C'était lors d'une instance judiciaire. Le défendeur était lui, et le requérant était moi. Je l'accusais de m'incommoder, d'entraver ma liberté. Tant il m'avait pénalisé, indisposé, troublé, ennuyé, fatigué et même lassé. Assez avait-il perturbé le cours de mon existence. Qu'avait-t-il fait ? Nous le savions tous. Mon conseil d'avocats, des journalistes entre autres, psalmodiaient les faits avec passion, sans se lasser, tellement ils étaient nombreux. Son avocat, un conseil de lanceurs d'alertes, de scientifiques, avec ferveur et ardeur désapprouvaient le camp adverse, m'épiaient du regard... Le débat était virulent, les plaidoyers se faisaient violents, des accusations fusaient de partout. L'audience, bien qu'impuissante se tordait en insultes, protestations, exclamations. Au milieu de tout cela, calme, à ma place, je rentrai au-dedans de moi. J'ignorais que difficile serait la tâche de m'accorder justice, en condamnant tout simplement mon assaillant. Je remis en question ma plainte, qu'avait-il fait ? Jamais, je ne saurai dénombrer tous ses délits et crimes, le nombre en est grand. Et aujourd'hui encore, je suis témoin du désastre, davantage évident, incessant et grandissant. Il a occasionné des inondations, engendré des canicules, incité le réchauffement climatique, stimulé la fonte des glaciers, détruit mon rempart contre le soleil[1]. Près de moi, il a attiré le désert ; après moi fait courir la mer ; les eaux menacent de m'engloutir. Il a infecté l'air que je respire, stérilisé mon sol, dès lors infertile. Il a érodé ma terre natale, il a pollué mon eau potable. Il a évaporé mes ressources naturelles, expiré des espèces rares et vitales de mon écosystème... Si maintenant, je m'arrête d'alléguer ces atrocités, c'est que cette litanie dont la douleur me meurtrie, est tel un couteau qu'on remue dans cette plaie, mienne, énorme tel un abîme. Crûment, j'en avais assez de lui. Et me croyant héros, grand courageux, j'eus recours à la justice, j'avais porté plainte, il devait comparaître. Ayant la certitude, que j'étais victime irréfutable, j'allai au juge, auprès de la juridiction compétente.
Le plaignant, moi, le contestant, lui. Mon conseil d'avocat, journalistes et reporteurs ; le sien, scientifiques et intellectuels engagés ; le juge. Sans ignorer l'audience, constituée d'individus de divers horizons, pour la plupart comme moi, et ceux qui avaient perdu leurs toits ou des membres de famille grâce à des catastrophes naturelles, et ceux qui ne pouvaient plus récolter de la terre ce qu'ils avaient semé, et ceux qui ne savaient à quel dieu se vouer, parce que ballotés par des intempéries, vents et marées. Et des cas plus banals mais non moindres, ceux qui avaient raté leurs trains ou avions, car les départs et/ou arrivées étaient annulés, faute de conditions météorologiques favorables. Des gens dont on ne pourrait rapporter tous les cas. Ils étaient tous venus, parce que l'issue de ce prétoire nous préoccupait tous. J'étais leur source d'espoir à eux tous, pour qu'enfin, justice soit faite.
Aux allures posées et, tranquille telle une eau calme mais profonde, mon bourreau ne disait mot. Moi non plus. D'ailleurs, j'étais noyé en pensées. Je doutais de cet instant, de la légitimité de ma plainte. Etais-je vraiment innocent ? Etais-je réellement affranchi de toute responsabilité ? (...) Soudainement, il me vint un flash de tous mes actes passés, et des forêts que j'ai déboisées et embrasées pour construire mes villes et semer mon blé. Des minerais que j'ai extraits de mon sous-sol pour fabriquer mes outils et bâtir mes tours ? De mes éjections de CO2 alors que je consomme et gaspille de façon frénétique (...) Comme un éclair, une succession d'images se défilaient en moi... J'éclatai alors en sanglots, étourdi et accablé de remords. Personne n'avait remarqué mon état, tous, passionnés, chacun arguant sans attendre son tour.
Je décidai de prendre la parole, je criai[2] « Excusez-moi Votre Honneur, permettez-moi de faire quelques aveux. » La parole me fut donnée. C'est alors que je fis entendre ma voix. Je me levai. On n'entendait plus que des souffles épuisés...
« Il est bien vrai, comme vous tous le savez, nous sommes ici pour que justice soit faite. Il[3] nous a fait mille torts. Nous souhaitons qu'il paie pour ses crimes. Mais qu'en est-il de notre responsabilité, de ce que sera notre existence demain ? Que pouvons-nous changer pour ne plus être autant désarmés, pour le meilleur de nos enfants ? Il ne nous rendra pas tout, ni les vies perdues, ni notre être passé. Si nous sommes des victimes aujourd'hui, nous serons des proies demain. Oui, je me croyais pauvre innocent, tel un agneau immolé, sans tâche, ni défaut. Jusqu'à ce qu'il me revienne, comme un vieux démon, le souvenir hanté de tous les actes ignobles que j'ai commis et n'ai cessé. J'exploite abusivement mes ressources, la terre de mes aïeuls, j'infecte moi-même l'air que je respire, je produis abusivement, je consomme excessivement, j'achète et je jette sans usage ni tri, je ne plante pas mais ne cesse de déraciner ; de tout cela je suis l'auteur, vous[4] avec moi. Nous sommes sans ignorer que tous ces agissements sont sources de nos malheurs présents. Si nous persistons de la sorte, ce ne sera pas lui, mais Nous l'enfer de nos enfants. Nous n'avons cessé jusqu'ici de le diaboliser, de nous apitoyer sur notre sort... Mais que voulons-nous pour notre lendemain ? Que dirons-nous à nos successeurs ? Leur conterons-nous notre passée avec des plaintes de victimes, quand bien même nous ne le sommes pas ? Ou alors, en place de héros d'une voix triomphante ? Entre nos mains réside notre propre espoir, celui d'un avenir meilleur. Dans notre camp, se trouve la balle. Voulons-nous la faire rebondir vers nos enfants sous l'impulsion de l'espoir ou par des désespérances ? Entre nos mains, le pouvoir et la capacité de traverser cette vallée de souffrances, et de la transformer en une source de vie, de bénédictions[5].
Alors levons-nous ! Retroussons nos manches ! Le meilleur est à venir si nous tous ensemble nous levons d'un seul cœur, main dans la main, soudées par cet espoir, notre source de vie[6]. Et ce même espoir entre nos mains insufflera certainement une lueur d'espérance dans nos yeux. Et cette espérance, ce sera le meilleur héritage qu'un homme n'ait jamais légué à ses enfants. » Après avoir terminé ce long monologue, je m'assis. Personne ne disait mot, aucune réplique, ni réaction. Nos visages étaient tous pensifs, mais laissaient paraître des émotions tendres. L'espoir était déjà entre nos mains.
Nous attendions dès lors le verdict du juge. (...)
[1] (La couche d'ozone)
[2] (Presque)
[3] (Je n'osais prononcer son nom, jugeant qu'il ne le méritait pas)
[4] L'audience
[5] Bible Psaumes 84 :6
[6] Ne dit-on pas que l'espoir fait vivre ?