C'est samedi ! Tous les samedis, Juliette a le droit d'aller chercher le courrier dans la boîte aux lettres en bas de l'immeuble, parce qu'il n'y a pas école. Après le petit-déjeuner, elle enfile ses chaussons et elle descend les escaliers, en pyjama, avec la clé de la boîte aux lettres bien serrée dans son poing. Elle se sent grande et fière, quand elle rapporte le tas de lettres, mais il n'y en a jamais pour elle... c'est toujours des publicités pour les pizzas ou les sushis, les journaux de ses parents, des enveloppes à leur nom. C'est injuste, mais elle espère chaque samedi que quelqu'un lui a écrit. Que son prénom figure sur l'enveloppe ! JULIETTE !

 

Ce matin, il est déjà huit heures quand elle sort du lit. À la cuisine, le père de Juliette boit son café, la radio est allumée. L'émission parle d'une découverte scientifique incroyable : un monsieur explique qu'en observant l'espace, on a trouvé des signes de vie extraterrestre, sans qu'on ait pu voir à proprement parler à quoi elle ressemblerait. « En fait, ajoute une dame, on sait qu'elle existe, mais on ne sait pas comment. »

— Papa, tu y crois, toi, aux extraterrestres ?

— Oh, c'est la science, tu sais ! La science, c'est des preuves ! Un scientifique ne dit pas je crois, il dit je sais, ou je crois que je sais. Et moi, je crois qu'ils savent, oui.

— Trop bien ! J'adore les extraterrestres, moi !

Juliette se dépêche de boire son jus d'orange et de manger ses céréales, puis elle enfile ses chaussons. Elle prend la clé de la boîte aux lettres, qui est toujours dans le petit bol sur l'étagère de l'entrée. Elle descend les escaliers et, en bas, se hisse sur la pointe des pieds pour enfoncer la clé dans le trou de la serrure. Avec ses doigts, elle tâte le fond de la boîte aux lettres et attrape le courrier. Un voisin, Monsieur Dupont, descend à ce moment.

— Monsieur, dit Juliette, est-ce que vous pouvez m'aider ?

Monsieur Dupont s'arrête.

— Est-ce que j'ai pris tout le courrier ?

Monsieur Dupont vérifie.

— Oui, c'est bon, il n'y a plus rien. Bonne journée Juliette !

— Merci, bonne journée monsieur Dupont !

Juliette referme la boîte aux lettres et remonte par les escaliers – car l'ascenseur, ça lui fait peur...

 

En rentrant, elle donne le courrier à son papa, comme toujours. Il regarde les lettres une par une, et fait le tri : il jette les publicités pour les pizzas et les sushis

— Tiens, il y a une lettre pour toi, Juliette !

Juliette n'y croit pas. Elle a du courrier ? Son vœu a été exaucé ?!

— C'est vrai ? Pour moi ?!

Son père lui donne l'enveloppe, et Juliette court dans sa chambre.

 

Juliette regarde l'enveloppe - tiens, il n'y a pas de timbre dessus, c'est bizarre – puis l'ouvre délicatement, comme un trésor. Dedans une feuille de papier est pliée. Juliette sait lire déjà, elle a appris à l'école l'an dernier. Elle commence donc à déchiffrer ce qui est écrit, mais elle ne comprend rien. Pas un mot. Pas une lettre. L'écriture est incertaine, inégale, un peu penchée, un peu tremblante, bleue, mais ce ne sont pas des lettres de l'alphabet... Elle repense soudain à la dame de la radio et se dit que, peut-être, ce sont les extraterrestres qui lui ont envoyé une lettre, dans un langage qu'elle ne connaît pas et qu'elle doit décrypter ! C'est donc ça, la preuve de leur existence ! Elle éclate de joie, tout excitée.

— Papa ! Papa ! s'écrie-t-elle en sortant de sa chambre. Papa ! Papa ! Ils m'ont écrit !

— Qui ça ? demande le père  curieux.

— Les extraterrestres ! Ils existent ! Ils m'ont écrit ! Regarde !

Juliette donne la lettre à son père, qui lit.

— Pourquoi tu penses que ce sont les extraterrestres qui t'ont écrit ?

— Bah regarde, c'est pas des lettres, ça ! On peut rien lire, on comprend rien ! C'est peut-être un message codé des extraterrestres, qui dit qu'ils vont arriver bientôt, ou qui raconte comment ils vivent !

Le père de Juliette sourit, il glousse.

— Juliette, enfin... Tu n'arrives pas à lire ce qui est écrit ?

— Bah quoi ? Tu y arrives, toi ?

Le père hoche la tête en souriant. 

— Lis-le-moi, alors.

Sur le papier, le père lit, amusé : « Juliette, je voulais te dire que je suis amoureux de toi. Thomas ».

 

Juliette se tait soudain et rougit. Pendant quelques secondes, elle ne dit rien, toute rouge. Elle reprend la lettre des mains de son père et retourne dans sa chambre.

— Pfouah ! Qu'est-ce que c'est mal écrit quand même !

Le père de Juliette la regarde s'en aller, le sourire aux lèvres. Son épouse sort de sa chambre et vient l'embrasser.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demande-t-elle, mal réveillée, en bâillant.

— Juliette a reçu du courrier ! répond-il simplement.