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Histoire d'art
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Les archéologues de l’espoir
Diane Marnier <br><i>Conférencière à la Réunion des musées nationaux – Grand Palais</i>
2032. Cela fait dix ans que la Russie a attaqué l'Ukraine. Depuis, il y a eu des dizaines de milliers de morts, des millions de déplacés et toutes les villes de l'est du pays ont été détruites. Semenovytch s'est engagé dans l'armée dès les premières frappes russes. Il n'avait jamais touché une arme de sa vie. Il est bibliothécaire. Son arme à lui, ce sont les livres. Mais il était hors de question que son peuple perde sa liberté. Alors, il a combattu.
Maintenant, la guerre est finie. Tout est à reconstruire. Dans sa ville de Popasna, dans le Donbass, Semenovytch marche lentement. Il prend le temps de toucher les gravats, de regarder chaque ruine, d'écouter chaque souffle d'air qui siffle dans les fenêtres brisées. On l'a surnommé l'archéologue de l'espoir car il s'est lancé dans une incroyable aventure. Creuser, déterrer, retrouver les souvenirs de celles et ceux qui vivaient à Popasna avant la guerre.
Aujourd'hui, Semenovytch arpente le secteur de l'école. Rien. Il ne reste absolument rien de l'école n°1. Celle où il avait appris à lire. Celle qui dès 2014 avait dû fermer ses portes car des attaques russes l'avaient déjà trop abîmée. Mais elle avait ressuscité en 2021. Les cris d'enfants lui avaient redonné vie. Un an. Cela avait duré un an seulement avant que de nouveau le silence se fasse entre les murs de l'école. Semenovytch sent couler une larme brûlante sur sa joue glacée. Il fait beau mais le mois de janvier apporte toujours des températures négatives. Il s'accroupit au-dessus d'une pierre. Il la retourne. Elle est d'un rose lumineux, plein d'espoir. En quelques secondes, l'image lui revient à l'esprit. Un artiste français était venu un peu avant la guerre. Il s'appelait Seth. Il avait peint trois fresques sur les murs de l'école avec les enfants. Celle du petit garçon qui a escaladé une montagne de livres pour pouvoir se sauver dans la liberté de la connaissance était sa préférée. Le petit garçon y passait la tête dans une cible pleine de couleurs qui symbolisait le savoir.
Cette fresque est désormais en morceaux. Millions de petites pépites de pierre explosées par les bombes.
Alors que l'abattement le saisit, Semenovytch sent une main rugueuse se poser sur la sienne. C'est Olena. Elle avait soixante ans au début de la guerre. Il l'a toujours connue. Elle n'est jamais partie. Elle ramasse elle aussi un morceau de pierre colorée. Elle l'assemble à celui du bibliothécaire. Le puzzle est-il donc possible ? C'est alors que des cris d'enfants résonnent. Olena est accompagnée. Et tous les enfants commencent à creuser, déterrer et retrouver les morceaux de la fresque de Seth. Ils les classent, les assemblent. Au sol, d'abord un arc-en-ciel. Puis, toute une cible. Si les enfants continuent, les livres apparaitront bientôt dans ce merveilleux puzzle.
Bientôt, les armes les plus puissantes du monde reviendront à la vie. Bientôt, les livres seront de retour dans l'école de Popasna.

« Per aspera ad astra » de Julien Malland
Seth, de son vrai nom Julien Malland, est un artiste français contemporain. Peintre, illustrateur et écrivain, il a notamment réalisé l'œuvre « Per aspera ad astra (À travers les difficultés jusqu'aux étoiles) » en 2017. Cette composition murale évoque avec poésie la force et le courage de ceux qui vivent une zone de guerre.
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