La cabane

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Une fine pellicule de givre recouvre les plants de chou rabougris par l'hiver. Une lumière pâlotte effleure les mottes de terre. C'est un matin de décembre aux odeurs de neige, avec sa goutte au nez et son froid mordant ; les ombres timides effacent les contrastes. D'octobre à mars, on se les gèle dans ce pays des trois frontières. Entre Allemagne, Belgique et Luxembourg, ce coin de Lorraine gémit comme un paillasson piétiné par l'histoire.
Tout au bout de l'allée qui coupe le jardin en deux parties égales, la cabane grelotte entre ses planches disjointes. Avec ses lattes de bois couvertes de moisissures, elle a l'allure d'une masure de conte fantastique, toute décorée de toiles d'araignée et entourée d'herbes hautes. On imaginerait sortir de ce désordre poussiéreux des bestioles effrayantes à poil gris et yeux rouges. Au lieu de cela, un chaton tout blanc miaule désespérément en cherchant sa mère. Des tôles mal ajustées et recouvertes de mousse servent de toit. On peut y entrer en poussant un battant de bois tenu par une chaîne et un cadenas sans clé. Un grincement rappelle qu'il n'est plus là, celui qui graissait les gonds.
Ça sent l'abandon et l'absence. Le temps a recouvert les outils de son linceul. Sur le manche de cette hache que l'homme a mille fois serré dans sa main, l'eau tombée du toit a creusé de minuscules sillons où des insectes se régalent. Le goutte-à-goutte dure tout l'hiver. La pluie s'infiltre par les interstices du toit pour créer sa musique. Ça ploc, ça bling, ça tintinnabule. Lorsqu'un rai de lumière filtre à travers les planches, les outils de jardin brillent encore comme les cuivres d'un orchestre symphonique. Accrochés à un clou rouillé, les ciseaux qui coupaient la vigne rappellent ces après-midi de septembre baignés de soleil. On tenait à deux mains les grappes lourdes et chaudes, puis on goûtait les premiers grains. Un jus sucré coulait dans notre gorge. Un signe du père indiquait que les vendanges pouvaient commencer. Sur une chaise désarticulée sont restés trois sachets de semence de concombres. Nous en raffolions. À la fin de l'été, il n'était pas rare de surprendre les quatre enfants de la famille accroupis dans les allées, se régalant en silence du goût doux-amer de ce légume ; on n'entendait que les craquements que produisaient les concombres sous la dent. Des odeurs d'essence et d'huile entourent une tondeuse désormais immobile. Les bidons sont ouverts ; l'homme est parti sans avoir le temps de remettre de l'ordre dans tout cela. Une scie à bois exhibe ses dents cariées, la rouille s'effrite sous le doigt avec des picotements désagréables. Tout ici parle de travail. Le travail bien fait : c'était la religion de l'homme absent. Un rabot, un niveau, des marteaux, un étau, des pinces, une perceuse, des règles et des équerres ; tout participe de l'accomplissement. Quand la pauvreté a pris sa place dans la maison comme une épouse mal choisie, il reste ça pour exister. Le travail bien fait, comme une justice supérieure. Un souffle de vent passé par le toit bouscule une faucille en équilibre sur un marteau. Le mouvement est gracieux, on dirait qu'ils dansent. C'est charmant. En l'absence de l'homme, les éléments s'inventent une vie. Avec le vent, l'air, la lumière, les ombres et les bruits, rien ne meurt, tout revit.

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