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Pourquoi les mouettes ne chantent-elles pas ?
Rien ne lui manque de la terre ferme, hormis le pépiement joyeux des oiseaux – mais que sait-on du bonheur des oiseaux ? En contrepoint, les mouettes semblent hurler leur revanche sur les terriens.
Il déduit que la tempête est passée au clapotis des vagues contre le pied du phare.
Il se redresse lentement et déplace l'édredon qui lui évite de rouler hors de son lit de camp.
Il avance jusqu'à la table pliante et se sert une demi-tasse de café, puisqu'il ne peut pas en verser plus.
Il sort, s'appuie à la rambarde, admire ce qu'il reste de la dune du Pilat. Sa vue l'amène à évoquer tout ce qui a été perdu. Le départ des derniers ostréiculteurs qui ont tenté de construire des maisons sur pilotis. Rien n'a tenu. Les autres, moins englués dans la vase du bassin, sont partis bien avant.
Désormais, il se sent seul sur cette absence de presqu'île.
L'isolement le gêne moins qu'un autre. Il n'a jamais été intégré : pas assez riche pour côtoyer la jet-set estivale, pas de famille enracinée dans les dunes pour faire partie des locaux. Un saisonnier qui, au fil du temps, a trouvé de quoi occuper les quatre saisons... L'été serveur sur le débarcadère, le reste du temps dans les rayons du supermarché. De quoi louer – aidé d'une gestion budgétaire parcimonieuse –, un studio près du sémaphore.
Le sémaphore... Ce n'est pas encore l'heure, il y pensera vers midi.
Malgré sa vie en marge de la bonne société ferret-capienne, il a toujours été attaché aux paysages qui l'entourent. S'il n'appartenait pas à la communauté des habitants, il était de celle des flâneurs, des marcheurs infatigables le long des baïnes.
Le sable des dunes et les habitants ont été délogés au même rythme.
Lui ne s'est pas posé la question, il n'avait nulle part où aller, personne à rejoindre. Les bidonvilles de Bergerac et Périgueux, les derniers coteaux de la rive droite du Bordelais, assaillis par une eau boueuse et saumâtre charriant les décombres du centre-ville, ne lui disaient rien.
Le gérant de la supérette, voyant que son employé n'avait pas l'intention de partir avec le dernier convoi de l'armée, lui a donné les clés. De là viennent ses réserves, de quoi tenir un siège, et c'est bien de cela qu'il s'agit. Les tempêtes hivernales arrachent les dunes qui sont devenues des hauts fonds, couchent les troncs des pins morts depuis longtemps, emportent une à une les villas des Parisiens.
Les « amers » – qui n'ont jamais aussi bien porté leur nom – ont survécu un peu plus longtemps. Dès le premier hiver, l'antenne radio s'est transformée en amas de ferraille bientôt dispersé. Le deuxième hiver, une déferlante a éventré le château d'eau, dans un bruit assourdissant de cataracte. Ne restent que le phare et le sémaphore. Posés un peu plus haut que les autres promontoires, ils résistent pour le moment...
Le phare n'en a néanmoins plus pour longtemps. Frappé à chaque tempête sur son côté ouest, il s'incline vers l'est. Désormais, les objets ronds roulent sur le lambris. Un petit tas de vis, de clous, d'écrous, de bouchons de liège grossit au fil des jours, là où le mur incurvé entrave leur course vers la mer.
Son cœur se serrera quand il devra quitter son refuge. Il sait où aller ensuite. Du moins, il caresse une idée.
Il est l'heure. Sortant de sa léthargie, il attrape sa lampe-torche et le manuel de morse qu'il a emprunté au musée du phare. Deux appuis brefs, une pause, un long, un bref, une pause... « Inclinaison 3°. Danger certain. Dois partir. » Il appréhende la réponse, il lui semble qu'elle se fait attendre. Il scrute le haut du sémaphore, les sourcils froncés, à s'en donner mal au crâne.
« Viens. Bienvenue. » Il tremble de soulagement. « Arrivée vers 17 h. Merci. » Il sait qu'il n'y aura pas de message en retour. Elle partage avec lui une économie des mots qui laisse les situations et les gestes combler les silences.
Ses affaires et ses provisions sont emballées depuis une semaine déjà. Il a vérifié sa barque en bois à plusieurs reprises. Le délai qu'il a annoncé couvre l'heure qu'il lui faudra pour ramer jusqu'au sémaphore et l'attente jusqu'à l'étale de la marée basse. Mais, surtout, il mettra à profit le temps qui lui reste pour faire ses adieux : aux escaliers, au musée à moitié inondé, à la lentille qui ne tourne plus, à la rambarde qui l'a plus souvent soutenue que les gens qu'il a croisés.
Il embarque enfin, et rame avec détermination. La fin du monde sera peut-être le début de sa vie.
Rien ne lui manque de la terre ferme, hormis le pépiement joyeux des oiseaux – mais que sait-on du bonheur des oiseaux ? En contrepoint, les mouettes semblent hurler leur revanche sur les terriens.
Il déduit que la tempête est passée au clapotis des vagues contre le pied du phare.
Il se redresse lentement et déplace l'édredon qui lui évite de rouler hors de son lit de camp.
Il avance jusqu'à la table pliante et se sert une demi-tasse de café, puisqu'il ne peut pas en verser plus.
Il sort, s'appuie à la rambarde, admire ce qu'il reste de la dune du Pilat. Sa vue l'amène à évoquer tout ce qui a été perdu. Le départ des derniers ostréiculteurs qui ont tenté de construire des maisons sur pilotis. Rien n'a tenu. Les autres, moins englués dans la vase du bassin, sont partis bien avant.
Désormais, il se sent seul sur cette absence de presqu'île.
L'isolement le gêne moins qu'un autre. Il n'a jamais été intégré : pas assez riche pour côtoyer la jet-set estivale, pas de famille enracinée dans les dunes pour faire partie des locaux. Un saisonnier qui, au fil du temps, a trouvé de quoi occuper les quatre saisons... L'été serveur sur le débarcadère, le reste du temps dans les rayons du supermarché. De quoi louer – aidé d'une gestion budgétaire parcimonieuse –, un studio près du sémaphore.
Le sémaphore... Ce n'est pas encore l'heure, il y pensera vers midi.
Malgré sa vie en marge de la bonne société ferret-capienne, il a toujours été attaché aux paysages qui l'entourent. S'il n'appartenait pas à la communauté des habitants, il était de celle des flâneurs, des marcheurs infatigables le long des baïnes.
Le sable des dunes et les habitants ont été délogés au même rythme.
Lui ne s'est pas posé la question, il n'avait nulle part où aller, personne à rejoindre. Les bidonvilles de Bergerac et Périgueux, les derniers coteaux de la rive droite du Bordelais, assaillis par une eau boueuse et saumâtre charriant les décombres du centre-ville, ne lui disaient rien.
Le gérant de la supérette, voyant que son employé n'avait pas l'intention de partir avec le dernier convoi de l'armée, lui a donné les clés. De là viennent ses réserves, de quoi tenir un siège, et c'est bien de cela qu'il s'agit. Les tempêtes hivernales arrachent les dunes qui sont devenues des hauts fonds, couchent les troncs des pins morts depuis longtemps, emportent une à une les villas des Parisiens.
Les « amers » – qui n'ont jamais aussi bien porté leur nom – ont survécu un peu plus longtemps. Dès le premier hiver, l'antenne radio s'est transformée en amas de ferraille bientôt dispersé. Le deuxième hiver, une déferlante a éventré le château d'eau, dans un bruit assourdissant de cataracte. Ne restent que le phare et le sémaphore. Posés un peu plus haut que les autres promontoires, ils résistent pour le moment...
Le phare n'en a néanmoins plus pour longtemps. Frappé à chaque tempête sur son côté ouest, il s'incline vers l'est. Désormais, les objets ronds roulent sur le lambris. Un petit tas de vis, de clous, d'écrous, de bouchons de liège grossit au fil des jours, là où le mur incurvé entrave leur course vers la mer.
Son cœur se serrera quand il devra quitter son refuge. Il sait où aller ensuite. Du moins, il caresse une idée.
Il est l'heure. Sortant de sa léthargie, il attrape sa lampe-torche et le manuel de morse qu'il a emprunté au musée du phare. Deux appuis brefs, une pause, un long, un bref, une pause... « Inclinaison 3°. Danger certain. Dois partir. » Il appréhende la réponse, il lui semble qu'elle se fait attendre. Il scrute le haut du sémaphore, les sourcils froncés, à s'en donner mal au crâne.
« Viens. Bienvenue. » Il tremble de soulagement. « Arrivée vers 17 h. Merci. » Il sait qu'il n'y aura pas de message en retour. Elle partage avec lui une économie des mots qui laisse les situations et les gestes combler les silences.
Ses affaires et ses provisions sont emballées depuis une semaine déjà. Il a vérifié sa barque en bois à plusieurs reprises. Le délai qu'il a annoncé couvre l'heure qu'il lui faudra pour ramer jusqu'au sémaphore et l'attente jusqu'à l'étale de la marée basse. Mais, surtout, il mettra à profit le temps qui lui reste pour faire ses adieux : aux escaliers, au musée à moitié inondé, à la lentille qui ne tourne plus, à la rambarde qui l'a plus souvent soutenue que les gens qu'il a croisés.
Il embarque enfin, et rame avec détermination. La fin du monde sera peut-être le début de sa vie.
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Pourquoi on a aimé ?
Servi par une écriture tant poétique que lapidaire et qui fait parfaitement ressortir la mélancolie du narrateur, ce récit nous plonge dans un
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Pourquoi on a aimé ?
Servi par une écriture tant poétique que lapidaire et qui fait parfaitement ressortir la mélancolie du narrateur, ce récit nous plonge dans un