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Histoires Jeunesse - 11-14 Ans (Cycle 4)
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Sur la plage, sous un cocotier est assis Mister Rainbow. Il regarde la mer au loin. Un enfant s'approche de lui.
— Bonjour, je m'appelle Quentin et je voudrais vous poser une question importante.
— Bonjour Quentin, répond calmement Mister Rainbow. On ne se connaît pas... Tu sembles être un garçon décidé, ajoute le vieux métis en se grattant sa barbe blanche.
— Je peux ?
— Je veux bien entendre ta question importante.
Le jeune garçon avale sa salive, tandis que le vieil homme porte son regard au loin, tout en l'écoutant.
— Vous pouvez me raconter l'histoire des bananes bleues, s'il vous plaît ?
— Mais ? Comment sais-tu ?...
— On m'a dit que le bananier bleu vous appartenait.
— C'est exact, concède le vieil homme.
Il laisse passer quelques secondes avant de poursuivre.
— Pourquoi te raconterais-je cette histoire ?
— Parce que je vous le demande poliment.
Le vieil homme sourit doucement.
— Je veux bien te raconter le début de l'histoire, parce que tu m'es sympathique et que dans tes yeux je lis du respect. Et pour un vieux monsieur comme moi, c'est quelque chose qui compte.
Quentin s'assied en tailleur, prêt à écouter. Mister Rainbow prend un temps de respiration...
— Eh bien voilà... commence le barbu à la peau tannée par le temps. La nature nous fait parfois de drôles de surprises en créant des exceptions. J'ai entendu parler d'un chat à deux visages, d'une gazelle à une seule corne, d'un chien sans queue, d'un éléphant privé de ses défenses, d'un lapin géant, de noix de coco qui ne se détachaient jamais de leur arbre. C'est très rare, mais ça peut arriver. Dans ma famille par exemple, nous sommes sept enfants, tous noirs comme moi, sauf un de mes frères qui est albinos.
— Qu'est-ce que ça veut dire ?
— Il a la peau très blanche, les cheveux très blonds et les yeux presque rouges. C'est la nature qui a décidé de créer une exception. Pour les arbres, c'est pareil, il existe également des bizarreries.
— Le bananier bleu en est une ?
— C'est tout à fait ça. Il y a longtemps, j'ai eu la chance d'hériter d'une maison avec un grand terrain. Sur celui-ci j'ai planté cent bananiers pour devenir producteur de bananes. Sur les cent, seul le dernier que j'ai planté a donné des bananes bleues.
— Vous n'avez rien fait pour ça ?
— Non. C'est la nature qui a décidé.
— Ah !
Quentin se gratte la tête.
— Ça a dû faire des envieux ?
— Exactement. J'ai vendu ces bananes plus de dix fois le prix d'une banane jaune, alors qu'il n'y avait aucune différence de goût.
— Mais tout le monde en voulait !
— C'est bien cela ! Les gens les plus riches se les arrachaient parce que disposer des bananes bleues dans sa corbeille de fruits était ce qui se faisait de plus chic et de plus original. Voilà donc l'histoire des bananes bleues. Cela répond à ta question ?
Quentin ouvre grand ses yeux et ose :
— Mais vous n'allez pas en rester là ! Je veux tout savoir ! Il paraît qu'il n'y en a plus !
— Tu es bien informé. Mais je te trouve très curieux. Je dois partir et si tu veux la suite de l'histoire, je te donne rendez-vous demain à la même heure et au même endroit.
Mister Rainbow se lève doucement, met son chapeau de paille qu'il tenait dans la main et part tranquillement en longeant la plage. Quentin le suit des yeux jusqu'à ce qu'il ne le voit plus. En se grattant sa dense tignasse blonde, il réalise qu'il a du sable sur le cuir chevelu. Il n'aime pas ça.
Le lendemain à la même heure, Quentin est excité à l'idée de retrouver le vieil homme parce qu'il veut entendre la suite de l'histoire. Au loin, le vieil homme marche calmement, d'un pas chaloupé, entre les cocotiers.
— Bonjour Monsieur.
Celui-ci ne rend pas le bonjour verbalement et se contente de saluer Quentin d'un regard dans lequel se lit beaucoup de générosité et d'intérêt pour son interlocuteur. Il s'assied lentement, comme si ses vieilles jambes lui faisaient un peu mal.
Sans même attendre les questions de Quentin, il poursuit le récit de la veille.
— J'ai profité durant quelques années de ce précieux cadeau que la nature m'avait apporté et avec lequel j'ai gagné beaucoup d'argent. Mais j'ai malheureusement dû subir les affronts de la jalousie...
— Comment ça ?
— Les gens sautaient par-dessus ma clôture pour dérober les bananes bleues. J'ai dû prendre un chien de garde et mettre un système de surveillance.
— Aïe !
— Aucun autre bananier ne donnait des bananes bleues sur toute l'île. Je possédais le seul arbre qui en produisait.
— Ouaouh !
— Une différence comme celle-là a suscité bien des convoitises. Une année, on a même donné des bonbons empoisonnés à mon chien de garde pour qu'il s'endorme et on m'a volé ma production.
— Ce n'étaient que des bananes !
— Oui, mais elles étaient uniques !
— Et ensuite ?
— J'ai encore renforcé la surveillance de l'arbre en mettant une alarme. On a alors attaqué sur une route un de mes camions qui livrait les précieuses bananes bleues.
— Elles avaient pourtant toujours le même goût que les autres ?
— Oui.
Mister Rainbow se lève alors et dit à Quentin :
— Si tu veux la suite de l'histoire, il faut que tu réfléchisses aux différentes possibilités qui s'offraient à moi pour faire face à cette situation de plus en plus difficile à supporter. À demain.
Comme la veille, il se lève calmement, sans un mot. Quentin se gratte à nouveau la tignasse en le regardant partir. Il a toujours du sable...
Vingt-quatre heures plus tard, Mister Rainbow arrive avec un peu de retard. Il est de toute évidence ravi de retrouver le garçon qui s'intéresse à son histoire de bananier bleu.
— Alors, tu as réfléchi ? demande-t-il une fois assis.
— Oui, j'ai bien réfléchi : vous deviez garder ce bananier bleu pour continuer à gagner de l'argent, alors vous l'avez déterré et déplacé.
— J'y ai pensé, mais j'ai pour principe de ne pas contrarier la nature.
— Vous l'avez arraché ?
— Non, ça m'aurait fait trop mal au cœur.
— Vous jetiez sa production ?
— Non.
— Vous avez arrêté de la vendre et vous êtes le seul à en manger ?
— J'y ai pensé, mais cela n'aurait pas stoppé les vols sur l'arbre.
— Alors je ne vois pas...
Le vieil homme marque un temps et fait un sourire au jeune garçon.
— C'est pourtant simple... J'ai conservé le bananier, mais je coupe les bananes quand elles ne sont que des embryons sur les branches. Ainsi, il n'y a plus rien à voler. Les gens ont déjà commencé à les oublier. Et moi je suis libre de faire ce que je veux. Je pourrais, si je le souhaite un jour, en produire à nouveau. Pour l'instant, c'est mieux ainsi.
— Mais, vous vous privez du bénéfice des ventes ? Vous m'avez dit que vous en tiriez un bien meilleur prix que des bananes normales ?
— J'ai bien réfléchi. À mon âge, je préfère la tranquillité à l'enrichissement.
Quentin fronce les sourcils. Cette réponse l'interpelle.
Mister Rainbow se lève lentement et regarde le garçon en lui précisant qu'il avait été ravi de le rencontrer et touché par l'intérêt qu'il lui portait.
Quentin le salue et le laisse partir.
Tandis que Mister Rainbow s'éloigne en suivant la plage de sable blanc, Quentin se demande s'il n'aimerait pas, plus tard, posséder une bananeraie... Il se gratte les cheveux et se glisse tranquillement dans l'eau transparente afin de se tremper la tête et essayer de faire enfin partir le sable.
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