hérité de sa popularité et Clara elle aussi se débrouillait plus que bien dans le domaine. Paradoxalement, aucune d'elles n'avaient fait d'études appropriées. Pourtant, pas grand monde lui demandait de coudre leurs vêtements ou les uniformes de leurs enfants, ils préféraient pour la grande majorité les services de Madame Anne, une dame qui dans le domaine se trouvait loin derrière Clara.
Dans la petite ville, la plupart des filles et femmes s’adonnaient à la prostitution et lors des fêtes nationales où plein de monde venaient, c’était une occasion pour elles de rentrer beaucoup plus d’argent et Clara préférait éviter cette forme de débauche, optant pour des petits boulots à travers lesquels elle n’aurait pas honte demain lorsqu’elle aura à raconter sa vie étant convaincue que son étoile était vouée à la gloire.
- Tu t’attends à quoi, que le bon Dieu descende en personne te donner un paquet de fric pouvant te sortir de la misère ? Non ma fille, il faut travailler dure et ici, il n’y a qu’un seul métier pouvant t’offrir une nouvelle vie. Fonds-toi dans la masse. Il est de coutume que ça se passe ainsi, il n’y a pas de gêne à avoir. Tu ne le savais pas mais ta grand’mère à son époque était appelée « reine ». Connais-tu au moins ton grand-père? On t’a raconté qu’il est mort non! Elle ignore qui c’était.
- Madame Aude, s’il-vous-plait, épargnez-moi vos belles histoires. Respectez mon deuil, en plus je me fiche du passé de ma grand’mère. Je ne vous demande que de m’emprunter le peu qu’il faut pour le bus s’il vous plait. Je vous rendrai votre argent.
- Ah ! à la saint glinglin !
- C’est quoi ça ?
- Une autre façon de dire jamais ma fille. Cet argent que tu me demandes, sais-tu comment je l’ai eu ?
- S’il-vous-plait madame...
- Une nuit, une seule et tu verras... de l’argent tu en auras largement plus que ce qu’il te faut pour le bus et tu l’auras gagné en travaillant. Je peux même te référer un bon coup. Qu’est-ce que tu crois, que tes petits dessins de pacotilles t’ouvriront les portes du succès ?
- Je ne vais pas construire ma vie sur quelque chose d’aussi minable.
- Sors d’ici sale chienne, dehors mendiante effrontée. Madame nous prends de haut parce qu’elle a fini ses études et qu’elle lit des livres lui racontant des histoires mensongères. Je t’attendrai le jour ou tu nous reviendras la queue entre les jambes car je sais qu’il n’y a rien à la capitale, rien de mieux qu’ici. Tu devras baiser si tu veux être quelqu’un, on n’a pas le choix quand on nait femme.
Assoupit dans le bus, elle repassa en mémoire la mauvaise foi de sa voisine d’à côté, la mère de sa meilleure amie. Conversation qu’elle a eu avec elle il n’y a pas plus de deux jours. Pour trouver les moyens de se rendre à Port-au-Prince, elle a été directement en demander à l’un de ces hommes qui travaillait à la caverne et sans encombre, il les lui avait donnés.
«Je reviendrai vers ces terres qui m’ont maudite et m’ont condamnée à n’être personne à jamais. Je n’ai peut-être plus d’alliés physiques mais je sais que la nature se joindra à ma cause. Cette vie n’offre pas d’opportunités aux jeunes et encore moins à une fille pauvre et sans famille, mais ces moyens je me les inventerai sans avoir à m’ouvrir les jambes aujourd’hui et baisser la tête demain. Je me tracerai une voie loin de leur dessein pour moi. Personne n’y croit mais un jour je serai une diva et tant que je n’aurai pas atteint mon objectif, je ne prendrai homme aucun. »
À la capitale, elle n’avait personne et y avait débarqué un matin à 5 heures avec son sac sur le dos, ses rêves en tête et pas un sou en poche l’air étrange. Elle ne savait pas encore ou elle irait ou ce qu’elle ferait. Toutes les petites histoires qu’elle avait entendues se résumaient au fait que pour une femme le seul moyen de gravir les échelons était de se trouver un homme riche et elle voulait défier cette réalité.
« Le mariage est donc une fin en soi ? Ne suis-je pas au même titre que l’homme un être à part entière ? Pourquoi aurais-je besoin de lui inconditionnellement pour être quelqu’un quand moi aussi j’ai l’intelligence, la raison et du bon sens ? »
Sa première journée, elle la passa en faisant du porte à porte offrant ses services comme femme à tout faire ou encore couturière mais personne ne lui répondit. Au centre ville étant, elle marcha jusqu'à Turgeau comme une épave. Il était 15 heures qu’elle n’avait toujours rien avalé. Elle se laissa aller sur le bord d’un mur revivant ses déceptions de la journée. De son sac, elle sorti son bloc de dessins. Elle n’a pas etudié l'art mais dessinait comme un ange. Elle les regarda pendant une belle trentaine de minutes essuyant des larmes qui lui coulaient au visage.
En face d’elle se trouvait une marchande de « chen janbe » un genre de petit restaurant informel où venaient se régaler les gens de la classe populaire, il y en avait un peu partout en Haïti. Elle se décida finalement à traverser demander du boulot à la dame en charge. Elle lui donna un plat généreusement servi et en contrepartie, Clara fit la vaisselle. La femme n’accepta pas de l’héberger, elle ne la connaissait pas. Ici en Haïti, personne ne fait confiance à l’autre. Le ventre remplit, elle poursuit sa route.
« Il faut que je connaisse les endroits stratégiques de la capitale où aller et demander de l’aide, du travail. Il doit y avoir une fondation ici, un orphelinat où je pourrais passer la nuit, je ne me vois pas dormir à la belle étoile, il va faire froid vers les 2-3 heures du matin et je n’ai pas de quoi me couvrir les jambes, mon sac à dos étant la seule chose que j’aie sauvé de cet incendie funeste... Polo aurait dû lui aussi se trouver à l’école ce jour-là. »
Elle n’eut pas d’autre choix, vers les 19 heures, elle s’arrêta finalement pour se trouver un coin où dormir. Le lendemain, elle reprit la route et continua sa recherche de boulot, aventure qui dura plus d’une semaine et ses fins de journées étaient toutes décevantes. Pour se nourrir, elle procédait de la même façon, demandait qu’on lui offre un plat et en échange, elle se chargeait de la vaisselle.
Elle s’était encore arrêtée, cette fois ce ne fut pas pour admirer ses dessins mais de préférence pour en reproduire et brusquement, une idée folle lui traversa l’esprit c’était comme une révélation, elle rangea ses affaires et se leva promptement visiblement à la recherche de quelque chose de précis. Elle trouva une boite en carton sur un amas d’ordures c’était tout ce qu’elle cherchait, maintenant, il lui fallait de la colle.
Elle se mit à frapper les gigantesques barrières des maisons qui ne laissaient rien paraitre du dehors. Consciente qu’elle se trouvait dans un chic quartier, elle tenta le tout pour le tout . Elle avait déjà essayé cinq maisons et personne ne lui ouvrit, elle garda son enthousiasme en continuant.
- Excusez-moi, je sais que je pue et que je suis toute sale mais j’ai grandement besoin d'aide.
- Il n’y a pas de petits boulots ici je suis désolée. Et en plus je suis en retard.
- Vous avez de la colle ? Je ne vais pas rester, je veux juste coller mes dessins sur ce carton et les montrer aux passants espérant qu’il y aura un designer parmi eux reconnaissant mon potentiel.
- Vraiment tu dessines ? Je peux voir ?
La jeune fille la fit rentrer tombée sous le charme de ce que savait faire Clara. Elle s’empressa de monter chercher ses croquis.
- Un vrai talent!
- T’es de loin la meilleure Clara.
- Comme ça tu veux exercer le métier de designer? Tu comptais donc attirer l’attention pour avoir placardé quelques dessins sur un bout de carton? T’es drôle ! ça ne se passe pas de cette façon ici mais tu as du courage et j’apprécie.
La jeune propriétaire avait fait préparer de quoi manger et boire à Clara, elle avait avorté sa sortie et est restée avec elle pour écouter son histoire et ses rêves. Elle lui permit de prendre une douche et lui passa des vêtements.
- Tu parles très bien pour une provinciale et plus étonnant encore, t’as de la culture.
- À mon ancienne école il y a une grande bibliothèque, je crois avoir lu plus de la moitie des livres, je connais le monde à travers eux. C’est ma grand’mère, elle me répétait toujours que si je veux être quelqu’un et me sortir de la misère, je devrai m’éduquer, me former et les livres sont les meilleurs moyens pour y parvenir. Elle ne savait pas lire mais voulait le meilleur pour moi. Elle est partie beaucoup trop tôt...
Lorsque rentrèrent finalement les parents de Maddy vers les 19 heures, elle leur parla de Clara et de sa fougue. Ils ne s’étaient pas encore décidés mais pour la nuit on l’avait gardée. Le lendemain à la première heure, Maddy fit appel à un ami de son frère François ce dernier avait quitté le pays pour ses études. André s’y connaissait en élaboration de projet, il les avait donc aidées à mettre sur pied un plan béton.
Clara avait décidé à temps de rentrer à Port-au-Prince pour s’inscrire à l’université, sa directrice lui avait parlé de la faculté de DROIT de Port-au-Prince elle passa le concours de l’université d’Etat d’Haïti et le réussit. Maddy était pour sa part encore en terminale. Et l’année d’après, puisque Maddy rentrait à une école de couture en plus de ses études diplomatiques , Clara la rejoignit à son école de haute couture aux frais de ses nouveaux parents.
Comme on dit, les oiseaux du même plumage volent entre eux, ensemble elles avaient formé une équipe solide de treize filles entrepreneuses qui lanceraient sur le marché la marque « MIDJO ». À côté des deux instigatrices du projet il y avait certaines qui venaient de la fac de Maddy, d’autres de celle de Clara et le reste de leur école de haute couture et toutes d’un même cœur avaient embrassé l’idée. Elles consentirent à travailler durement empruntant le pas vers la route qui mène au sommet.
Dix ans plus tard, Clara était plus que prête à affronter sa ville natale, celle qu’elle a fuit avec tant de promesses. Entre temps, elles avaient fait le nom de leur marque de vêtements et d’accessoires, Maddy s’est mariée, ses parents avaient rejoint François en Europe et Clara était restée comme leur deuxième fille, grâce à son audace son talent et sa culture. Leur affaire était fleurissante et Clara jusqu'à date n’avait toujours pas accepté la présence d’un homme dans sa vie.
« Jacmel je t’avais promis de te revenir après avoir fait de moi quelqu’un pour toi, le moment étant venu, je compte les heures où je serai là et te sortirai du déshonneur. Qu’est-ce que j’y trouverai ? Mes anciennes camarades qui avaient consenti à poursuive leurs études sont-elles restées dans la misère ou m’ont-elles suivi à l’extérieur ? Ester ma tendre amie, je t’avais demandé de m'accompagner mais tu m’as accusée de perdre la raison de vouloir me détacher de mes racines, qu’es-tu aujourd’hui? Flirtant avec ces vices pourris...»
« MIDJO » était devenue internationale. Antonio le mari de Maddy lui-même dans le monde de la mode leur avait ouvert des portes. Italien, ils s’étaient rencontrés ça doit faire 6 ans maintenant à un fashion-week à Paris.
Clara avait pour plan de mettre dans sa ville d’origine une factorerie travaillant pour la marque « MIDJO » donnant du travaille à qui le voulait bien, d’ouvrir un titanesque complexe universitaire, deux écoles classiques mixtes et une colossale bibliothèque.
La première personne vers qui elle alla c’était Marc, à qui elle signa un chèque en mémoire de cet argent qu’il lui prêta et par reconnaissance Clara le délégua à un poste important au sein de la factorerie.
- Aude, qu’est-ce que vous devenez ?
- Bonsoir madame ! J’ai appris ce que vous êtes venue faire pour nous je vous en remercie mais on n’a pas besoin de tout ça, on a toujours su comment survivre on n’aime pas être redevable ici.
- Aude, c’est moi Clara. Je vois que t'es promue proxénète de service!
La femme se tue dévisageant la diva qui se tenait devant elle, rien de ce qu’elle a connu.
- Tu ne pourras plus continuer je vais fermer tout ça. Je te donnerai du boulot, un travail noble dans l’un de mes centres.
- C’est tout ce que je sais faire pour gagner ma vie, je ne laisserai pas une nouvelle riche m’interdire des choses.
- Le problème avec les courses de rats est que même si vous arrivez en tête vous n’en n’êtes pas moins un. T’es restée la même, aussi minable qu’avant j’imagine qu’Esther ait suivi les pas de sa mère.
- Oui, elle travaille pour gagner sa vie.
Utilisant les grands moyens, Clara ferma le bordel et fit venir des spécialistes pour administrer ses affaires une fois les constructions achevées. Elle était fière de ses accomplissements et s’ouvrit du même coup à l’amour.