Les yeux dans les yeux.

Les yeux dans les yeux et bien décidée à en sortir vainqueur à défaut d’être championne toutes compétitions, je fixe mon adversaire. Elle est pourtant jolie ma feuille de paie mais elle est moins rembourrée que moi. Je dois passer sur la balance pour ne pas dépasser le poids limite de ma catégorie, et on dirait qu’elle aussi. Chacune de son côté donc, nous faisons régime maigre.
Bien que j’aie appris sa langue, nous ne parlons pas tout à fait le même langage au quotidien. Commençons par rester debout. Nous nous saluons comme de rigueur en penchant le buste en avant mais gardant chacune dans l’idée qu’elle va mettre l’autre à terre. Je suis déjà sur les genoux à la moitié du mois. À présent, j’empoigne ma rivale par le col et elle m’imite. Montrant peu d’originalité, nous nous colletons de toute manière à chaque fois. Un petit pas chassé sur le côté et nous valsons quelques instants. C’est le temps requis pour se jauger.
Je tente un ipon-seoi-nage d’entrée pour en finir au plus vite. « Toujours aussi peu diplomate, m’a fait remarquer ma collègue l’autre jour, on n’attaque pas une demande d’augmentation de front avec son patron ». Bien entendu, j’ai échoué. Je ne tenterais même pas un kata-guruma dans le cas présent car ma concurrente semble bien campée sur ses jambes. Il faut dire qu’elle a du répondant, je la sens plus habile que moi débutante.
La combattante que l’on m’a assignée est un chouïa plus grande que moi. Je vais essayer de la déséquilibrer. Un ashi-guruma fera l’affaire. Pas de chance, elle reste sur ses positions et c’est moi qui m’étant avancée, m’affale sur ma ligne d’imposition trop élevée à mon goût. Pour le coup, je ne peux envisager qu’une technique de sacrifice sur le dos et profite de ma chute pour faire s’envoler mes soucis par-dessus la tête avec un tomoe-nage réussi. Nous voilà donc toutes les deux sur le tatami mais pas à plat. L’arbitre lève la main pour signifier le point et nous nous nous relevons. La secrétaire se retire.
Nous rajustons nos ceintures blanches assorties à notre tenue de sport. Car sport il y a. Je n’ai choisi ni la jonglerie ni l’équilibrisme mais un sport de combat non violent. Le judo, littéralement « voie de la souplesse » n’est pas un sport d’attaque mais de défense et c’est ainsi que je fais face à mes factures. Mon contradicteur n’a pas le même débat intérieur, semble-t-il, et ruse en me laissant croire à un moratoire. Il s’incline vers l’arrière afin de mieux m’attirer à lui. Le yoko-otoshi est parfait, je suis par terre. La jeune judokate n’a plus qu’à sortir ses techniques d’immobilisation pour gagner. Un kuzure-geza-gatame me laisse le visage dégagé pour un nouveau dialogue éventuel. Il y a pire ! Il n’y a eu ni strangulation, ni clés de bras, je peux me relever avec un semblant de dignité. Ouf. Si je ne suis pas vainqueur cette fois, ce sera pour la prochaine. J’ai encore de la ressource.