Toute histoire commence un jour, quelque part. Le Père Démérite élève l’hostie en l’air en signe de remerciement à Dieu pour ses bienfaits. Après avoir donné la nourriture divine aux braves gens qui étaient présents à l’église ce matin-là, le cher prêtre s’exclame:
― Allez dans la paix et dans la joie du Christ.
― Nous rendons grâce à Dieu! ― répondent les fidèles en chœur.
C’était la fin de la messe.
Le Père Démérite est né à Morne-à-Chandelle, une localité de la commune de Carrefour, à vrai dire, la première section communale de la commune. Carrefour est connu pour avoir été à l’origine un poste militaire dans l’arrondissement de Port-au-Prince, où en 1795, Louis-Jacques Beauvais et André Rigaud ― deux soldats de l’armée française à l’époque ― à la tête de trois milles hommes, mettent en déroute les troupes anglaises occupant le port républicain. C’est dans ce petit coin de terre que naît Démérite Dérisse le 2 avril 1985, d’un père cultivateur et d’une mère petite commerçante “Madan Sara” (Madan Sara est le nom générique donné au femme haïtienne qui se lève tôt le matin pour aller vendre leurs produits au marché). La famille compte six enfants, Démérite est l’aîné, il s’est résolu à faire des études pour devenir prêtre pour se faire beaucoup d’argent parce que selon une vieille rumeur, les prêtres gagnent bien leurs vies. Il est devenu prêtre pour une autre raison, il caresse un rêve depuis son enfance: devenir président de la République d'Haïti. Et une carrière de religieux est un élément qui pourrait l’aider à atteindre ses objectifs.
Le P. Démérite est un homme de taille moyenne, un peu grassouillet, un visage arrondi avec un nez aplati, de grands yeux de merlans frits; il faut dire que la nature ne l’a pas doté d’une grande beauté physique. Il habite dans une petite maison à la campagne, il a été envoyé en mission aux Cayes dans le Sud d'Haïti pour y prêcher la bonne nouvelle. Après quatorze années d’études acharnée pour devenir prêtre, il se retrouve ici, dans un petit village au milieu de pauvres paysans. Il accepte sa situation en se disant qu’un jour il deviendra le président de ce pays et que tout cela changera.
C’est lundi, le Père Démérite se lève tôt pour se rendre à l’église et y écouter les complaintes des gens, les gens viennent pour se confesser, comme des accusés appelés à la barre contraints à confesser leurs fautes, sauf que là ils ne vont pas en prison, mais d’un simple geste et d’une seule parole, le prêtre leur accorde le pardon. Pendant que le Père Démérite est assis au confessionnal, brusquement arrive un homme qui vient se confesser, c’est Franck, un ami du prêtre.
― Bonjour mon Père! ― dit-il d’une voix enjouée! On ne dirait pas quelqu’un qui vient pour se confesser.
― Bonjour mon fils! Lui répond calmement le Père Démérite ― parle, je t’écoute.
― Mon père, je ne suis pas venu pour me confesser, mais pour vous apporter des nouvelles.
Le Père Démérite fait un mouvement brusque, comme s’il allait avoir une crise cardiaque. Il faut dire que Franck est celui qui apporte les dernières nouvelles de toute la section communale de Bourdet au prêtre. La raison du sursaut du prêtre peut s’expliquer par la peur de mauvaises nouvelles. Voulant devenir président de la république, notre cher prêtre doit connaître les mœurs et coutumes des gens du peuple, il se rappelle que l’ex président dictateur François Duvalier a commencé ainsi avant de devenir président. Après ses études en médecine à l’École de Médecine de Port-au-Prince, le docteur François Duvalier a commencé à pratiquer dans le régions rurales, s’attirant du même coup les faveurs des populations de ses régions pour son aide dans la lutte contre le typhus, le pian et d’autres maladies de l'extrême pauvreté; ce qui lui a valu le surnom de “Papa Doc”. Il profite de la chute de Magloire et de l'amnistie décrétée en 1956, il se porte candidat à la présidence de la République dans un climat d'agitation sociale et d'instabilité politique: cinq gouvernements provisoires se succèdent en moins d’un an; se basant sur un discours de campagne pro-négritude, François Duvalier est élu président le 22 septembre 1957 avec 69,1% des voix. C’est une occasion pareille que le P. Démérite guette pour se faire élire président.
En attendant, sa conversation avec son ami Franck bat son plein.
― Ce ne sont pas de mauvaises nouvelles que vous m’apportez Franck?
― Non mon Père, je voulais juste vous faire part de ce qui se passe ces derniers jours ici à la campagne, des gens qui sont morts, des agissements du chef de section et d’autres préoccupations politiques.
Heureusement pour le Père Démérite ce n’est pas trop grave, il peut faire avec ce que Franck vient de lui raconter. Il met fin à la conversation en faisant un signe de la croix sans véritable conviction.
Démérite n’a jamais vraiment été un chrétien catholique convaincu, ayant été élevé dans le vaudou, il garde encore des traits de cette religion dans son être, des traits que même pas quatorze années d’immersion dans le catholicisme n’ont pu lui enlever. Il est toujours attaché aux loas (les loas ou lwa sont les esprits de la religion vaudou), c’est un homme tiraillé entre son désir de servir Dieu dans sa vocation de religieux ― qui à vrai dire, est une couverture pour arriver à ses fin (la présidence de la République) ― et son attachement au vaudou, qui lui colle à la peau. Il est un parfait exemple du syncrétisme religieux entre le catholicisme et le vaudou, ces religions se rencontrent en lui et mènent une lutte de pouvoir.
Une lutte acharnée qui pourrait lui valoir une excommunication. Le Père Démérite fait tout ce qu’il peut pour cacher son penchant pour le vaudou. En public, il se présente comme le catholique modèle, mais quand il est seul dans sa chambre, son côté vaudouïsant reprend le dessus. Il se surprend à reprendre des chants du vaudou comme par exemple:
Ogou O, wa de zanj
Le m sonje pitit an mwen chwal an mwen
Chwal an mwen parenn
Ogou chwal an mwen
Le m sonje pitit an mwen chwal an mwen
Ogou O, djab-la di lap manje mwen si se vre?
Pa fout vre Ogou O, djab-la di lap manje mwen si sre vre?
Men gen Bondje
O gen lesen-yo Djab-la di lap manje mwen se pa vre
Se pa vre ti moun-yo se pa vre Sa se jwet ti moun-yo sa se blag
Ogou Ô, roi des anges
Quand je me souviens de mon enfant, mon cheval
Mon cheval parrain
Ogou mon cheval
Quand je me souviens de mon enfant, mon cheval
Ogou Ô, le diable dit qu’il va me manger, est-ce vrai?
Ce n’est pas vrai Ogou, le diable dit qu’il va me manger, est-ce vrai?
Mais il y a un Dieu
Ô il y a les saints, le diable dit qu’il me va me manger, ce n’est pas vrai
Ce n’est pas vrai les enfants, ce n’est pas vrai, c’est un jeu les enfants, c’est une blague
Après s’être senti chevauché par le loa, le Père Démérite sursaute, se reprend et retourne dans sa normalité chrétienne. On comprend la méfiance du père quand on connaît les difficultés que le vaudou d'Haïti a traversé tout au long de son histoire. Deux principales forces ont été très hostiles au vaudou: l’Occupation Américaine d’Haïti entre 1915 et 1934 et la fameuse campagne catholique de la “renonce” en 1941 et 1942.
Mais le P. Démérite possède des bases solides qui explique son attachement à cette religion tant décriée, ce vaudou tant redouté. Pour lui, le vaudou est un art de vivre, car les loas pénètrent tous les domaines de l’existence du pratiquant, il ne fait qu’un avec l’esprit quand il est possédé par celui-ci. La vie du vaudouïsant est régie par des principes qui sont liés au respect de la nature, de la vie etc. Et pour toutes ces raisons, Démérite préfère le syncrétisme au lieu de lâcher le vaudou si cher à son cœur, si indispensable à son être.
Démérite est perdu dans ses rêveries vaudouesques, mais soudain il entend une voix au loin l'appeler.
― Démérite, Démérite, réveille-toi! Réveille-toi, il est l’heure!
― L’heure de quoi? ― répond Démérite.
― L’heure d’aller prendre une douche et manger, une longue journée t’attend aujourd’hui.
C’était sa mère Solange qui l’appelait pour qu’il se prépare pour se rendre à l’école. Démérite se rend compte tout à coup qu’il n’est pas prêtre et qu’il est loin de devenir président de la république d'Haïti. Il est un petit garçon en sixième année fondamentale dont l’imagination est débordante. Démérite pose ses pieds par terre, il se lève d’un geste décidé et se rend à la douche pour prendre son bain, il le sait bien, l’éducation est très importante si on veut devenir président du pays. Qui sait, c’est peut-être le commencement d’une grande histoire qui est en train de prendre forme dans cette petite maison située dans la localité de Morne-à-Chandelle, à travers ce brave petit garçon.
― Allez dans la paix et dans la joie du Christ.
― Nous rendons grâce à Dieu! ― répondent les fidèles en chœur.
C’était la fin de la messe.
Le Père Démérite est né à Morne-à-Chandelle, une localité de la commune de Carrefour, à vrai dire, la première section communale de la commune. Carrefour est connu pour avoir été à l’origine un poste militaire dans l’arrondissement de Port-au-Prince, où en 1795, Louis-Jacques Beauvais et André Rigaud ― deux soldats de l’armée française à l’époque ― à la tête de trois milles hommes, mettent en déroute les troupes anglaises occupant le port républicain. C’est dans ce petit coin de terre que naît Démérite Dérisse le 2 avril 1985, d’un père cultivateur et d’une mère petite commerçante “Madan Sara” (Madan Sara est le nom générique donné au femme haïtienne qui se lève tôt le matin pour aller vendre leurs produits au marché). La famille compte six enfants, Démérite est l’aîné, il s’est résolu à faire des études pour devenir prêtre pour se faire beaucoup d’argent parce que selon une vieille rumeur, les prêtres gagnent bien leurs vies. Il est devenu prêtre pour une autre raison, il caresse un rêve depuis son enfance: devenir président de la République d'Haïti. Et une carrière de religieux est un élément qui pourrait l’aider à atteindre ses objectifs.
Le P. Démérite est un homme de taille moyenne, un peu grassouillet, un visage arrondi avec un nez aplati, de grands yeux de merlans frits; il faut dire que la nature ne l’a pas doté d’une grande beauté physique. Il habite dans une petite maison à la campagne, il a été envoyé en mission aux Cayes dans le Sud d'Haïti pour y prêcher la bonne nouvelle. Après quatorze années d’études acharnée pour devenir prêtre, il se retrouve ici, dans un petit village au milieu de pauvres paysans. Il accepte sa situation en se disant qu’un jour il deviendra le président de ce pays et que tout cela changera.
C’est lundi, le Père Démérite se lève tôt pour se rendre à l’église et y écouter les complaintes des gens, les gens viennent pour se confesser, comme des accusés appelés à la barre contraints à confesser leurs fautes, sauf que là ils ne vont pas en prison, mais d’un simple geste et d’une seule parole, le prêtre leur accorde le pardon. Pendant que le Père Démérite est assis au confessionnal, brusquement arrive un homme qui vient se confesser, c’est Franck, un ami du prêtre.
― Bonjour mon Père! ― dit-il d’une voix enjouée! On ne dirait pas quelqu’un qui vient pour se confesser.
― Bonjour mon fils! Lui répond calmement le Père Démérite ― parle, je t’écoute.
― Mon père, je ne suis pas venu pour me confesser, mais pour vous apporter des nouvelles.
Le Père Démérite fait un mouvement brusque, comme s’il allait avoir une crise cardiaque. Il faut dire que Franck est celui qui apporte les dernières nouvelles de toute la section communale de Bourdet au prêtre. La raison du sursaut du prêtre peut s’expliquer par la peur de mauvaises nouvelles. Voulant devenir président de la république, notre cher prêtre doit connaître les mœurs et coutumes des gens du peuple, il se rappelle que l’ex président dictateur François Duvalier a commencé ainsi avant de devenir président. Après ses études en médecine à l’École de Médecine de Port-au-Prince, le docteur François Duvalier a commencé à pratiquer dans le régions rurales, s’attirant du même coup les faveurs des populations de ses régions pour son aide dans la lutte contre le typhus, le pian et d’autres maladies de l'extrême pauvreté; ce qui lui a valu le surnom de “Papa Doc”. Il profite de la chute de Magloire et de l'amnistie décrétée en 1956, il se porte candidat à la présidence de la République dans un climat d'agitation sociale et d'instabilité politique: cinq gouvernements provisoires se succèdent en moins d’un an; se basant sur un discours de campagne pro-négritude, François Duvalier est élu président le 22 septembre 1957 avec 69,1% des voix. C’est une occasion pareille que le P. Démérite guette pour se faire élire président.
En attendant, sa conversation avec son ami Franck bat son plein.
― Ce ne sont pas de mauvaises nouvelles que vous m’apportez Franck?
― Non mon Père, je voulais juste vous faire part de ce qui se passe ces derniers jours ici à la campagne, des gens qui sont morts, des agissements du chef de section et d’autres préoccupations politiques.
Heureusement pour le Père Démérite ce n’est pas trop grave, il peut faire avec ce que Franck vient de lui raconter. Il met fin à la conversation en faisant un signe de la croix sans véritable conviction.
Démérite n’a jamais vraiment été un chrétien catholique convaincu, ayant été élevé dans le vaudou, il garde encore des traits de cette religion dans son être, des traits que même pas quatorze années d’immersion dans le catholicisme n’ont pu lui enlever. Il est toujours attaché aux loas (les loas ou lwa sont les esprits de la religion vaudou), c’est un homme tiraillé entre son désir de servir Dieu dans sa vocation de religieux ― qui à vrai dire, est une couverture pour arriver à ses fin (la présidence de la République) ― et son attachement au vaudou, qui lui colle à la peau. Il est un parfait exemple du syncrétisme religieux entre le catholicisme et le vaudou, ces religions se rencontrent en lui et mènent une lutte de pouvoir.
Une lutte acharnée qui pourrait lui valoir une excommunication. Le Père Démérite fait tout ce qu’il peut pour cacher son penchant pour le vaudou. En public, il se présente comme le catholique modèle, mais quand il est seul dans sa chambre, son côté vaudouïsant reprend le dessus. Il se surprend à reprendre des chants du vaudou comme par exemple:
Ogou O, wa de zanj
Le m sonje pitit an mwen chwal an mwen
Chwal an mwen parenn
Ogou chwal an mwen
Le m sonje pitit an mwen chwal an mwen
Ogou O, djab-la di lap manje mwen si se vre?
Pa fout vre Ogou O, djab-la di lap manje mwen si sre vre?
Men gen Bondje
O gen lesen-yo Djab-la di lap manje mwen se pa vre
Se pa vre ti moun-yo se pa vre Sa se jwet ti moun-yo sa se blag
Ogou Ô, roi des anges
Quand je me souviens de mon enfant, mon cheval
Mon cheval parrain
Ogou mon cheval
Quand je me souviens de mon enfant, mon cheval
Ogou Ô, le diable dit qu’il va me manger, est-ce vrai?
Ce n’est pas vrai Ogou, le diable dit qu’il va me manger, est-ce vrai?
Mais il y a un Dieu
Ô il y a les saints, le diable dit qu’il me va me manger, ce n’est pas vrai
Ce n’est pas vrai les enfants, ce n’est pas vrai, c’est un jeu les enfants, c’est une blague
Après s’être senti chevauché par le loa, le Père Démérite sursaute, se reprend et retourne dans sa normalité chrétienne. On comprend la méfiance du père quand on connaît les difficultés que le vaudou d'Haïti a traversé tout au long de son histoire. Deux principales forces ont été très hostiles au vaudou: l’Occupation Américaine d’Haïti entre 1915 et 1934 et la fameuse campagne catholique de la “renonce” en 1941 et 1942.
Mais le P. Démérite possède des bases solides qui explique son attachement à cette religion tant décriée, ce vaudou tant redouté. Pour lui, le vaudou est un art de vivre, car les loas pénètrent tous les domaines de l’existence du pratiquant, il ne fait qu’un avec l’esprit quand il est possédé par celui-ci. La vie du vaudouïsant est régie par des principes qui sont liés au respect de la nature, de la vie etc. Et pour toutes ces raisons, Démérite préfère le syncrétisme au lieu de lâcher le vaudou si cher à son cœur, si indispensable à son être.
Démérite est perdu dans ses rêveries vaudouesques, mais soudain il entend une voix au loin l'appeler.
― Démérite, Démérite, réveille-toi! Réveille-toi, il est l’heure!
― L’heure de quoi? ― répond Démérite.
― L’heure d’aller prendre une douche et manger, une longue journée t’attend aujourd’hui.
C’était sa mère Solange qui l’appelait pour qu’il se prépare pour se rendre à l’école. Démérite se rend compte tout à coup qu’il n’est pas prêtre et qu’il est loin de devenir président de la république d'Haïti. Il est un petit garçon en sixième année fondamentale dont l’imagination est débordante. Démérite pose ses pieds par terre, il se lève d’un geste décidé et se rend à la douche pour prendre son bain, il le sait bien, l’éducation est très importante si on veut devenir président du pays. Qui sait, c’est peut-être le commencement d’une grande histoire qui est en train de prendre forme dans cette petite maison située dans la localité de Morne-à-Chandelle, à travers ce brave petit garçon.