La culture de la mort : le diable n'est jamais loin
Toute histoire commence un jour, quelque part. Contrairement à ses amis d’enfance, Bravo, brillant étudiant du pays des hommes forts, s’est battu comme un diable pour réussir ses études. Il est l’unique étudiant du village de WATINOOMA sinon, de toute la région. L’année dernière, il a obtenu une bourse auprès des amis de son pays pour poursuivre ses études au pays de l’homme blanc. Lors de ses vacances, il revenait souvent rendre visite à ses parents, désormais fiers de lui et à ses camarades d’enfance auprès de qui il s’enquérait des nouvelles du village. Cette année-là, Bravo est arrivé au village au beau milieu de la nuit à la surprise générale. Le lendemain matin comme d’habitude, la nouvelle de son arrivée se rependit dans tout le village et les enfants vinrent s’assembler devant sa porte pour lui souhaiter la bienvenue, recevoir d’éventuels cadeaux et découvrir les merveilles du pays des blancs que l’unique étudiant n’hésitait pas à apporter au village à la satisfaction de la curiosité générale. Lors de son voyage, la fierté de la famille des M’dakiiba a apporté un poste-radio, des plaques et des lampes solaires ainsi qu’un poste-téléviseur pour satisfaire aux besoins de sa contrée. Ce fut une première dans toute la région. Dès sa sortie, les enfants commencèrent à entonner la chanson de bienvenue au rythme des sons de leurs petites boites. Bravo, pour marquer sa satisfaction de l’accueil, devait exécuter la Namaourê, une danse traditionnelle du village, chose qu’il fit avec enthousiasme et nostalgie sous le regard et les applaudissements des villageois présents. Vint enfin, le moment le plus attendu des enfants, Bravo sortit un paquet de sucettes et commença à les distribuer aux enfants qui se bousculaient autour de lui. Après cela et avant le chant de remerciement des enfants, Bravo présenta à la foule le matériel moderne qu’il offre en cadeau à tout le village, qui, répliqua par un tonnerre d’applaudissement et de cris de joie. Rendez-vous fut donné à la tombée de la nuit pour l’inauguration dudit matériel. Le moment vint pour l’étudiant, lorsque la foule commença à se retirer, de saluer les membres de sa famille. Il commença à la case de son père puis celle de sa mère qui l’attendait avec impatience. Ses deux petits frères et sa petite sœur, pour leur part, jouaient avec les autres enfants. Arrivé, le temps de taper, à la porte de sa mère, celle-ci se précipita dans ses bras, les deux se serrèrent fortement, gardèrent le silence pendant un bout de temps, commencèrent à se parler et à se tapoter les dos tellement ils se manquaient l’un à l’autre.
Koto, Faro et Malo étaient les amis d’enfance de Bravo. Dévorés par le péché de l’envie, ils voulaient mener une vie de luxe malgré la pauvreté de leurs familles. En plus, ils étaient des partisans du « moindre effort ». Ils n’étaient pas les pires des garçons mais leur manque d’ambition et de vision de l’avenir n’avait d’égal que leur cupidité. Ils étaient réputés pour leur penchant pour « le gain facile » et leur fréquentation du kiosque du jeu du hasard du village d’où pour le vieux aveugle, le monde évolue vers le pire, la culture du gain facile, la culture de la mort. Il lista un certain nombre de phénomènes qui pour lui sont la résultante de la culture du diable, de la mort. Dans sa liste, il énumère par ordre d’importance le chômage, l’alcoolisme, le tabagisme, le banditisme, l’avortement, l’excision, la guerre, la prostitution, la corruption et le terrorisme. Le règne d’un de ces éléments débouche nécessairement sur la mort. Après une dizaine de minute de marche, l’étudiant arriva au fameux kiosque.
Sous le hangar, il eut du mal à reconnaitre son ami Koto tellement celui-ci a été métamorphosé par l’alcool. Il a maigri comme un varan en saison sèche dans la savane.
- Bonjour cher ami, tu vas bien j’espère. J’ai eu du mal à te retrouver.
- Ne te fâche pas hein, j’ai appris que tu es venu mais je devais prendre ma dose avant de venir te souhaiter la bienvenue.
- D'accord, s’en est fait ! on doit se voir à présent et causer comme d’habitude. Seulement, je me demande si avec l’alcool dans les veines, tu pourras me faire le bilan de l’écho du village !
- Sois sans crainte mon ami, je vais te prouver le contraire. L’alcool est mon réconfort et ma source d’inspiration. Assieds-toi.
- Non, je pense que cet endroit n’est pas approprié. On a besoin de silence et de sérénité. Je propose qu’on aille sous les manguiers au bord de la rivière là-bas, la fraicheur, le calme et le beau paysage nous permettront de reprendre nos esprits.
La rivière est à une heure de marche du kiosque. Nonobstant cette distance, les vieux amis se mirent en route. Quelques minutes plus tard, ils rompirent avec le silence et se mirent à causer.
Nos deux amis arrivèrent en début d’après-midi sur le flanc gauche de la rivière, un endroit idéal pour une promenade. Il y avait assez d’ombre sous ces arbres plantés jadis par les villageois et qui produisaient de délicieux fruits le moment venu et sous lesquels existait un tapis d’herbes frais, florissant et nettoyé par les vagues des crues. Les villageois viennent y pêcher ou s’y baigner surtout au moment de la chaleur accablante d’Avril.
- Enfin, nous y voici. Que c’est bon d’être à cet endroit !
- C’est à raison que tu dis cela car tu as bien choisi l’endroit, seulement, je crains que notre causerie ne pollue l’atmosphère.
- Mon ami je m’en veux d’avoir été direct avec toi tout à l’heure.
- T’inquiète, tu m’as dit la vérité, elle rougit les yeux mais ne les casse pas dit-on et il faut un ami pour vous dire la vérité. Dis-moi es-tu passé chez Faro et Malo ce matin ?
- Non, tu sais bien notre coutume, je m’informe d’abord auprès de toi afin de savoir quel comportement adopter. J’y passerai peut-être le soir.
- La nouvelle c’est qu’on n’est plus quatre comme notre instituteur aimait nous appeler les quatre cavaliers. On est devenu deux : Toi et moi.
- Arrête ça, ils sont allés à l’aventure, à la recherche de l’or, mais ils ne sont pas morts, ils reviendront après tout !
- Au contraire, ils sont bel et bien morts.
- Il y a des choses avec lesquelles on ne plaisante pas et la mort en est une, mon pote !
- Exactement, si seulement il pouvait s’agir d’une plaisanterie !
- Si c’est l’effet de l’alcool qui te pousse à dire des bêtises, on peut reporter la causerie à demain sinon, nom de Dieu arrête-moi ça et vite !
- C’est triste et c’est la raison de mon alcoolisme. Si tu ne crois pas en moi, tu croiras au moins en maman !
- Ah Ouf ! vraiment ? Non, impossible ! alors raconte-moi ce qui s’est passé. J’ai hâte de t’entendre.
- Puisque tu veux le savoir... « Nous étions en Décembre, en ce temps-là, les villageois avaient fini les récoltes et avaient commencé à rassembler les tiges de mile, de haricot, de riz et de l’arachide pour engraisser les animaux en saison sèche. Ces derniers avaient été relâchés et on pouvait les voir divaguer dans les champs et les femmes en file indienne, revenir de la brousse, fagot de bois sur la tête et bébé au dos. Les pluies se faisant de plus en plus rares, le ciel se dégageait progressivement malgré l’installation du froid. On avait commencé à recevoir les rayons du soleil et cela, au grand bonheur des vieillards qui raffolent de bain de soleil devant les concessions. En ce qui concerne la mort de Faro, tout a commencé dans le kiosque du jeu du hasard. En effet, un jour nous y sommes allés pour tenter notre chance. Après avoir misé, nous nous étions assis pour causer. C’est en ce moment qu’une voiture s’arrêta devant le kiosque et un homme en veste descendit de celle-ci et alla au guichet parler à Omar le gérant qui se mit, aussitôt, à réunir la foule, ses clients, en prétextant d’une importante information. Après le rassemblement, il donna la parole à l’inconnu voiturier qui se mit à haranguer la foule en ces termes : « Je suis Kata Mado, propriétaire d’une importante société minière au pays des griots, à la recherche d’ouvriers. En rappel, ils seront bien payés pour peu de travail effectué. Pour ceux qui sont intéressés rendez-vous ici-même le dernier jour du mois pour le départ ; avant de partir pour d’autres villages, je vous invite à porter mon offre à la connaissance de vos proches. Merci de l’écoute et à bientôt ». L’inconnu poursuivit son chemin et tout le village en fut informé. Le jour du rendez-vous, Kata revint avec six autres personnes au village. Mais, chez nous, les gens ont hésité d’y aller ; seul Faro, partit avec l’inconnu. Une année plus tard, il revint au village avec une nouvelle motocyclette pour rendre visite aux siens. Il profita, construire une maison en tôle pour ses parents, une première au village, ouvrir une boutique pour sa petite sœur, se marier à une jolie femme et repartit. Depuis ce temps, les villageois avaient déserté ta famille pour celle de Faro qui devint orgueilleuse et de moins en moins respectueuse à l’égard des autres familles. Ainsi, Faro revenait de temps en temps et profitait recruter d’autres villageois. Sa famille devint très riche et fière de lui, mais aux yeux des villageois quelque chose clochait, Faro ne ressemblait pas à un orpailleur ; il s’habillait comme un ministre. Je n’hésitais pas à le lui rappeler par occasion. Il me répliquait toujours que dès le départ KATA avait précisé que c’était une sinécure. Je suis resté septique et son père me taxa d’être jaloux de la réussite de son fils. Tout se passait ainsi et la femme de Faro venait d’avoir son deuxième gamin. J’ai été tenté de rejoindre Faro mais je ne voulais pas quitter le pays. Pour ce qui est du cas de Malo, tu le savais aussi bien que moi, quand il a repris la classe de CM1, son père l’a rappelé de l’école et l’a confié à un inconnu qui prétextait aller lui enseigner le livre saint de la nouvelle croyance. Depuis ce jour, on ne l’a plus revu. Ainsi allait la vie au village jusqu’au sept décembre dernier. Ce jour restera à jamais gravé dans les mémoires des habitants de WATINOOMA. En ce jour, environ onze heures, notre pays a fait l’objet d’une attaque par des individus armés. On dénombra une centaine de morts, quatre centaines de blessés et une quarantaine d’assaillants abattus à en croire la Radio Funèbre Internationale (RFI). La nouvelle arriva au village, mais de manière impersonnelle car ni l’identité des victimes ni celle des bourreaux n’avait été révélée. Le jeudi huit décembre, le lendemain de l’attaque, le soleil s’est levé au village comme d’habitude. Les villageois se réveillèrent dans la quiétude habituelle et commencèrent à vaquer à leurs occupations quotidiennes. Tout allait bien jusqu’aux environs de midi lorsqu’un cortège de quatre voitures, encadrées par des policiers, fit son entrée dans le village. Le cortège continua jusque devant la concession de la famille de Faro. C’était inhabituel de voir autant de voitures. Les villageois pensaient que c’était Faro qui revenait avec ses patrons. Personne ne voulut se faire raconter l’évènement, alors tout le village se vida et convergea vers les voitures. Trois des voituriers se présentèrent, au père de Faro qui les accueillait, en tant que maire, haut-commissaire et gouverneur de la région. Le conseil du village fut réuni d’urgence à leur demande. Après un bout de temps d’entretien avec le conseil, le gouverneur, se tournant vers la foule, prit la parole en ces termes : « Chers habitants du village, nous vous saluons. Tout d’abord, nos excuses pour vous avoir dérangé et semé des interrogations dans vos esprits. En vérité, c’était nécessaire que nous soyons là aujourd’hui car je suppose que vous savez que l’air est particulièrement grave ces derniers temps dans notre pays. Hier encore, nous avons été attaqués et nous déplorons une centaine de morts. La police a procédé à l’identification des corps des victimes et des bourreaux abattus et la triste nouvelle pour vous est que votre village compte à lui seul douze victimes et deux bourreaux (la foule eut du mal à cacher son tressaillement). Les deux terroristes s’appellent Faro et Malo. Nous vous avons amené les corps. Nos condoléances les plus sincères aux familles des victimes. Les autorités prendront les mesures qu’il faut pour qu’un tel drame ne se reproduise plus dans notre pays. En vous invitant à être solidaire entre vous, je vous souhaite un bon après-midi ». Après ce discours, un silence absolu gagna tout le village. On pouvait même entendre les mouches voler, encore un jeudi noir... A l’appel du nom de Faro, son père s’était évanoui. La foule commença à se retirer en silence dans toutes les directions, les femmes éloignant les enfants, les hommes allant chercher les corps dans les voitures. A mesure que les voitures se vidaient et que les corps se découvraient les proches des victimes se lamentaient, des cris perçants s’élevaient de partout ; les villageois amenèrent les corps des victimes et abandonnèrent ceux des bourreaux à côté du père de Faro, évanoui. Le village n’avait jamais vécu un tel choque. C’est là que mène la culture du « gain facile », le terrorisme, la culture du diable, de la mort : toute une vie gâchée et des vies faussées, des veuves et des orphelins et de la division, les familles des victimes et celles des bourreaux à couteau tiré. Les victimes eurent de bonnes funérailles et sépultures tandis que les cadavres des bourreaux furent jetés aux monstres dans la forêt maudite. La leçon a été bien assimilée, personne n’ose plus suivre un inconnu pour aller à l’étranger, cependant, des inquiétudes demeurent, qu’en est-il des autres villageois que Faro venait recruter ? Sont-ils devenus aussi des terroristes ? Sont-ils toujours vivants ? Où sont-ils ? Quelles mesures prendre ? Malgré l’absence de réponses à ces interrogations le village se remet peu à peu. Telle est l’atmosphère du village depuis onze mois. Mon ami, Je suis au bout de mon récit, je te souhaite à présent la bienvenue ». Après un de temps de silence les deux reprirent.
- Je comprends maintenant la raison pour laquelle il y avait peu de monde à mon accueil ce matin. C’est vraiment dur à avaler et c’est parti très vite ! je comprends pourquoi tu bois et je suis fier de toi. Néanmoins arrête de boire car selon l’adage préféré de l’aveugle voyant du village, « un homme averti en vaut trois et une femme, quatre ». Arrête car je ne voudrais pas que l’année prochaine, quelqu’un d’autre me raconte ce qui t’aurait arrivé. Promets-moi que ça sera fait.
- Mon ami, considère déjà que c’est fait. L’ombre des manguiers est agréable mais rentrons car le village nous attend.
Les deux amis rebroussèrent chemin laissant derrière eux, le soleil couchant sur l’autre rive de la rivière et les cris des singes et des perdrix comme pour annoncer la tombée de la nuit et leur satisfaction d’être dans les environs de ce village reculé du pays des hommes forts...