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Nouvelles - Policier & Thriller
C'est l'heure de la promenade, les hommes trépignent dans le couloir. Le bruit court de cellule en cellule et gagne les autres étages, les autres bâtiments : la porte du monstre est ouverte. Bientôt, la bête sera mise à mort.
Il neigeait si fort, le jour de ma naissance, que tous les chasse-neige du département restèrent bloqués dans leurs hangars. Mon père, sorti faire un tiercé le mois précédent n'étant jamais revenu, Maman dut se débrouiller seule pour se délivrer de moi. Enfin pas tout à fait, j'étais curieux de découvrir ce que j'entendais bruire de l'autre côté de son ventre et je l'aidai de mon mieux.
Je suis né laid, comme tous les bébés, mais dans mon cas, cela ne rentra pas dans l'ordre au bout de quelques jours. Je parlais tôt, je n'avais pas un mois, mais personne ne me comprenait sauf un chat borgne qui vivait avec nous et me regardait constamment de travers. Le chat n'était pas le seul à ne pas m'aimer, ma mère elle-même me détestait. Elle ne s'adressait à moi que très rarement, surtout pour me dire combien j'étais laid et repoussant. Le reste du temps, elle me battait comme plâtre en me reprochant le départ de mon père.
À quatorze ans, je me mariais avec une grande voisine dans le sous-sol de notre immeuble. Elle rentra chez elle en pleurs et raconta tout à ses parents. On me conduisit chez les gendarmes, puis dans un hôpital plein de jeunes garçons fous. Là, on s'échina à me faire parler de moi tout en me donnant, trois fois par jour, des pilules multicolores.
Malgré le brouillard mental dans lequel je me débattais, je me mariais encore, de temps à autre, avec une infirmière obèse qui venait me visiter lorsqu'elle était de garde de nuit. Un soir d'orage, cette fille fut surprise à me faire des choses interdites dans ma cellule. Elle fut renvoyée dans la nuit à grands cris, mais cette fois, personne ne songea à me gronder.
À dix-sept ans, je profitais d'un exercice incendie que j'avais moi-même initié pour m'évader en me glissant dans la confusion comme une anguille entre les mains d'un fabriquant de savon. Je laissai le bâtiment se consumer derrière moi et me faufilai entre le bruit des sirènes et l'affolement des voisins.
De ce jour, je vécus dans la misère et la peur. Mon esprit pourtant, s'était éclairci, et je me trouvai bien mieux à courir les routes et à fuir mes crimes, qu'à me morfondre à l'hôpital. J'étais souvent contraint de quitter précipitamment les villages où j'avais déniché un petit boulot, mais où je n'avais pu m'empêcher d'assouvir une de mes irrésistibles pulsions. Bien sûr, je savais maintenant combien c'était mal de faire ces choses-là, les docteurs me l'avaient très longuement expliqué.
Je luttais, mais certaines filles faisaient parfois un geste, un tout petit geste de rien, mais qui me rendait fou. Je les suivais alors, comme un zombi, en attendant le moment propice pour les assaillir.
Deux ans plus tard, toutes les polices de France étaient à mes basques. Il faut dire que j'avais, de plus en plus souvent, cet irrépressible besoin de soulager la folie qui m'habitait. J'aimais travailler, je trouvais des petits boulots dans des exploitations agricoles ou mieux encore, des abattoirs. C'est à cette époque que je commençais à prendre plaisir à assassiner mes épouses.
Alors que je fêtais mes vingt ans, je m'introduisis nuitamment dans un pensionnat. J'avais suivi, la veille, une petite déesse brune qui m'avait mené jusque-là. Je devins si célèbre, après cette affaire, qu'on ne parla plus que de moi pendant des jours, et même à la télévision.
J'étais plus recherché et insaisissable que la vertu dans un bordel. C'est d'ailleurs avec des filles que je payais que j'essayais un temps de me guérir de ma monstruosité. Mais je ne parvenais pas à être gentil avec elles et je ne pouvais pas m'empêcher de les étrangler après. Je commençais à prendre conscience qu'un truc clochait vraiment beaucoup dans ma caboche. Je m'efforçais de ne plus me marier, mais je ne pouvais pas toujours résister.
Je crois que je devenais fou et je me décidai enfin à retourner voir mon ancien docteur de l'hôpital pour lui demander de l'aide. Je trouvai facilement l'adresse de son cabinet en ville. Ce toubib, il avait été gentil avec moi durant mes années d'enfermement. Mais il me trahit. Il fila appeler la police en prétextant aller me chercher un café. Moins d'une heure plus tard, une dizaine de policiers surgissaient par la porte et venaient me capturer comme un chien dangereux.
On reparla de moi partout et longtemps. Des gens descendaient même dans les rues et demandaient qu'on change les lois pour qu'on puisse me couper la tête.
On m'a mis dans une cage. Je n'ai pas le droit de descendre m'amuser dans la cour avec les autres détenus. Ce n'est pas grave, ils sont méchants. Ils ne font que me crier des insultes et des menaces à travers la nuit et leurs barreaux.
Mon nouveau médecin, celui qui me suit en prison, m'affirme, comme tous les autres avant lui, que ma laideur est dans ma tête et que c'est ma maman qui l'y a mise. Il dit qu'en fait, je suis très beau, anormalement beau, et que c'est précisément ma beauté qui fascine tant les gens et les journalistes et qui me rend si célèbre. Il est vrai que des femmes m'écrivent du monde entier. Je ne lis que les lettres en français, mais toutes me parlent d'un autre, d'un ange qu'elles veulent épouser et sauver. « L'ange du Diable », c'est comme ça que les journaux m'appellent.
Aujourd'hui, les gardiens sont en grève, ce sont des policiers qui les remplacent. Ils ne savent rien de ce qui me concerne, ils ont ouvert ma cellule pour que je puisse sortir en promenade avec les autres.
Je prends place dans la file. Je sais bien qu'ils vont me tuer tout à l'heure et que ça me fera mal. Tous me le promettent depuis mon arrivée ici. Celui qui est derrière moi me le dit méchamment à l'oreille. Mais je suis fatigué. Je veux en finir avec tout ce bazar qui trébuche dans ma tête. Je vais tâcher de me montrer courageux.
Il neigeait si fort, le jour de ma naissance, que tous les chasse-neige du département restèrent bloqués dans leurs hangars. Mon père, sorti faire un tiercé le mois précédent n'étant jamais revenu, Maman dut se débrouiller seule pour se délivrer de moi. Enfin pas tout à fait, j'étais curieux de découvrir ce que j'entendais bruire de l'autre côté de son ventre et je l'aidai de mon mieux.
Je suis né laid, comme tous les bébés, mais dans mon cas, cela ne rentra pas dans l'ordre au bout de quelques jours. Je parlais tôt, je n'avais pas un mois, mais personne ne me comprenait sauf un chat borgne qui vivait avec nous et me regardait constamment de travers. Le chat n'était pas le seul à ne pas m'aimer, ma mère elle-même me détestait. Elle ne s'adressait à moi que très rarement, surtout pour me dire combien j'étais laid et repoussant. Le reste du temps, elle me battait comme plâtre en me reprochant le départ de mon père.
À quatorze ans, je me mariais avec une grande voisine dans le sous-sol de notre immeuble. Elle rentra chez elle en pleurs et raconta tout à ses parents. On me conduisit chez les gendarmes, puis dans un hôpital plein de jeunes garçons fous. Là, on s'échina à me faire parler de moi tout en me donnant, trois fois par jour, des pilules multicolores.
Malgré le brouillard mental dans lequel je me débattais, je me mariais encore, de temps à autre, avec une infirmière obèse qui venait me visiter lorsqu'elle était de garde de nuit. Un soir d'orage, cette fille fut surprise à me faire des choses interdites dans ma cellule. Elle fut renvoyée dans la nuit à grands cris, mais cette fois, personne ne songea à me gronder.
À dix-sept ans, je profitais d'un exercice incendie que j'avais moi-même initié pour m'évader en me glissant dans la confusion comme une anguille entre les mains d'un fabriquant de savon. Je laissai le bâtiment se consumer derrière moi et me faufilai entre le bruit des sirènes et l'affolement des voisins.
De ce jour, je vécus dans la misère et la peur. Mon esprit pourtant, s'était éclairci, et je me trouvai bien mieux à courir les routes et à fuir mes crimes, qu'à me morfondre à l'hôpital. J'étais souvent contraint de quitter précipitamment les villages où j'avais déniché un petit boulot, mais où je n'avais pu m'empêcher d'assouvir une de mes irrésistibles pulsions. Bien sûr, je savais maintenant combien c'était mal de faire ces choses-là, les docteurs me l'avaient très longuement expliqué.
Je luttais, mais certaines filles faisaient parfois un geste, un tout petit geste de rien, mais qui me rendait fou. Je les suivais alors, comme un zombi, en attendant le moment propice pour les assaillir.
Deux ans plus tard, toutes les polices de France étaient à mes basques. Il faut dire que j'avais, de plus en plus souvent, cet irrépressible besoin de soulager la folie qui m'habitait. J'aimais travailler, je trouvais des petits boulots dans des exploitations agricoles ou mieux encore, des abattoirs. C'est à cette époque que je commençais à prendre plaisir à assassiner mes épouses.
Alors que je fêtais mes vingt ans, je m'introduisis nuitamment dans un pensionnat. J'avais suivi, la veille, une petite déesse brune qui m'avait mené jusque-là. Je devins si célèbre, après cette affaire, qu'on ne parla plus que de moi pendant des jours, et même à la télévision.
J'étais plus recherché et insaisissable que la vertu dans un bordel. C'est d'ailleurs avec des filles que je payais que j'essayais un temps de me guérir de ma monstruosité. Mais je ne parvenais pas à être gentil avec elles et je ne pouvais pas m'empêcher de les étrangler après. Je commençais à prendre conscience qu'un truc clochait vraiment beaucoup dans ma caboche. Je m'efforçais de ne plus me marier, mais je ne pouvais pas toujours résister.
Je crois que je devenais fou et je me décidai enfin à retourner voir mon ancien docteur de l'hôpital pour lui demander de l'aide. Je trouvai facilement l'adresse de son cabinet en ville. Ce toubib, il avait été gentil avec moi durant mes années d'enfermement. Mais il me trahit. Il fila appeler la police en prétextant aller me chercher un café. Moins d'une heure plus tard, une dizaine de policiers surgissaient par la porte et venaient me capturer comme un chien dangereux.
On reparla de moi partout et longtemps. Des gens descendaient même dans les rues et demandaient qu'on change les lois pour qu'on puisse me couper la tête.
On m'a mis dans une cage. Je n'ai pas le droit de descendre m'amuser dans la cour avec les autres détenus. Ce n'est pas grave, ils sont méchants. Ils ne font que me crier des insultes et des menaces à travers la nuit et leurs barreaux.
Mon nouveau médecin, celui qui me suit en prison, m'affirme, comme tous les autres avant lui, que ma laideur est dans ma tête et que c'est ma maman qui l'y a mise. Il dit qu'en fait, je suis très beau, anormalement beau, et que c'est précisément ma beauté qui fascine tant les gens et les journalistes et qui me rend si célèbre. Il est vrai que des femmes m'écrivent du monde entier. Je ne lis que les lettres en français, mais toutes me parlent d'un autre, d'un ange qu'elles veulent épouser et sauver. « L'ange du Diable », c'est comme ça que les journaux m'appellent.
Aujourd'hui, les gardiens sont en grève, ce sont des policiers qui les remplacent. Ils ne savent rien de ce qui me concerne, ils ont ouvert ma cellule pour que je puisse sortir en promenade avec les autres.
Je prends place dans la file. Je sais bien qu'ils vont me tuer tout à l'heure et que ça me fera mal. Tous me le promettent depuis mon arrivée ici. Celui qui est derrière moi me le dit méchamment à l'oreille. Mais je suis fatigué. Je veux en finir avec tout ce bazar qui trébuche dans ma tête. Je vais tâcher de me montrer courageux.
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