— « Maître ? Vous plaisantez ? Vous pouvez me cogner, comme l'ont fait tous les autres, mais je ne vous appellerai pas maître », chuchota Maiorca à l'oreille de son mari, le suzerain phanariote Moruzzi, lors de la cérémonie.
C'était l'époque où les Turcs, pour administrer et maintenir la paix en Valachie, avaient confié la gouvernance du royaume chrétien aux souverains du quartier du Phanar.
La cloche de l'église princière de la foire de Bucarest sonnait fort, et du haut de la colline le petit clocher arrondit de la petite église de Bucur leur répondait d'un son sourd et lointain.
Immédiatement après la cérémonie, le cortège se rendit à la Cour Royale. Tout le peuple roumain, étranger aux ornements imposants de la cour, s'était rassemblé pour voir le grand cortège. Mais ils furent encore plus émerveillés lorsque les serviteurs du suzerain déchargèrent des cadeaux de mariage d'un char, cadeaux apportés du Phanar ; il pouvait être vu ici « sipeturi »[1] de nacre ; « boccealâcuri » [2] de tissu cousu avec le fil de « borangic » [3], toutes sortes de « taclituri » [4] avec des motifs turcs, miroirs vénitiens, parfums et onguents turcs et diverses autres richesses qui avaient été amenés par les Vénitiens, les Arméniens et les Juifs à Constantinople.
La soirée était tombée, mais la fête battait son plein à la Cour Royale. Les invités étaient heureux, ils acclamaient et dansaient en hora,[5] et les léoutars chantaient jusqu'à ce que les cordes des instruments rougissent.
Maiorca était assise seule dans un coin et en deuil profond, le cœur déchiré, le visage flétri, pleurant amèrement la cruauté de son sort ; la nuit fut longue, et ses larmes coulaient sans cesse. La jeune femme ne s'était pas mariée par grand amour, mais sur insistance de sa mère, Chiajna, pour se faire une place dans la haute société, mais surtout pour les richesses qui viennent avec le mariage.
***
Quelques mois s'étaient écoulés depuis le mariage et Maiorca avait commencé à tomber amoureuse de Moruzzi.
Dans le Palais Royal, il y avait une aile, gardée par vingt-quatre soldats , appelée harem. Oh non! ne pensez même pas à des chambres avec des femmes nues, des orgies sexuelles ou plus d'épouses ou d'eunuques !
Le harem du Bucarest phanariote était un espace dédié exclusivement à la première dame, avec des salles de réception, avec de sofa pour se reposer, avec des petits tables et diverses remises. Ici Maiorca et ses compagnons essayaient des robes, de nouveaux cosmétiques et bijoux, lisaient des magazines français ou des almanachs grecs et surtout du théâtre, des vers ou des fables de La Fontaine, plus Voltaire ou Rousseau.
Cela faisait deux ans depuis le mariage, et Maiorca aimait déjà Moruzzi. Cette relation n'avait pas été bâtie sur l'amour au départ. D'abord tu aimes par pitié, par devoir, puis tu aimes parce que tu sais que c'est la clé du bonheur.
Après deux décennies au cours desquelles Maiorca avait appris à aimer chaque jour, Moruzzi décéda. Le 24 septembre 1787 fut le jour où Maiorca dit au revoir à la personne qui lui avait appris à aimer, dans la même église qui avait uni leurs destins.
C'était le soir, et Maiorca marchait à petits pas dans le bureau de son mari. Elle s'assit sur une chaise et regarda par la fenêtre. Dans le silence mortuaire de la pièce, l'attention de Maiorca fut attirée par un morceau de papier jeté par terre. Elle se pencha légèrement pour le ramasser, puis le déplia soigneusement. Elle le regarda, puis le serra contre sa poitrine de toutes ses forces, comme si elle serrait dans ses bras une personne. Sur le papier de la main de Maiorca étaient écrits les mots suivants :
Le 22 juin 1777, Bucarest
La plupart du temps, on a du mal à s'habituer à aimer la femme sans qui on ne peut pas vivre plus tard. Tu aimes d'abord par devoir, par pitié, par tendresse, puis tu aimes parce que tu sais que cela la rend heureuse. Tu continues de te répéter, ce n'est pas loyal de l'offenser, de la frapper, de la tromper.
Ensuite, on s'habitue à son sourire et à sa voix, comme on s'habitue à un paysage. Et peu à peu, tu deviens dépendant d'elle et as besoin de sa présence quotidienne.
Moruzzi...
Un an plus tard, la cour royale était à nouveau en deuil. Maiorca avait rendu son dernier souffle ; maintenant elle pouvait monter au paradis pour vivre son histoire d'amour avec son élu.
Notes:
[1] sipet - coffre en bois (fleuri, à couvercle voûté et recouvert de cercles de fer) dans lequel sont rangés vêtements ou objets de valeur.
[2] boccealâc - (surtout) un paquet de vêtements que la mariée a donné au marié.
[3] borangic - fil de soie naturelle
[4] taclit - pièce d'étoffe ou de soie rayée, avec laquelle les boyards étaient attachés par la tête ou par le milieu, à la mode turque.
[5] hora - danse traditionnelle roumaine.
C'était l'époque où les Turcs, pour administrer et maintenir la paix en Valachie, avaient confié la gouvernance du royaume chrétien aux souverains du quartier du Phanar.
La cloche de l'église princière de la foire de Bucarest sonnait fort, et du haut de la colline le petit clocher arrondit de la petite église de Bucur leur répondait d'un son sourd et lointain.
Immédiatement après la cérémonie, le cortège se rendit à la Cour Royale. Tout le peuple roumain, étranger aux ornements imposants de la cour, s'était rassemblé pour voir le grand cortège. Mais ils furent encore plus émerveillés lorsque les serviteurs du suzerain déchargèrent des cadeaux de mariage d'un char, cadeaux apportés du Phanar ; il pouvait être vu ici « sipeturi »[1] de nacre ; « boccealâcuri » [2] de tissu cousu avec le fil de « borangic » [3], toutes sortes de « taclituri » [4] avec des motifs turcs, miroirs vénitiens, parfums et onguents turcs et diverses autres richesses qui avaient été amenés par les Vénitiens, les Arméniens et les Juifs à Constantinople.
La soirée était tombée, mais la fête battait son plein à la Cour Royale. Les invités étaient heureux, ils acclamaient et dansaient en hora,[5] et les léoutars chantaient jusqu'à ce que les cordes des instruments rougissent.
Maiorca était assise seule dans un coin et en deuil profond, le cœur déchiré, le visage flétri, pleurant amèrement la cruauté de son sort ; la nuit fut longue, et ses larmes coulaient sans cesse. La jeune femme ne s'était pas mariée par grand amour, mais sur insistance de sa mère, Chiajna, pour se faire une place dans la haute société, mais surtout pour les richesses qui viennent avec le mariage.
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Quelques mois s'étaient écoulés depuis le mariage et Maiorca avait commencé à tomber amoureuse de Moruzzi.
Dans le Palais Royal, il y avait une aile, gardée par vingt-quatre soldats , appelée harem. Oh non! ne pensez même pas à des chambres avec des femmes nues, des orgies sexuelles ou plus d'épouses ou d'eunuques !
Le harem du Bucarest phanariote était un espace dédié exclusivement à la première dame, avec des salles de réception, avec de sofa pour se reposer, avec des petits tables et diverses remises. Ici Maiorca et ses compagnons essayaient des robes, de nouveaux cosmétiques et bijoux, lisaient des magazines français ou des almanachs grecs et surtout du théâtre, des vers ou des fables de La Fontaine, plus Voltaire ou Rousseau.
Cela faisait deux ans depuis le mariage, et Maiorca aimait déjà Moruzzi. Cette relation n'avait pas été bâtie sur l'amour au départ. D'abord tu aimes par pitié, par devoir, puis tu aimes parce que tu sais que c'est la clé du bonheur.
Après deux décennies au cours desquelles Maiorca avait appris à aimer chaque jour, Moruzzi décéda. Le 24 septembre 1787 fut le jour où Maiorca dit au revoir à la personne qui lui avait appris à aimer, dans la même église qui avait uni leurs destins.
C'était le soir, et Maiorca marchait à petits pas dans le bureau de son mari. Elle s'assit sur une chaise et regarda par la fenêtre. Dans le silence mortuaire de la pièce, l'attention de Maiorca fut attirée par un morceau de papier jeté par terre. Elle se pencha légèrement pour le ramasser, puis le déplia soigneusement. Elle le regarda, puis le serra contre sa poitrine de toutes ses forces, comme si elle serrait dans ses bras une personne. Sur le papier de la main de Maiorca étaient écrits les mots suivants :
Le 22 juin 1777, Bucarest
La plupart du temps, on a du mal à s'habituer à aimer la femme sans qui on ne peut pas vivre plus tard. Tu aimes d'abord par devoir, par pitié, par tendresse, puis tu aimes parce que tu sais que cela la rend heureuse. Tu continues de te répéter, ce n'est pas loyal de l'offenser, de la frapper, de la tromper.
Ensuite, on s'habitue à son sourire et à sa voix, comme on s'habitue à un paysage. Et peu à peu, tu deviens dépendant d'elle et as besoin de sa présence quotidienne.
Moruzzi...
Un an plus tard, la cour royale était à nouveau en deuil. Maiorca avait rendu son dernier souffle ; maintenant elle pouvait monter au paradis pour vivre son histoire d'amour avec son élu.
Notes:
[1] sipet - coffre en bois (fleuri, à couvercle voûté et recouvert de cercles de fer) dans lequel sont rangés vêtements ou objets de valeur.
[2] boccealâc - (surtout) un paquet de vêtements que la mariée a donné au marié.
[3] borangic - fil de soie naturelle
[4] taclit - pièce d'étoffe ou de soie rayée, avec laquelle les boyards étaient attachés par la tête ou par le milieu, à la mode turque.
[5] hora - danse traditionnelle roumaine.