« Toute histoire commence un jour, quelque part. La mienne repose sur la vérité. Qu’y a-t-il de si sorcier dans la vérité qu’on ne peut dire ou qu’on ne doit dire ? La vérité est que la vérité brûle, et très violemment, tels les rayons d’un soleil zénithal, au faîte de sa gloire, qui ne se couche point. Je prends la parole ici pour vous dire que nous, les femmes, sommes les uniques gardiennes de chaque temple corporel à nous confiés par le Créateur. Si par quelconque décision parentale fantaisiste il nous est imposé de nous marier avec un homme qui n’a pas notre bénédiction sentimentale, en aucun cas on ne sera blâmées en cas de refus. Car, se marier sans aimer est la source de nombreuses crises communautaires, sociales et planétaires. Le maître de Platon l’a pourtant dit aux hommes : lorsque vous mariez une bonne femme, heureux vous êtes. Mais si c’est une mauvaise femme, vous devenez philosophe. Mes sœurs, je vous le dis, ce sage a raison. Une femme dont le cœur n’a pas été soumis sentimentalement par un homme ne peut faire ce qu’elle aurait aimé faire convenablement, même avec le poids de la tradition, qui constitue une sorte d’épée de Damoclès suspendue au dessus du siège de sa raison, enfin, de sa tête. Elle n’est pas soumise, dira-t-on. Elle est étiquetée ipso facto comme étant mauvaise. Quand elle réagit tel un mouton de Panurge, la société des hommes et même celle de quelques femmes trouvent qu’elle est bonne.
Aux hommes assis dans cette salle. Vous ne savez qu’une infime partie de la subjectivité qu’est une fille d’Eve. Pour prétendre avoir une bonne femme, il faut avoir au préalable dompté son cœur par les moyens naturels, évidemment. Si son cœur vous est soumis, vous n’aurez point besoin de vous tuer à la tâche pour essayer de soumettre le reste de son corps, entendu que le cœur fait partie du corps. Point besoin de porter le manteau de colonisateur, de s’imposer pour coloniser le cœur d’une femme. C’est de la barbarie dont vous faites preuve. Car la colonisation tend à déciviliser le colonisateur. Les féministes, non de la femme, mais ceux de l’Afrique, l’ont chanté en chœur au cours du siècle dernier.
Ne voyez en aucun cas une quelconque source de frustration dans la forme et dans la teneur de mon propos. C’est plutôt du côté de la vérité que je m’inscris. Celle-ci est si caustique qu’elle corrode les tissus des consciences sombres à l’instar de l’acide sulfurique sur le corps humain. La vérité dont je vous parle guérit pourtant toutes les blessures internes, tous les maux qui semblent incurables aux yeux des humains. De ce fait, elle concourt à l’équilibre du monde.
Disons la vérité à nos parents : les unions de nature précolombienne sont désuètes à notre époque. Le mariage c’est la communication des âmes et non celles des corps. Nous, vos filles nous vous respectons, mais ne respectons pas vos manies de jouer le rôle d’agents matrimoniaux dans des affaires de cœur. C’est un long processus préliminaire qui préside à la connexion sentimentale entre deux êtres, avant qu’ils ne décident de se fiancer et concrétiser leur union. Une union artificiellement voulue ne peut que conduire à des revers inimaginables à l’encontre du couple et de l’équilibre social. Je pourrais ajouter que... »
Ces mots viennent de Nassita. Elle anime en ce moment une conférence en relation avec le rôle du féminisme dans l’éradication des unions in-consenties. Cette jeune dame, à présent mariée avec un de ses anciens enseignants du lycée, a connu une histoire pleine de rebondissements qui ont forgé son caractère d’oratrice douée, à l’instar de la Grande Royale des Diallobé.
Tout commença, en évidence, dans la cellule familiale, il ya 15 ans. En classe de 4ème, Nassita devait être donnée en mariage forcé à l’un de ses vieux cousins qui se nommait Bablèman. Pourquoi scolariser une fillette si l’on n’a pas l’intention de la laisser avoir un diplôme ? Pourquoi sevrer intellectuellement une jeune fille pour la nourrir du lait amer de la vie conjugale ? Bon sang ! Une enfant est faite pour les espaces cognitifs et non pour les espaces conjugaux. On se souvient encore de ce dialogue particulier entre Nassita et son père quand elle était dans sa tendre adolescence :
- Nassita !
- Oui Baba !
- Viens ici. J’ai à te parler. Assieds-toi.
- Baba, je t’écoute.
- Je t’ai trouvé un mari. Ton mariage aura lieu dans deux mois.
- Mais, Baba je n’ai que 14 ans. Je ne...
- Ce n’est pas à discuter ! Informe ta mère aussi. Tu peux retourner en chambre.
Ce soir, les doutes sont confirmés. Nassita et sa maman, Nayerelon, avaient eu vent de ce que le chef de famille préparait le mariage de sa fille. L’annonce de cette nouvelle les glaça toutes les deux. Le diktat paternel venait de se faire ressentir. Sa décision était irrévocable. N’avait-il pas lu la sourate consacrée aux femmes ? N’avait-il pas lu le Coran et les hadiths relatifs aux droits de la femme en Islam ? Ce supposé musulman mêlait culture et religion ! Point de bonne pratique religieuse sans science ! La femme n’est pas une esclave mais un partenaire à respecter. Si toutes les femmes connaissaient leur statut juridique en Islam, elles toutes se marieraient volontairement et consciemment par milliers par jour. Le code du mariage est établi. Il est divin. Mais la manière dont l’application est faite relève de l’humain qui le respecte parfois, et le dédivinise parfois, en l’enfreignant. Le mariage n’est pas un enfer pour la femme et un paradis pour l’homme. C’est un contrat loin d’être léonin. Les parties prenantes doivent obtenir satisfaction. Les anglophones disent « housewife ». Cela équivaut à «femme de ménage ». Le terme arabe « Morshana » donne « forteresse contre le diable ». Les anglophones devraient utiliser « homemakers ». Cela signifie « celles qui construisent la maison », « celles qui constituent les piliers du foyer ». En fait, la femme est un rempart contre le diable et non un être diabolique.
Le père de Nassita décide de son avenir sans l’en aviser. L’histoire se répète. Nassita ne voulait pas se marier comme l’une de ses sœurs, il y a quelques années de cela. Les mois passaient et le mariage approchait. Beaucoup de délégations sont venus s’entretenir avec le père de Nassita pour le dissuader de jeter sa fille dans la prison sentimentale de la tristesse. Toutes les délégations venues en médiation firent chou blanc.
Entre-temps, Nassita ne se sentait pas bien. On venait de lui diagnostiquer une leucémie. La belle Nassita a offert contre son gré le gîte et le couvert au cancer dans son corps. Elle avait un cancer des cellules du sang qui venait d’être détecté. Son père s’entêtait quand même à l’obliger à se marier. Il refusait de payer les frais du traitement médicamenteux. Je vais payer tes médicaments si tu acceptes de te marier à Bablèman. Te nourrir déjà me coûte cher, disait-il. Quelle monstruosité parentale paternelle ! Sa mère impuissante et sans revenus ne faisait que pleurer pour sa fille. Quelle sensibilité parentale maternelle !
Par une nuit noire, Nassita décide de quitter le domicile familial de Bonon, avec la complicité de sa mère et un de ses cousins pour aller vivre chez sa sœur à Abujan. Elle flâne pendant toute cette année et ne peut aller à l’école, car les tensions entre son père et sa propre sœur, traitée de renégate et d’ingrate, sont tendues. Pendant ce temps, elle suivait son traitement anticancéreux. Sa sœur, à peine indépendante, est une commerçante qui loue une maison à Boribanan. Elle ne vit que de la vente de poissons frais au grand marché d’Abujan. Elle aussi est « allée en exil » vers Abujan. Son père, le roi des ignares, voulait la donner en mariage en son temps. Elle avait refusé ce mariage et fut reniée. C’est sa mère qui la contactait secrètement pendant ses longues années.
La vie à Abujan étant dure, sa sœur dû l’envoyer à Boké en tutorat chez l’une de ses amies afin que sa petite sœur y passe le B.E.P.C. C’était à Boké. Là-bas, les frais d’écolage étaient moins importants qu’à Abujan. Nassita est guérie et se retrouve seule, reniée comme sa sœur, car ayant refusé un mariage que ses fibres n’entretenaient pas. Avec sa tutrice, les relations étaient tendues. Son tuteur voulait également lui dérober son soleil virginal. Elle devait passer le B.E.P.C. et devait gérer toute cette pression.
C’était une très belle fille. Elle avait la forme des guitares d’Andalousie. Un teint de soleil. Des yeux de gazelle et un regard mystique qui pouvait foudroyer un buffle et l’occire incessamment. Une bouche de bébé dont les traits rappellent la forme de la mi-lune. Son teint était pareil à celui à la couleur du soleil couchant. On la surnommait « Fladeni », la petite peuhl. Elle faisait bouillir le sang des hommes, même au cœur de l’harmattan, quand elle passait auprès d’eux. Tout se passait comme si elle vomissait du feu doux et glacial. Elle était ignivome. Ses phéromones attiraient les hommes à l’instar du miel qui attire les mouches. C’était une Vénus.
Malgré tous ces avatars, Nassita à Boké, Nassita réussit à obtenir son B.E.P.C. Et, elle est orientée au Lycée scientifique de Boignyville. Elle excellait dans les sciences expérimentales et exactes. Nassita connaissait la physique et les mathématiques ; la physique et les mathématiques la connaissaient. Elle étudiait la physique-chimie, précisément dans le domaine des réactions polymacrotomiques protoniques et monomicrotomiques neutroniques dans les gaz contenus dans les fumée, en fonction de leurs sources (bois, charbon, échappement de voiture...). Baaa ! C’était trop compliqué à prononcer et à expliquer. Ainsi, chaque fois qu’on lui demandait sa spécialisation, elle disait simplement qu’elle étudiait la physique-chimie. Cela faisait moins discourir et gloser pour ensuite ne pas se faire comprendre par son interlocuteur. Nassita réussisait à tous ses examens et finit par obtenir son diplôme.
Son professeur de Biologie l’affectionnait et finit par la demander en mariage après sa formation. Elle occupait un poste de chimiste dans le laboratoire d’analyse des gaz de la Société Boignynaise de Raffinement. Après plusieurs années, elle décida d’aller rencontrer son père et faire la paix avec lui. Il refusa de la recevoir. Il ne souhaitait même pas assister à son mariage. Car, il estimait qu’elle l’avait déshonoré en refusant de se marier avec l’homme qu’il avait choisit pour elle, une quinzaine d’années auparavant. Elle eut un pincement au cœur quand elle réalisa que son père n’avait pas changé au fil des années. Il mourut avant son mariage.
A trente ans, Nassita avait mis sur pied une association pour lutter contre les unions in-consenties. Elle donnait beaucoup de conférences dans le pays et dans le monde et était beaucoup suivie pour la pertinence et la logique de son argumentation. Le mariage précoce aurait avorté un génie intellectuel. « Laisser le libre choix à une jeune fille de choisir l’être aimé concourt à son harmonie physique, intellectuelle, psychique. Que tombe les habitudes à la peau dure qui veulent que le mariage soit « dictatorialisé » et non consenti ! Les temps changent ; certaines mentalités le doivent avec ! »
C’était les derniers mots que Nassita prononçait pour conclure la conférence qu’elle animait sur le thème : « FEMMES ET FEMINISME EN AFRIQUE POUR DES UNIONS CONSENTIES MUTUELLEMENT » .