Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux !
Je m'appelle Kén Bugul. J'ai vingt-quatre ans. Et Je m’en vais vous raconter mon histoire. Elle est belle parce qu’elle m’a forgée ! Triste, parce qu’elle m’a rongé ! Je suis la fille de mon père et de ma mère. Quoi de plus naturel ! J’ai des frères, grands et petits, une sœur cadette, la prunelle de mes yeux ! Dans notre maison, il y’a des chambres et un salon. Parmi les chambres, il y’a celle que partagent mon père et ma mère. Quoi de plus romantique ! Une autre pour notre frère ainé et son épouse, une troisième pour mes petits frères, et une plus récente pour mon autre grand frère célibataire, qui a jugé nécessaire d’avoir un espace à lui pour son intimité. Quant à ma petite sœur et moi, il semble qu’on nous ait oubliées en érigeant le plan architectural de la maison. Du coup, nous sommes des Sans-Chambre-fixe. Le jour, on se meut dans l’espace, la nuit on dort chez ma marraine, la sœur de mon père. Mon père trouve cela normal parce que pour lui, les filles n’appartiennent pas à leur famille mais à leur belle famille. Pour moi qui suis née avec une balance justicière sur la tête, comme me le dit souvent ma sœur, cette situation demeure aberrante. Mais je l’ai taise ! Parce que se taire, c’est le seul infinitif qui définit ma condition de femme dans notre maison. Serais-je juste leur bonne ? La cuisine, les tâches ménagères, la lessive pour toute la famille, C’est ma petite sœur et moi qui les assurons. Les caleçons de mon grand-frère, par-dessus des tâches blanchâtres, je les lavais jusqu’à une date bien récente, jusqu’à ce que ma belle-sœur le découvre. C’est là qu’elle est allée dire à ma mère qu’une jeune vierge ne doit pas laver des sous-vêtements d’homme parce qu’elle risquerait de ne pas avoir d’enfant une fois mariée. Même si je n’épousais pas trop les contours de ce mythe, je me réjouissais du fait qu’il m’ait sauvé des caleçons nacrés de mon grand-frère...
Une nuit, j’étais malade. J’ai la rhinite et je m’étouffe souvent. Cette nuit-là, ma mère m’a amené chez le guérisseur traditionnel, ma petite sœur n’était pas là. C’est ma mère qui avait préparé le diner. Elle avait tout finit. Il restait juste à servir dans une grande assiette. Mais comme j’allais de plus en plus mal, elle s’est hâtée à m’amener chez le guérisseur. Elle se disait qu’elle allait servir le diner de retour à la maison. Mais on a duré chez le charlatan. A ma grande surprise, de retour à la maison, mes petits frères étaient déjà endormis, sans diner, parce que mon père n’a pas daigné prendre une assiette et y mettre la nourriture. Parce qu’il s’obstine à croire que c’est une tâche de femme. J’en ai voulu à mon père. J’en ai aussi voulu à ma mère. je n’ai pu comprendre pourquoi elle n’a pas rouspété. Pourquoi elle a trouvé l’acte de mon père normal ? Evidemment, elle est tombée elle aussi, comme beaucoup de femmes d’ailleurs, dans ce complexe viscéral de genre.
Un autre jour, j’étais à l’université, en plein cours. Ma sœur était à l’école. Il était onze heures environs. Je reçois un appelle de mon grand-frère depuis la maison. Cette fois c’est ma mère qui est un peu souffrante. Et mon grand-frère me demande de venir préparer le déjeuner. Il lui est pas venu à l’esprit de concocter un quelque chose à manger. J’ai dû rompre mon cours et venir préparer le repas, puis retourner à l’université pour ne pas rater mon devoir de quinze heures. Je ne lui en ai même pas voulu ! J’ai juste compris qu’il était le fils de son père !
Beaucoup d’hommes me taxent de féministe. Moi qui n’aime pourtant pas trop les mots se terminant par « isme » parce que je les trouve radicalistes, extrémistes. Mais si féminisme veut dire essayer de redéfinir et de reconsidérer la condition de la femme, j’accepterai volontiers un « isme » dans ma terminologie. Beaucoup de femmes sont tombées dans le piège d’être femme. Une chausse-trappe dans laquelle la société nous a mises sous des préceptes religieux sans aucune fondement.
Je nous invite pas à être des hommes. Non. Restons femmes ! Restons douces, docile, aimables, attirantes, avenantes. Restons même des lessiveuses, des cordons bleus, s’ils veulent bien. Mais ma question est : est-ce que ces adjectifs ne peuvent ou doivent-ils pas parallèlement qualifier les hommes ? Un ami m’a dit que cette question est celle d’une femme africaine déracinée, voulant épouser une culture occidentale qui n’est pas la sienne. Et à cet ami je voudrais dire que ma chronique n’est pas un cours de culture, mais une leçon de bon sens, d’humanisation.
Loin de l’esclavagisme déguisé et du sexisme, le mot féminité recouvre bien quelques chose de plus décent et de plus méritant, j’irais à sa recherche, tant pis pour moi, si j’ai encore à écrire une si longue chronique !
Je m'appelle Kén Bugul. J'ai vingt-quatre ans. Et Je m’en vais vous raconter mon histoire. Elle est belle parce qu’elle m’a forgée ! Triste, parce qu’elle m’a rongé ! Je suis la fille de mon père et de ma mère. Quoi de plus naturel ! J’ai des frères, grands et petits, une sœur cadette, la prunelle de mes yeux ! Dans notre maison, il y’a des chambres et un salon. Parmi les chambres, il y’a celle que partagent mon père et ma mère. Quoi de plus romantique ! Une autre pour notre frère ainé et son épouse, une troisième pour mes petits frères, et une plus récente pour mon autre grand frère célibataire, qui a jugé nécessaire d’avoir un espace à lui pour son intimité. Quant à ma petite sœur et moi, il semble qu’on nous ait oubliées en érigeant le plan architectural de la maison. Du coup, nous sommes des Sans-Chambre-fixe. Le jour, on se meut dans l’espace, la nuit on dort chez ma marraine, la sœur de mon père. Mon père trouve cela normal parce que pour lui, les filles n’appartiennent pas à leur famille mais à leur belle famille. Pour moi qui suis née avec une balance justicière sur la tête, comme me le dit souvent ma sœur, cette situation demeure aberrante. Mais je l’ai taise ! Parce que se taire, c’est le seul infinitif qui définit ma condition de femme dans notre maison. Serais-je juste leur bonne ? La cuisine, les tâches ménagères, la lessive pour toute la famille, C’est ma petite sœur et moi qui les assurons. Les caleçons de mon grand-frère, par-dessus des tâches blanchâtres, je les lavais jusqu’à une date bien récente, jusqu’à ce que ma belle-sœur le découvre. C’est là qu’elle est allée dire à ma mère qu’une jeune vierge ne doit pas laver des sous-vêtements d’homme parce qu’elle risquerait de ne pas avoir d’enfant une fois mariée. Même si je n’épousais pas trop les contours de ce mythe, je me réjouissais du fait qu’il m’ait sauvé des caleçons nacrés de mon grand-frère...
Une nuit, j’étais malade. J’ai la rhinite et je m’étouffe souvent. Cette nuit-là, ma mère m’a amené chez le guérisseur traditionnel, ma petite sœur n’était pas là. C’est ma mère qui avait préparé le diner. Elle avait tout finit. Il restait juste à servir dans une grande assiette. Mais comme j’allais de plus en plus mal, elle s’est hâtée à m’amener chez le guérisseur. Elle se disait qu’elle allait servir le diner de retour à la maison. Mais on a duré chez le charlatan. A ma grande surprise, de retour à la maison, mes petits frères étaient déjà endormis, sans diner, parce que mon père n’a pas daigné prendre une assiette et y mettre la nourriture. Parce qu’il s’obstine à croire que c’est une tâche de femme. J’en ai voulu à mon père. J’en ai aussi voulu à ma mère. je n’ai pu comprendre pourquoi elle n’a pas rouspété. Pourquoi elle a trouvé l’acte de mon père normal ? Evidemment, elle est tombée elle aussi, comme beaucoup de femmes d’ailleurs, dans ce complexe viscéral de genre.
Un autre jour, j’étais à l’université, en plein cours. Ma sœur était à l’école. Il était onze heures environs. Je reçois un appelle de mon grand-frère depuis la maison. Cette fois c’est ma mère qui est un peu souffrante. Et mon grand-frère me demande de venir préparer le déjeuner. Il lui est pas venu à l’esprit de concocter un quelque chose à manger. J’ai dû rompre mon cours et venir préparer le repas, puis retourner à l’université pour ne pas rater mon devoir de quinze heures. Je ne lui en ai même pas voulu ! J’ai juste compris qu’il était le fils de son père !
Beaucoup d’hommes me taxent de féministe. Moi qui n’aime pourtant pas trop les mots se terminant par « isme » parce que je les trouve radicalistes, extrémistes. Mais si féminisme veut dire essayer de redéfinir et de reconsidérer la condition de la femme, j’accepterai volontiers un « isme » dans ma terminologie. Beaucoup de femmes sont tombées dans le piège d’être femme. Une chausse-trappe dans laquelle la société nous a mises sous des préceptes religieux sans aucune fondement.
Je nous invite pas à être des hommes. Non. Restons femmes ! Restons douces, docile, aimables, attirantes, avenantes. Restons même des lessiveuses, des cordons bleus, s’ils veulent bien. Mais ma question est : est-ce que ces adjectifs ne peuvent ou doivent-ils pas parallèlement qualifier les hommes ? Un ami m’a dit que cette question est celle d’une femme africaine déracinée, voulant épouser une culture occidentale qui n’est pas la sienne. Et à cet ami je voudrais dire que ma chronique n’est pas un cours de culture, mais une leçon de bon sens, d’humanisation.
Loin de l’esclavagisme déguisé et du sexisme, le mot féminité recouvre bien quelques chose de plus décent et de plus méritant, j’irais à sa recherche, tant pis pour moi, si j’ai encore à écrire une si longue chronique !