Mon histoire

Toute histoire commence un jour, quelque part. Tout allait pourtant bien chez moi, à Bouar ma terre natale. Située à 450 kilomètre au Nord-Ouest de Bangui, la capitale de la République Centrafricaine, c’est dans cette localité que je suis né et où j’ai passé mon adorable enfance, connu mon premier jour de classe et où prennent corps mes plus beaux souvenirs. C’est dans cette ville que je porte toujours dans mon cœur, que se trouvent certains de mes amis. J’y vivais une vie heureuse, sans limites et en toute liberté. J’y trouvais mon bonheur et y avais une dignité que je n’aurai nulle part ailleurs.
Bouar est une ville attractive et fascinante du fait de sa diversité culturelle, religieuse et ethnique. L’hospitalité de sa population est légendaire. Une population, autrefois solidaire et qui vivait en parfaite harmonie. Sa position géographique et ses conditions climatiques confèrent à Bouar de nombreux atouts pour la conduite d’activités telles que l’agriculture, l’élevage et le commerce. De nombreux groupes, qu’on qualifie couramment d’ethnies, s’y retrouvent : les Gbayas, présentés comme « autochtones » et majoritairement cultivateurs, les Peuhls qui sont des éleveurs nomades, des Kabas, des Karés, des bandas, des Haoussas et bien d’autres. Cette mixité dénote des liens de solidarité, de partage et d’amour entre ces peuples qui ont toujours vécu en parfaite harmonie.
Mais un jour, tout a changé. Certaines personnes ont décidé de changer notre histoire. Le peuple a été divisé. La haine a envahi les cœurs, la confusion s’est installée, la jeunesse a été manipulée, désorientée, les mentalités corrompues afin de mieux préparer la guerre dans les esprits des uns et des autres. Cette guerre, fabriquée de toute pièce par des individus égoïstes qui ont décidé du sort du peuple au nom de leurs propres intérêts, va durer si longtemps, qu’elle laissera ses traces que personne ne pourra plus effacer. Désormais, elle fait partie de l’histoire et du quotidien de ce peuple.
Comme toutes les autres villes et villages de la Centrafrique, ma ville a été fortement touchée, ruinée et dévastée par cette guerre. Elle a perdu son image, ses valeurs, ses ambiances et même sa culture. Ses dignes fils et filles sont désormais divisés, éparpillés à travers le monde. Elle semble ne plus avoir d’âme car aujourd’hui, elle est aux mains de tiers, venus des régions voisines. Le lycée moderne, autrefois prestigieux, ne garde que quelques lames d’aluminium sur chaque toiture. Les rangées d’arbres qui délimitent les rues et dégagent des perspectives, les villas qui s’alignent orgueilleusement dans les quartiers situés en altitude, témoignent de cette époque où Bouar était un lieu de villégiature apprécié. Presque vides aujourd’hui, les quartiers populaires situés principalement dans les zones encaissées, connaissent une grande misère. Dans le quartier de l’évêché, la cathédrale Saint Joseph avec son toit en lamine de cuivre et ses vitraux de cristal qui filtrent la lumière, s’élève au-dessus des quartiers de Bouar. De l’autre côté, au quartier Haoussa, se trouve la mosquée centrale avec son minaret de plus de huit mètres de hauteur qui fait entendre la voix du muezzin à travers la ville lors des appels à la prière.
Entre galère, misère et chômage, la jeunesse est prise en otage. L’armée est le seul horizon professionnel accessible aux jeunes dans ce pays. Mais là aussi, on ne recrute pas ceux qui ont le courage et l’envie de servir mais plutôt ceux dont les noms renvoient à des villages et des ethnies « gouvernants ». Pour ceux qui détiennent le pouvoir, la jeunesse est le bouclier dont ils se servent pour se protéger eux et leurs familles. Mais je pense que je mérite aussi de faire des études, d’aller le plus loin possible. Comme leurs enfants qui n’ont jamais connu cette galère que nous vivions, j’aimerai aussi aller dans des grandes universités du monde car je n’ai jamais rêvé d’intégrer l’armée. Une armée familiale, politisée au service d’une seule famille, au lieu de protéger le peuple. Mais je vois tous mes rêves brisés, mes espoirs envolés. Je suis obligé de partir, d’aller loin, très loin de la ville que j’aime et à laquelle je dois beaucoup. J’irai ailleurs, dans un lieu où j’aurai peut-être la chance de réaliser mes rêves, où l’homme a plus de valeur et où son droit est respecté. Un lieu où la jeunesse est formée, éduquée et accompagnée en vue de donner de l’espoir au lendemain.

L’adieu
Un jour comme les autres, j’ai décidé de partager mon idée avec ma mère, ma seule confidente. Elle est la seule personne à qui je fais confiance, la seule personne qui prie pour que je sois plus heureux qu’elle. Celle qui ne veut que mon bien. Je ne pouvais partir de là sans avoir ses bénédictions. Alors qu’elle était assise devant sa porte et se brossait les dents avec son bâtonnet avant de faire l’ablution pour la prière surérogatoire qu’elle a l’habitude de faire tous les matins à 9 heures. Je m’assis tout juste à côté d’elle, sans rien dire jusqu’à ce qu’elle ait terminé.
Salamalek Ma’a ! dis-je.
Wa aleika salam ! Mon fils, pourquoi tu es si calme aujourd’hui ?
Ça va Ma’a. Je vais bien juste que j’ai une nouvelle à t’annoncer.
Mais vas-y mon fils ! C’est quoi ta nouvelle ? Tu as eu un boulot ?
Non Ma’a. Justement c’est à cause de tout ça que je veux partir d’ici. Il n’y a pas de travail pour nous les jeunes. J’en ai marre de ce pays.
Partir ? Pour aller où mon enfant ?
Ma’a, je dois partir de ce pays. Je dois aussi gagner ma vie comme tous les autres jeunes. Je ne vais pas finir ma vie à attendre la bourse que l’Etat ne donne jamais aux enfants des pauvres comme nous.
Mon fils, partout dans ce monde, tu ne vas que trouver ce que Dieu a prévu pour toi. Prends ton mal en patience et ton temps viendra.
Oui Ma’a, Dieu me donnera ce qu’Il a prévu pour moi là où je vais aller. Je veux juste ta bénédiction. Ma’a.
Tout ce que je veux, c’est ton bonheur mon enfant. Tu as ma bénédiction. Vas ! Et Dieu est avec toi.
Merci Ma’a ! Ne t’en fais pas. Je vais revenir un jour et je vais tout changer ici. Je vais casser ces vielles baraques. Je vais te construire des belles maisons. Je prendrai bien soin de toi.
Elle me regarda longtemps et murmura quelques prières en ‘’Bornou’’ que je ne comprenais pas mais qu’elle a l’habitude de dire lorsqu’elle veut formuler des vœux de bonheurs. Ensuite, elle posa ses deux mains sur ma tête et me dit : tu es un garçon, que Dieu te bénisse ! Et elle ajouta encore : « Hé Allah ! Protège cet enfant de tout mal, pendant son voyage jusqu’à son retour »
Ainsi, je suis sorti de chez elle et suis parti.

L’exil
Me voici arrivé au Cameroun depuis quelques mois, mon pays est toujours dans sa crise interminable. Désormais j’ai un nouveau statut ici, celui de ‘’refugié de guerre’’. Certes, j’ai fui la guerre, cette guerre que tout le monde connait, celle qui déchire mon pays depuis des années. Mais la vraie guerre elle est invisible. Celle qui reste encore dans le noir ; celle que le monde ne connait pas encore. La mauvaise gouvernance, le pillage, le chômage et la galère sont des armes très dangereuses qui font la guerre à la jeunesse dans mon pays.
Refugié au Cameroun, j’ai été logé pour la première fois dans une école. J’avais passé la nuit sur les bancs de l’école, avant d’être transféré le lendemain dans un camp de transit où se trouvaient des milliers de personnes. Nous faisions des rangs chaque matin pour aller aux toilettes, pour chercher de l’eau, pour recevoir le riz qu’on prépare chaque matin dans d’énormes fûts pour le petit déjeuner, même scenario pour le repas de midi. Les gens ont fui la mort chez eux, dans leurs pays pour venir mourir ici à petit feu. Nous dormions dehors sous les manguiers à ciel ouvert, à la merci des moustiques. Les gens mouraient, jours et nuits, de paludisme, de morsures de serpents, de froid, etc. Les conditions d’hygiène dans ce site sont chaotiques. Il y a seulement quelques toilettes pour des milliers de personnes. Les points d’eaux étaient rares et peu entretenus. Il n’existait que deux points d’eau pour des milliers de personnes.
Une foule de personnes est là chaque jour pour regarder ces gens qui dorment à la belle étoile, qui se mettent en rang pour toutes sortes de raisons. Un spectacle en somme pour les populations locales. Toutes ces choses étranges qu’ils n’ont jamais vues chez eux. Tout est bizarre chez nous apparemment. Notre niveau de vie, la façon dont on souffrait. Notre façon de manger qui semble être inhumaine. Ici je n’ai pas la même vie que j’avais à Bouar. Je n’ai pas d’amis, ni de famille. J’ai tout perdu, J’ai laissé ma ville, mes amis, ma liberté et ma dignité là-bas très loin, dans mon pays. Tout ça à cause de ceux qui ont kidnappé leur peuple, ceux qui ont transformé un pays en une propriété privée. Ils ont confisqué les richesses du peuple et ont créé un conflit d’intérêt pour expulser le peuple hors du pays. Je dois maintenant tout recommencer même si je suis seul. Je dois reconstruire ma vie même si l’intégration ne sera pas facile ici. Ma nouvelle vie vient de commencer. J’avais promis à ma mère de changer les choses et Je dois tenir ma promesse.
Je ne vais pas rester ici dans ce site attendre qu’on me donne à manger chaque matin comme des personnes invalides. A me bousculer dans le rang avec des « vielles mamans » et des « vieux papas » pour un maigre plat de riz. Ce n’est pas cette vie que j’espérais. Il me faut donc aller chercher du travail. Mais que sais-je faire ? Tout, sauf rien.
Au début, rien n’était facile. L’intégration a été si longue et difficile. Je voyais le mal partout. Pour moi, tout le monde était à l’origine de mon malheur. Dans la ville, des personnes comme moi ne sont pas acceptées facilement pour des boulots, même pour les tâches les plus insignifiantes. Rien n’est facile. Quand je marchais dans la rue, j’avais l’impression que tout le monde me regardait, j’avais l’impression d’être ridicule. J’avais honte de moi mais je savais que tout cela allait passer un jour. Lorsque je demandais aux gens de me trouver un petit travail, ils me regardaient bizarrement et me rejetaient. Je ne savais pas si je présentais un danger pour eux. Un jour, alors que je marchais dans un quartier à la recherche d’un travail, j’ai aperçu un chantier de construction où il y’avait beaucoup des manœuvres qui travaillaient. Je m’approchai d’un monsieur qui dirigeait les travaux pour demander s’il pouvait avoir un boulot pour moi.
Bonjour Monsieur ! lui dis-je.
Bonjour Jeune homme ! Cherches-tu quelqu’un ?
Non Monsieur ! Je suis un refugié et je cherche le travail. Pouvez-vous me trouver une bricole ici chez vous ?
Non ! Désolé, ici le travail demande trop d’énergie et d’efforts. Tu n’as pas un physique adapté.
Je peux essayer Monsieur, j’ai besoin de gagner un peu de sous seulement.
N’insistes pas jeune homme. La vérité est que je ne peux pas prendre un refugié ici.
Mais pourquoi donc ? Pourtant je pouvais vous aider, même pour une demi-journée.
Je ne veux pas des histoires ici, je n’ai pas de travail pour toi. Prends, voilà quelques pièces et va chercher le travail ailleurs.
Mais... Pourtant je voulais travailler pour cette même somme Monsieur, et vous me donnez ça gratuitement ?
Oui, prends et vas chercher le travail ailleurs.
Merci Monsieur !
Et là, je ne pouvais pas continuer à chercher, car je n’avais pas d’espoir ailleurs.
Mais le temps est passé et les choses ont changé positivement. Car à l'aide d'un ami, un fils du pays, j'ai un travai, ce que je rêvais avoir depuis chez moi. Désormais, je me sens chez moi ici. Je me suis complètement adapté. J’ai retrouvé ma vie, ma joie et mon bonheur. Même s’il m’arrive souvent de penser à ma ville natale, à ma famille et à mes amis. Mais tout cela, j’ai pu le laisser derrière moi, je me sens très bien ici dans ma nouvelle vie.
Ce sont là quelques fragments de mon histoire. La guerre m’a détruit. Elle a détruit ma vie et brisé temporairement mes rêves. Mais grâce à mon courage, à des personnes de bonne foi et pleines d’amour, je me suis relevé et ai continué mon combat. Nous avons besoin de la paix dans le monde, cette paix n’a aucun prix.