Toute histoire commence un jour, quelque part. Si vous ne décidez pas toujours de l'instant, du lieu, ou comment elle débute, vous pouvez réécrire le scénario pour obtenir le dénouement escompté. Il suffit alors d’écouter sa conscience et de réaliser à temps les actions nécessaires pour toucher votre cible. Au coucher du soleil si votre objectif n’a pas été atteint, vous pourrez regarder l’horizon en vous disant : j’ai fait de mon mieux !
Lorsque le moment d’embarquer à bord de cet avion en direction du continent africain arriva, Nono sentit ses jambes se vider de leur énergie et ses pulsations cardiaques augmenter par rapport à l’heure qui précédait. Le visage pâle, il leva les yeux vers le ciel pour implorer la divine bénédiction. Mais son seul interlocuteur n’était rien d’autre que le plafond de l’aéroport. Si Nono savait qu’il devait plus que jamais être confiant, c’est parce qu’il avait pris une décision incompréhensible. Inexplicable pour son père qui aurait préféré que son fils demeure en Europe. Qu'il lui envoie dès que possible de l’argent pour pigmenter ces jours de retraite qu’il passait assis sur le canapé devant le téléviseur. Inconcevable pour ses amis qui se demandaient pourquoi. Pourquoi un jeune homme qui a eu la chance de poursuivre ses études en Europe choisit volontairement de retourner s’installer dans ce continent sous-développé ? Une terre où le paludisme compte parmi les premières causes de décès, où les coupures d'électricité durent plusieurs jours en pleine capitale. Une société où votre appartenance tribale influence votre réussite. Face à toutes ces remarques qui étaient fondées d’ailleurs, Nono avait l’esprit en paix et le regard d’un brigand qui se prépare à commettre un délit. S’il était aussi confiant et déterminé, c’est parce qu’il avait déjà fait son choix. Dans une forêt où deux sentiers se présentaient à lui, il suivit le chemin le moins emprunté. La question n’était pas de savoir s’il prit la bonne décision ou pas. C’est celle qui correspondait le mieux à ses aspirations.
Combien d’Africains n’auraient pas souhaité vivre ou poursuivre leurs études en Europe ? Je ne demande pas combien l’auraient voulu parce que le nombre serait très élevé. C’est avec cette image merveilleuse pour ne pas dire parfaite de l’occident que Nono avait grandi. Qui ne désirerait pas en effet naître dans un monde où la vie vous est rendue facile ? Une société où le citoyen se rappelle qu’il n’a pas que des devoirs, où vous n’êtes pas obligé de vous déplacer pour faire vos achats. Des applications qui vous donnent les horaires du train, métro, tout en vous prévenant des éventuelles perturbations du trafic. Mieux encore, des hôpitaux où le personnel médical vous sauve d’abord la vie avant de s’occuper des formalités administratives et financières. Ces pays-là semblent en effet paradisiaques pour les populations d’une région particulière du monde.
Lorsqu’on lui proposa quelques années auparavant de poursuivre ses études en Europe, sa réponse était sans équivoque. Nono afficha un large sourire accompagné de pas de danse dont il était le seul à connaître l’origine. C’était un nouveau départ, une existence meilleure. Loin de la poussière des routes non bitumées du pays. À l'écart de ces espaces publics avec une pollution sonore quasi ininterrompue.
Les journées semblaient alors interminables, et Nono se surprenait à rêver de sa future vie. Il aurait une petite amie blanche, cheveux longs et corpulence moyenne de préférence. Main dans la main, ils iront flâner dans les rues du centre-ville. Le soir en rentrant, épuisée et assise près de lui dans une rame de métro, sa bien-aimée reposera sa tête sur son épaule. Ah ! Quel bonheur ! Se dit-il. Il sursauta de son lit parce qu’ayant des courses à effectuer. Quelques jours plus tard, tenant son billet d’avion entre les mains, il savait qu’une place lui était réservée dans un de ces appareils volant qui imite les oiseaux naturels. Le jour du départ arriva enfin. Toute la famille était réunie, ainsi que quelques oncles et tantes venus donner leur bénédiction à l’émigrant. Trois véhicules avaient été mobilisés pour transporter les siens. Aller à l’aéroport est un évènement que beaucoup de jeunes ne souhaitent pas manquer. Le fait d’accompagner les voyageurs semble porter bonheur à ceux qui aspirent à un séjour sous d’autres cieux.
Le trajet se déroula sans heurt. Les visages affichaient de beaux sourires qui masquaient en réalité la peine de la séparation. Lorsque le moment d’embarquer arriva, les figures paraissaient tout d’un coup moins illuminées. Les rires avaient diminué et les mots sortaient à peine. Nono embrassa chacune des personnes l’ayant honoré de leur présence. Il termina par son père qui lui offrit un billet de 1000 francs CFA en lui disant : fils, n’oublie pas d’où tu viens ! Nono brandit la main en guise d’au revoir au groupe et s’en alla.
Une heure s’était écoulée depuis l’atterrissage. Nono en possession de ses bagages attendait son oncle qui était informé de son arrivée. Son visage pâle ne laissait aucun doute sur ses émotions. Sa tête se tournait automatiquement vers l’entrée de l’aéroport lorsqu’une personne y pénétrait. Quelques minutes plus tard, son voisin de siège le reconnut.
- Hey Nono lui lança-t-il.
- Oui Raoul, répondit-il avec un sourire forcé.
Raoul : Pourquoi es-tu encore ici ?
Nono : En fait, mon oncle était censé être à l’aéroport à mon arrivée, mais je ne le vois nulle part. J’ai essayé de le joindre par téléphone sans succès.
Raoul : Ah, ça craint ! Mes potes et moi, nous louons un appartement. Tu peux venir avec nous si tu veux ! Demain, nous recontacterons ton oncle.
Nono : Ce n’est pas comme si je pouvais dire non ! Merci Raoul. Tu me sauves les fesses.
Il alla avec le groupe de jeunes.
Le jour suivant, son oncle ne fit aucun signe. Ils se rendirent à son domicile en matinée et dans la soirée sans le trouver. Le doigt sur la sonnette sans vouloir le retirer, Raoul s’exclama en disant : nous sommes dimanche où peut-il bien être ? Après avoir réessayé pendant deux jours sans succès, ils comprirent que ce silence n’était pas un hasard. Raoul et ses amis décidèrent d’épauler Nono le temps pour lui de se stabiliser.
Deux ans plus tard, le groupe vivait encore ensemble. La symbiose était réelle entre ces jeunes gens. Entre les parties de jeux vidéo et les barbecues improvisés avec les copains et les voisins, l’ambiance était constamment joyeuse dans l’appartement. Les seuls moments de tristesse étaient le blocus des examens et lorsque l’un d’eux se disputait avec sa chérie.
L’oncle de Nono contacta ses parents six mois après son arrivée. Il prétexta qu’il était très occupé et faisait face à des problèmes financiers.
Nono n’avait toujours pas de petite amie blanche, malgré toutes ses tentatives. Pis, il avait été courtisé quelques fois en boîte de nuit par de jeunes hommes.
Tout comme ses amis, Nono effectuait des jobs étudiant pour subvenir à ses besoins. Le plus difficile était de faire la plonge en soirée et se rendre en cours le lendemain matin. Il y allait juste pour enregistrer les cours avec son dictaphone pendant qu’il dormait au fond de la salle. Le week-end, il travaillait dans une usine de préparation de commandes. Il s’était adapté aux contraintes de sa nouvelle vie. Mais il y avait des réalités qui restaient sans explication raisonnable. Comme cette fois où il entra dans un wagon de train et occupa l’une des places libres. La jeune fille en face de lui se leva et changea non pas de siège, mais de voiture. Surpris d’être aussi victime de cet acte, il comprit ce que ressentirent ses amis ayant vécu la même situation dans les transports en commun. Mais ce n’était pas suffisant pour lui briser le moral. Plus le temps passait, plus il découvrait les revers de cette société qu’il idéalisait. Difficile de saluer son prochain dans le bus sans être vu comme une personne bizarre. Des voisins qui se parlent à peine, mais qui s’épient constamment. Des enfants presque toujours insatisfaits qui crient sur leurs parents impuissants et tristes face à tous les sacrifices consentis. Certains faits étaient inconcevables pour lui.
En effet, comment était-il possible de dire à son père : Papa tu m’emmerdes, sans recevoir une fessée ? Comment certains responsables de l’assistance sociale pouvaient-ils en Europe détourner les fonds à des fins personnelles ? Cela semblait être une exclusivité des dirigeants d’un continent que nous connaissons tous. Le summum fut atteint lors d’une conversation avec ses camarades de classe. L’un lui demanda s’il existait des universités dans son pays d’origine et une autre lui avoua qu’elle imaginait l’Afrique comme un seul État.
Heureusement, Nono ne côtoyait pas que des gens fermés d’esprit. Il y avait aussi ceux qui aimaient l’aventure, qui l’aidaient à s’évader loin de la routine quotidienne. Par exemple Zoé Dubois, cette jeune collégienne qu’il rencontra lors d’une réunion des volontaires d’une association de préservation de l’environnement. Malgré la différence d’âge de onze ans qui les séparait, les deux amis ont su trouver un équilibre. Zoé étudiait la photographie et avait besoin de modèle pour s’exercer. Nono aimait être pris en photo, cela lui procurait la sensation d’être une personne importante. À chacune de leurs sorties, ils découvraient de nouveaux sites. Même lorsque la rencontre avait lieu dans un café ils ne s’ennuyaient pas. Bientôt, ils s’engagèrent pour s’opposer à la destruction totale d’une forêt par l’exploitation de la mine de lignite qui s’y trouvait. Tout comme les autres volontaires, nos deux amis chantaient à haute voix dans le bus. Il était vital d’être confiant face à ce qui les attendait. Les visages étaient illuminés et chacun nourrissait l’espoir de vivre une expérience inoubliable. Ils ne furent pas déçus !
Arrivés au lieu de rassemblement, ils rencontrèrent des milliers de volontaires venus des différents pays d’Europe. Les repas se prenaient en commun et les tâches étaient effectuées de manière bénévole. Le réveil fut difficile le matin de la marche pacifique de protestation vers la mine. L’ambiance morose n’était pas seulement due aux basses températures d’hiver. La peur de l’inconnu avait imposé le silence. Chacun rangeait son équipement de couchage en respectant la principale consigne de sécurité : laisser tout document pouvant vous identifier au campement. Chacun rejoignit son groupe au sein des 6000 volontaires présents. Ils formèrent une chaîne humaine qui marchait en direction de la mine de charbon sous le contrôle de la police. Lorsqu’ils se rassemblèrent tous, tard dans la soirée, chacun raconta son expérience. Certains avaient réussi à pénétrer dans la carrière et donc contribué à l'interruption de son fonctionnement. D’autres s’étaient fait arrêter entre les différentes barrières de sécurité créées à cet effet. Les moins courageux n’avaient pas osé affronter les policiers à la carrure imposante. Restés en retrait, ils prenaient des photos et chantaient pour stimuler les plus déterminés. Finalement, le groupe était satisfait que personne n’ait eu de souci majeur, outre les jets de spray au poivre dans les yeux et les coups de sabots des chevaux effrayés des forces de l'ordre. Lorsqu'une nouvelle campagne sur la conversion au véganisme fut lancée, Nono se désolidarisa de l'équipe. Il n’était pas question d’arrêter de manger de la viande.
Nono était arrivé à la dernière année de ses études de médecine. Si la stabilité professionnelle était assurée, les idées se bousculaient dans sa tête. Fallait-il s’installer définitivement en Europe ou retourner en Afrique ? Les expériences vécues lui ont enseigné que si les autres ont atteint ce niveau de développement technologique et cette qualité de vie, c’est aussi grâce au nationalisme de leurs ressortissants. En effet, si tout le monde s’en va, qui s'occupera de la relève ? La nécessité de résider outre-mer avait disparu de ses pensées. Il fallait valoriser ses connaissances, mettre à profit ses acquis. Quoi de mieux que de travailler dans un environnement qui nous est familier ?
Sa fiancée avait décidé de le suivre dans cette nouvelle aventure. C’était une dame aux cheveux bouclés et au regard apaisant. Elle était née de l’union entre deux continents. Ah oui ! Nono n’a pas eu de petite amie blanche. Vous souvenez-vous ? Mais il a trouvé une femme qui l’aidait à aller de l’avant.
De retour chez lui, le Docteur Nono Songwa exerça dans un hôpital de la place. Il ouvrait quelques années plus tard un centre de santé en partenariat avec d’anciens collègues. Quinze ans après son arrivée, des conflits post-électoraux éclatèrent dans le pays. Les violents affrontements n’épargnèrent pas la capitale où il s'était installé. Les abonnés du centre de santé étaient de plus en plus nombreux et bientôt les locaux furent bondés de patients. L’expertise du personnel médical était à la hauteur des diverses mutilations et blessures des "heureux" rescapés. Les gens entraient en pleurs, mais repartaient en bénissant le Dr Songwa et l’ensemble de son équipe. Les populations recevaient des soins gratuitement. Une fois rétablis, ceux qui le désiraient pouvaient aider les infirmiers à travers diverses missions. Difficile de rester insensible à cette générosité, surtout pour les bénéficiaires.
Peu à peu, la nouvelle se répandit dans le pays et même à l’international. Un matin, le Dr Songwa accueillit une journaliste d’un média étranger venu l’interviewer. Entre autres questions, elle lui posa les suivantes.
Journaliste : Docteur Songwa, les patients sortent de votre centre de santé avec le sourire. Est-ce que vous-même, vous êtes un homme heureux ?
Dr Songwa : Oui Madame, je suis un homme heureux. En plus, je procure du bonheur à ces familles en faisant quelque chose que j’aime, ce à quoi j’ai consacré la suite de ma vie.
Journaliste : Si vous étiez resté en Europe, vous auriez eu une existence meilleure. Au lieu de cela, vous vous retrouvez à faire du bénévolat dans un pays où vous risquez votre vie chaque jour. Est-ce parce que vous avez beaucoup d’argent ?
Le Dr Songwa esquissa un petit sourire et dit : tout dépend du référent ! Il est évident que je suis plus nanti que certains. En même temps, je reste un homme miséreux devant d’autres. Si vous me permettez je conclurai en utilisant les paroles d’un philosophe africain. Elles se résument en ces mots : « La véritable pauvreté n’est pas la pauvreté de l’avoir, mais la pauvreté de l’être ».
Plus tard dans sa vie, le Dr Nono Songwa écrivit un livre pour raconter son histoire, mais surtout partager ses expériences avec ses lecteurs. Dans son introduction, il mentionna Robert Frost dont le poème intitulé : « La route que je n’ai pas prise » l’avait beaucoup influencé. On pouvait aussi lire ces mots : « Le paradis n’était pas fait pour moi. Je ne pouvais pas me reposer alors qu’il y avait beaucoup de travail, mais si peu d’ouvriers ».
Lorsque le moment d’embarquer à bord de cet avion en direction du continent africain arriva, Nono sentit ses jambes se vider de leur énergie et ses pulsations cardiaques augmenter par rapport à l’heure qui précédait. Le visage pâle, il leva les yeux vers le ciel pour implorer la divine bénédiction. Mais son seul interlocuteur n’était rien d’autre que le plafond de l’aéroport. Si Nono savait qu’il devait plus que jamais être confiant, c’est parce qu’il avait pris une décision incompréhensible. Inexplicable pour son père qui aurait préféré que son fils demeure en Europe. Qu'il lui envoie dès que possible de l’argent pour pigmenter ces jours de retraite qu’il passait assis sur le canapé devant le téléviseur. Inconcevable pour ses amis qui se demandaient pourquoi. Pourquoi un jeune homme qui a eu la chance de poursuivre ses études en Europe choisit volontairement de retourner s’installer dans ce continent sous-développé ? Une terre où le paludisme compte parmi les premières causes de décès, où les coupures d'électricité durent plusieurs jours en pleine capitale. Une société où votre appartenance tribale influence votre réussite. Face à toutes ces remarques qui étaient fondées d’ailleurs, Nono avait l’esprit en paix et le regard d’un brigand qui se prépare à commettre un délit. S’il était aussi confiant et déterminé, c’est parce qu’il avait déjà fait son choix. Dans une forêt où deux sentiers se présentaient à lui, il suivit le chemin le moins emprunté. La question n’était pas de savoir s’il prit la bonne décision ou pas. C’est celle qui correspondait le mieux à ses aspirations.
Combien d’Africains n’auraient pas souhaité vivre ou poursuivre leurs études en Europe ? Je ne demande pas combien l’auraient voulu parce que le nombre serait très élevé. C’est avec cette image merveilleuse pour ne pas dire parfaite de l’occident que Nono avait grandi. Qui ne désirerait pas en effet naître dans un monde où la vie vous est rendue facile ? Une société où le citoyen se rappelle qu’il n’a pas que des devoirs, où vous n’êtes pas obligé de vous déplacer pour faire vos achats. Des applications qui vous donnent les horaires du train, métro, tout en vous prévenant des éventuelles perturbations du trafic. Mieux encore, des hôpitaux où le personnel médical vous sauve d’abord la vie avant de s’occuper des formalités administratives et financières. Ces pays-là semblent en effet paradisiaques pour les populations d’une région particulière du monde.
Lorsqu’on lui proposa quelques années auparavant de poursuivre ses études en Europe, sa réponse était sans équivoque. Nono afficha un large sourire accompagné de pas de danse dont il était le seul à connaître l’origine. C’était un nouveau départ, une existence meilleure. Loin de la poussière des routes non bitumées du pays. À l'écart de ces espaces publics avec une pollution sonore quasi ininterrompue.
Les journées semblaient alors interminables, et Nono se surprenait à rêver de sa future vie. Il aurait une petite amie blanche, cheveux longs et corpulence moyenne de préférence. Main dans la main, ils iront flâner dans les rues du centre-ville. Le soir en rentrant, épuisée et assise près de lui dans une rame de métro, sa bien-aimée reposera sa tête sur son épaule. Ah ! Quel bonheur ! Se dit-il. Il sursauta de son lit parce qu’ayant des courses à effectuer. Quelques jours plus tard, tenant son billet d’avion entre les mains, il savait qu’une place lui était réservée dans un de ces appareils volant qui imite les oiseaux naturels. Le jour du départ arriva enfin. Toute la famille était réunie, ainsi que quelques oncles et tantes venus donner leur bénédiction à l’émigrant. Trois véhicules avaient été mobilisés pour transporter les siens. Aller à l’aéroport est un évènement que beaucoup de jeunes ne souhaitent pas manquer. Le fait d’accompagner les voyageurs semble porter bonheur à ceux qui aspirent à un séjour sous d’autres cieux.
Le trajet se déroula sans heurt. Les visages affichaient de beaux sourires qui masquaient en réalité la peine de la séparation. Lorsque le moment d’embarquer arriva, les figures paraissaient tout d’un coup moins illuminées. Les rires avaient diminué et les mots sortaient à peine. Nono embrassa chacune des personnes l’ayant honoré de leur présence. Il termina par son père qui lui offrit un billet de 1000 francs CFA en lui disant : fils, n’oublie pas d’où tu viens ! Nono brandit la main en guise d’au revoir au groupe et s’en alla.
Une heure s’était écoulée depuis l’atterrissage. Nono en possession de ses bagages attendait son oncle qui était informé de son arrivée. Son visage pâle ne laissait aucun doute sur ses émotions. Sa tête se tournait automatiquement vers l’entrée de l’aéroport lorsqu’une personne y pénétrait. Quelques minutes plus tard, son voisin de siège le reconnut.
- Hey Nono lui lança-t-il.
- Oui Raoul, répondit-il avec un sourire forcé.
Raoul : Pourquoi es-tu encore ici ?
Nono : En fait, mon oncle était censé être à l’aéroport à mon arrivée, mais je ne le vois nulle part. J’ai essayé de le joindre par téléphone sans succès.
Raoul : Ah, ça craint ! Mes potes et moi, nous louons un appartement. Tu peux venir avec nous si tu veux ! Demain, nous recontacterons ton oncle.
Nono : Ce n’est pas comme si je pouvais dire non ! Merci Raoul. Tu me sauves les fesses.
Il alla avec le groupe de jeunes.
Le jour suivant, son oncle ne fit aucun signe. Ils se rendirent à son domicile en matinée et dans la soirée sans le trouver. Le doigt sur la sonnette sans vouloir le retirer, Raoul s’exclama en disant : nous sommes dimanche où peut-il bien être ? Après avoir réessayé pendant deux jours sans succès, ils comprirent que ce silence n’était pas un hasard. Raoul et ses amis décidèrent d’épauler Nono le temps pour lui de se stabiliser.
Deux ans plus tard, le groupe vivait encore ensemble. La symbiose était réelle entre ces jeunes gens. Entre les parties de jeux vidéo et les barbecues improvisés avec les copains et les voisins, l’ambiance était constamment joyeuse dans l’appartement. Les seuls moments de tristesse étaient le blocus des examens et lorsque l’un d’eux se disputait avec sa chérie.
L’oncle de Nono contacta ses parents six mois après son arrivée. Il prétexta qu’il était très occupé et faisait face à des problèmes financiers.
Nono n’avait toujours pas de petite amie blanche, malgré toutes ses tentatives. Pis, il avait été courtisé quelques fois en boîte de nuit par de jeunes hommes.
Tout comme ses amis, Nono effectuait des jobs étudiant pour subvenir à ses besoins. Le plus difficile était de faire la plonge en soirée et se rendre en cours le lendemain matin. Il y allait juste pour enregistrer les cours avec son dictaphone pendant qu’il dormait au fond de la salle. Le week-end, il travaillait dans une usine de préparation de commandes. Il s’était adapté aux contraintes de sa nouvelle vie. Mais il y avait des réalités qui restaient sans explication raisonnable. Comme cette fois où il entra dans un wagon de train et occupa l’une des places libres. La jeune fille en face de lui se leva et changea non pas de siège, mais de voiture. Surpris d’être aussi victime de cet acte, il comprit ce que ressentirent ses amis ayant vécu la même situation dans les transports en commun. Mais ce n’était pas suffisant pour lui briser le moral. Plus le temps passait, plus il découvrait les revers de cette société qu’il idéalisait. Difficile de saluer son prochain dans le bus sans être vu comme une personne bizarre. Des voisins qui se parlent à peine, mais qui s’épient constamment. Des enfants presque toujours insatisfaits qui crient sur leurs parents impuissants et tristes face à tous les sacrifices consentis. Certains faits étaient inconcevables pour lui.
En effet, comment était-il possible de dire à son père : Papa tu m’emmerdes, sans recevoir une fessée ? Comment certains responsables de l’assistance sociale pouvaient-ils en Europe détourner les fonds à des fins personnelles ? Cela semblait être une exclusivité des dirigeants d’un continent que nous connaissons tous. Le summum fut atteint lors d’une conversation avec ses camarades de classe. L’un lui demanda s’il existait des universités dans son pays d’origine et une autre lui avoua qu’elle imaginait l’Afrique comme un seul État.
Heureusement, Nono ne côtoyait pas que des gens fermés d’esprit. Il y avait aussi ceux qui aimaient l’aventure, qui l’aidaient à s’évader loin de la routine quotidienne. Par exemple Zoé Dubois, cette jeune collégienne qu’il rencontra lors d’une réunion des volontaires d’une association de préservation de l’environnement. Malgré la différence d’âge de onze ans qui les séparait, les deux amis ont su trouver un équilibre. Zoé étudiait la photographie et avait besoin de modèle pour s’exercer. Nono aimait être pris en photo, cela lui procurait la sensation d’être une personne importante. À chacune de leurs sorties, ils découvraient de nouveaux sites. Même lorsque la rencontre avait lieu dans un café ils ne s’ennuyaient pas. Bientôt, ils s’engagèrent pour s’opposer à la destruction totale d’une forêt par l’exploitation de la mine de lignite qui s’y trouvait. Tout comme les autres volontaires, nos deux amis chantaient à haute voix dans le bus. Il était vital d’être confiant face à ce qui les attendait. Les visages étaient illuminés et chacun nourrissait l’espoir de vivre une expérience inoubliable. Ils ne furent pas déçus !
Arrivés au lieu de rassemblement, ils rencontrèrent des milliers de volontaires venus des différents pays d’Europe. Les repas se prenaient en commun et les tâches étaient effectuées de manière bénévole. Le réveil fut difficile le matin de la marche pacifique de protestation vers la mine. L’ambiance morose n’était pas seulement due aux basses températures d’hiver. La peur de l’inconnu avait imposé le silence. Chacun rangeait son équipement de couchage en respectant la principale consigne de sécurité : laisser tout document pouvant vous identifier au campement. Chacun rejoignit son groupe au sein des 6000 volontaires présents. Ils formèrent une chaîne humaine qui marchait en direction de la mine de charbon sous le contrôle de la police. Lorsqu’ils se rassemblèrent tous, tard dans la soirée, chacun raconta son expérience. Certains avaient réussi à pénétrer dans la carrière et donc contribué à l'interruption de son fonctionnement. D’autres s’étaient fait arrêter entre les différentes barrières de sécurité créées à cet effet. Les moins courageux n’avaient pas osé affronter les policiers à la carrure imposante. Restés en retrait, ils prenaient des photos et chantaient pour stimuler les plus déterminés. Finalement, le groupe était satisfait que personne n’ait eu de souci majeur, outre les jets de spray au poivre dans les yeux et les coups de sabots des chevaux effrayés des forces de l'ordre. Lorsqu'une nouvelle campagne sur la conversion au véganisme fut lancée, Nono se désolidarisa de l'équipe. Il n’était pas question d’arrêter de manger de la viande.
Nono était arrivé à la dernière année de ses études de médecine. Si la stabilité professionnelle était assurée, les idées se bousculaient dans sa tête. Fallait-il s’installer définitivement en Europe ou retourner en Afrique ? Les expériences vécues lui ont enseigné que si les autres ont atteint ce niveau de développement technologique et cette qualité de vie, c’est aussi grâce au nationalisme de leurs ressortissants. En effet, si tout le monde s’en va, qui s'occupera de la relève ? La nécessité de résider outre-mer avait disparu de ses pensées. Il fallait valoriser ses connaissances, mettre à profit ses acquis. Quoi de mieux que de travailler dans un environnement qui nous est familier ?
Sa fiancée avait décidé de le suivre dans cette nouvelle aventure. C’était une dame aux cheveux bouclés et au regard apaisant. Elle était née de l’union entre deux continents. Ah oui ! Nono n’a pas eu de petite amie blanche. Vous souvenez-vous ? Mais il a trouvé une femme qui l’aidait à aller de l’avant.
De retour chez lui, le Docteur Nono Songwa exerça dans un hôpital de la place. Il ouvrait quelques années plus tard un centre de santé en partenariat avec d’anciens collègues. Quinze ans après son arrivée, des conflits post-électoraux éclatèrent dans le pays. Les violents affrontements n’épargnèrent pas la capitale où il s'était installé. Les abonnés du centre de santé étaient de plus en plus nombreux et bientôt les locaux furent bondés de patients. L’expertise du personnel médical était à la hauteur des diverses mutilations et blessures des "heureux" rescapés. Les gens entraient en pleurs, mais repartaient en bénissant le Dr Songwa et l’ensemble de son équipe. Les populations recevaient des soins gratuitement. Une fois rétablis, ceux qui le désiraient pouvaient aider les infirmiers à travers diverses missions. Difficile de rester insensible à cette générosité, surtout pour les bénéficiaires.
Peu à peu, la nouvelle se répandit dans le pays et même à l’international. Un matin, le Dr Songwa accueillit une journaliste d’un média étranger venu l’interviewer. Entre autres questions, elle lui posa les suivantes.
Journaliste : Docteur Songwa, les patients sortent de votre centre de santé avec le sourire. Est-ce que vous-même, vous êtes un homme heureux ?
Dr Songwa : Oui Madame, je suis un homme heureux. En plus, je procure du bonheur à ces familles en faisant quelque chose que j’aime, ce à quoi j’ai consacré la suite de ma vie.
Journaliste : Si vous étiez resté en Europe, vous auriez eu une existence meilleure. Au lieu de cela, vous vous retrouvez à faire du bénévolat dans un pays où vous risquez votre vie chaque jour. Est-ce parce que vous avez beaucoup d’argent ?
Le Dr Songwa esquissa un petit sourire et dit : tout dépend du référent ! Il est évident que je suis plus nanti que certains. En même temps, je reste un homme miséreux devant d’autres. Si vous me permettez je conclurai en utilisant les paroles d’un philosophe africain. Elles se résument en ces mots : « La véritable pauvreté n’est pas la pauvreté de l’avoir, mais la pauvreté de l’être ».
Plus tard dans sa vie, le Dr Nono Songwa écrivit un livre pour raconter son histoire, mais surtout partager ses expériences avec ses lecteurs. Dans son introduction, il mentionna Robert Frost dont le poème intitulé : « La route que je n’ai pas prise » l’avait beaucoup influencé. On pouvait aussi lire ces mots : « Le paradis n’était pas fait pour moi. Je ne pouvais pas me reposer alors qu’il y avait beaucoup de travail, mais si peu d’ouvriers ».